Toulon ne veut pas rester en rade

janvier 2005
Le Var ne veut pas être une zone de transit entre Marseille et Nice. Mais l'hypothèse de la création d'une gare TGV au Nord de Toulon suscite déjà de fortes réserves.

En apparence, rien d’encore très spectaculaire. La Commission particulière du débat public (CPDP) va ouvrir un bureau à Toulon, après l’avoir fait cet été à Marseille et en décembre à Nice. Le public pourra y consulter les documents produits par RFF (Réseau ferré de France) sur le projet de la future ligne à grande vitesse (LGV). En réalité, il s’agit de la première étape d’une série d’initiatives, rencontres thématiques et autres réunions de synthèses, dont l’issue marquera durablement l’avenir de tout le département. Même si, sous sa forme officielle, le grand débat annoncé ne déboule pas encore à l’allure d’un TGV, les discussions mènent déjà grand train. Dès mars 2003, Hubert Falco, le maire de Toulon, avait sonné la charge pour tempérer les ardeurs des élus des Alpes-Maritimes pressés de voir Nice reliée à Paris à la plus grande vitesse possible. « Le Var n’est pas une réserve d’indiens ! Nous ne pourrons être seulement une voie de transhumance », s’était-il exclamé dans les colonnes de l’hebdomadaire Le Point. Une réaction à l’un des scénarios envisagés faisant filer la LGV au centre du Var en zappant l’agglomération toulonnaise. Depuis, les responsables des deux départements s’efforcent de s’afficher unis sur le thème « obtenons ensemble le TGV, nous nous entendrons plus tard sur son tracé ». A la direction de la communication de ville de Toulon, le discours reste toutefois inchangé : « 500 000 personnes ne peuvent être à l’écart du TGV. Il faut donc réfléchir à l’implantation d’une gare dans ce bassin de vie. »

« A Cuers, je ne veux surtout pas qu’on vienne défigurer la commune, supprimer nos terres agricoles, remettre en cause notre qualité de vie. »

Guy Guigou, maire et conseiller général de Cuers De fait, sur les vingt scénarios étudiés par le maître d’?uvre, les trois retenus par le comité d’orientation (Etat, Conseil régional, Conseils généraux, agglomérations, RFF) pour être « approfondis » évoquent un passage du TGV dans la zone nord de Toulon. « Dans le Var, on vit un régime centralisé autour d’Hubert Falco, déplore Philippe Chesneau, élu toulonnais Vert au Conseil régional. Quand il dit quelque chose, ses troupes se mettent au garde-à-vous. Or, sa préférence va clairement à la création d’une gare TGV à Cuers. Cela ouvre pourtant la perspective du passage de l’autoroute de 2 X 2 voies à 2 X 3 voies à un coût prohibitif. Cela promet la perspective d’une montagne de voitures engorgeant plus encore l’agglomération de Toulon ». Guy Guigou, le maire et conseiller général PCF de Cuers, préfère pour l’instant temporiser. Il peut encore en prendre le temps : le premier débat public dans sa ville est programmé le 5 mai. « Tout reste encore à l’état d’hypothèses, souligne-t-il. Nous ne sommes pas contre le progrès et le TGV est une réalisation moderne. A Cuers, je ne veux surtout pas qu’on vienne défigurer la commune, supprimer nos terres agricoles, remettre en cause notre qualité de vie. Installer une gare, c’est sacrifier dix hectares. Tout dépend de ce qu’on va concrètement nous présenter. »

Les associations rassemblées dans la Fnaut-Paca (Fédération nationale des usagers des transports) voient avec la plus grande inquiétude le scénario d’une gare « nord Toulon » se mettre en place. « Une gare à Cuers serait une catastrophe, s’indigne Pierre Quilliet, président de l’association des voyageurs du moyen Var. A Avignon, le parking de la gare TGV, une agglomération d’environ 200 000 habitants, s’étendra bientôt sur 30 hectares. Imaginez la taille de celui qu’il faudrait construire à Cuers dans une zone deux fois plus peuplée ! Même si cette gare est reliée avec un TER à celle de Toulon, les habitants de la Seynes, d’Ollioules, de Sanary et de Hyères ne pourront pas s’y rendre en train. Et si les Toulonnais sont contraints d’utiliser leur voiture, au final, il leur faudra toujours autant de temps pour aller à Marseille ou à Paris ». En mairie de Toulon, on invoque d’autres arguments : la trop grande densité de la ville, le risque de créer un aspirateur à voitures en plaçant la gare TGV au centre. « L’exemple de Marseille prouve le contraire, conteste Philippe Cretin, responsable de la Fnaut-Var. Le parking adjacent à la gare SNCF n’est jamais plein. Les gens ne viennent pas en voiture prendre leur TGV. Je crois surtout qu’Hubert Falco a cru qu’obtenir une gare nord Toulon était un bon compromis avec les Niçois en garantissant de ne pas casser la vitesse de leur TGV. Techniquement, on peut pourtant laisser filer vers Nice à grande allure au nord de Toulon certains TGV et détourner tous les autres au centre de Toulon en empruntant la ligne classique. »

« Sans le dire, les élus tentés par une nouvelle gare en périphérie sont surtout séduits par des perspectives de spéculation immobilière. »

Le choix du tracé n’est pas qu’une affaire, aussi importante soit-elle, d’équilibre entre le rail et la route. « Sans le dire, les élus tentés par une nouvelle gare en périphérie sont surtout séduits par des perspectives de spéculation immobilière, juge Frédéric Laugier de la Fnaut-Paca. Le Var est déjà une valeur montante sur un marché qui n’a vraiment pas besoin d’une nouvelle flambée à la hausse ni de constructions anarchiques supplémentaires de résidences secondaires. Le sort des ménages à faible revenu serait un peu plus dégradé. » Sur ce registre, le scénario d’une nouvelle gare du côté de Brignoles – défendu par exemple par Jean-Claude Pernoud, président du « Train avenir du centre Var » au nom d’un rééquilibrage géographique dans le département – ouvrirait la porte à une urbanisation aux contours incertains. « Le coût serait élevé pour une rentabilité faible, cette hypothèse est incertaine et pas forcément source de développement économique », reconnaît-on officieusement en mairie (divers droite) de Brignoles. Un autre scénario semble bien plus avancé : celui qui envisage la création d’une deuxième gare TGV dans le Var entre les Arcs et le Muy. Installée sur un n?ud ferroviaire « historique » au carrefour des dessertes entre Draguignan et Saint Raphaël, ce projet suscite pour l’heure un assez large consensus. « Le processus qui débute est réellement ouvert, assure Bernard Gyssels, chargé de mission pour RFF. Nous attendons vraiment que tous les gens puissent s’exprimer. » Faudra-t-il encore que leurs objections soient aussi prises en compte.

Michel Gairaud

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