Les cauchemars de la belle endormie

novembre 2006
Il y a Aix-en-Provence façon carte postale : paisible cité bourgeoise, avec ses universités, son palais de justice, son art de vivre provençal, ses grands rendez-vous culturels. Et le côté caché du calisson : un maire contesté, une opposition divisée, des logements inabordables, une jeunesse négligée...

DOSSIER DU MOIS : LE RAVI CRECHE A AIX

« La loi SRU a été fabriquée par des intellos, de droite ou de gauche, comme tu veux ! » Début octobre, lors du conseil municipal, Maryse Joissains s’adresse à Lucien-Alexandre Castronovo, conseiller d’opposition radical de gauche qui l’interroge sur son refus de créer « trop » de logements sociaux à Aix-en-Provence. « La densification des quartiers déjà construits n’est pas une bonne idée. Ou alors c’est peanuts ! », poursuit Mme le Maire dans son style inimitable qui tranche avec le décorum solennel de la salle des Etats de Provence. Durant les séances publiques, le premier magistrat de la « ville du Roy René » nomme ses adjoints par leur prénom, court-circuite l’ordre du jour, multiplie les digressions diverses, tutoie presque tous les élus, ceux de l’opposition inclus. « Elle me tutoie, je la vouvoie, souligne Castronovo. Une fonction, cela se protège. Et puis, plus je suis poli, plus sa vulgarité apparaît. » Chaud l’ambiance !

Alors que l’échéance des élections municipales approche, le climat politique de la « belle endormie » est déjà électrique. Dans les rangs socialistes, les partisans d’Alexandre Medvedowsky et de Michel Pezet s’affrontent pour obtenir l’investiture du parti en 2008. Laissant Radicaux de Gauche (PRG), Verts, mais aussi l’UDF François-Xavier de Peretti, mener une opposition musclée contre le « système Joissains ». Car à Aix-en-Provence, le pouvoir s’exerce en famille. Alain Joissains, l’époux de Maryse, maire de la ville de 1978 à 1983, condamné pour abus de biens sociaux, occupe le poste de directeur de cabinet. Sophie, leur fille, est chef de cabinet à la Communauté d’agglomération du pays d’Aix (CPA). « Dans l’administration, menaces, pressions, intimidations du cabinet noir sont le lot commun, poursuit Lucien-Alexandre Castronovo. On sent bien que les Joissains cumulent absolument toutes les fonctions pour mettre un maximum de côté. » L’élu PRG a engagé une action en justice contestant l’indice de salaire dont bénéficie Alain Joissains, le plus élevé de l’hôtel de ville…

« Cette approche familiale du rapport au pouvoir et à la prise de décision par un petit cercle autorisé ne correspond pas à une pratique démocratique sereine et efficace », condamne Medvedowsky. « On retrouve le même scénario qu’à Vitrolles du temps des Mégret, assène François-Xavier De Peretti. Un ancien maire qui ne peut pas se représenter, fait monter sa femme en devenant son directeur de cabinet. Je viens de Corse : là bas, on appelle cela un clan. » S’il a conservé sa place protocolaire, lors des conseils, simplement séparé du maire par le premier adjoint, l’élu UDF est entré en résistance. Il a fondé « l’Union pour Aix », machine de guerre pour les prochaines municipales. Parmi les motifs de sa rupture ? « J’ai découvert des gens à la droite de la droite dont la culture n’appartient pas aux valeurs républicaines », dénonce François-Xavier De Peretti. « Maryse Joissains tient un discours ultra-radical, façon de gagner des voix sur l’extrême droite, déplore en écho Cyril di Méo, conseiller municipal Vert. Mais en plus de son discours populiste, elle fait vraiment une politique de classe, de « gentrification ». En refusant, par exemple, de construire des logements alors qu’Aix dispose d’une réserve foncière considérable, elle prend le risque de transformer définitivement la ville en un ghetto pour riches. »

Contestée sur sa « gouvernance », Maryse Joissains l’est aussi sur son bilan (1). « Ce n’est même plus un audit qu’il faut faire, c’est une autopsie, Derrière son vernis, cette ville souffre du manque de transports, de logements, d’emplois », assène Lucien-Alexandre Castronovo. « Est-il normal qu’à cause de tarifs immobiliers prohibitifs, Aix soit considérée comme le 21ème arrondissement de Paris ? Et que les aixois et leurs enfants soient obligés d’aller se loger à des dizaines de kilomètres de notre ville ? Une telle situation n’est pas tolérable ! », martèle Alexandre Medvedowsky. « On croit qu’Aix est une ville nantie mais le revenu moyen de ses habitants est plus bas que celui des autres villes de même taille en France, affirme François-Xavier de Peretti. En voulant bloquer artificiellement les mouvements naturels de population, la municipalité crée une surchauffe du marché de l’immobilier. Il faut bâtir un nouveau pôle urbain entre l’Arbois, les Milles, la Pioline avec la Duranne pour centre ». Michel Pezet, tout en refusant d’entrer tout de suite en campagne et « de commenter au coup par coup les dossiers traités au conseil municipal », juge aussi que le logement est le point noir à régler : « Il faut construire à Aix, sans forcément bâtir une nouvelle Vitrolles, en évitant de créer des zones où l’on travaille et d’autres où l’on habite. » L’agitation politique aixoise traduit aussi une crise d’identité et de croissance, d’une ville qui a gagné 5 % d’habitants en cinq ans. Polluée, saturée par les embouteillages – « on passe parfois autant de temps dans son véhicule qu’en région parisienne », souligne Alexandre Medvedowsky – Aix-en-Provence ne cadre plus forcément avec sa carte postale. Les étudiants, censé être chez eux, n’y sont guère choyés. L’hyper centre se musifie mais est déserté par les familles chassées par le prix des loyers, une offre en crèche insuffisante. « Le conseil municipal a voté la diminution de l’aide aux écoles car les inscriptions diminuent », dénonce Cyril di Méo. Concurrencée par Marseille qui revendique son rôle de ville centre de la métropole, Aix n’a plus forcément la main haute sur le domaine universitaire ou judiciaire. Même en matière culturelle, autre secteur de prédilection, la ville peine à préserver la diversité de son offre au profit d’un certain élitisme. « L’exposition Cézanne, qui a pris des années à être mise en place, a été un succès. Très bien ! Mais est-ce que cela va retomber comme un soufflé ? », questionne Michel Pezet. Aix ne dort plus. Mais elle a du mal à ouvrir grand les yeux. Michel Gairaud

(1) Lire l’entretien qu’elle a accordé au Ravi

AU SOMMAIRE

Niveau de vie: Coûte que coûte Pasino: Faux-jetons

Culture: Entre excellence et élitisme Transport:Vroum vroum

Le jeu de l’Aix-oie

Etudiants: A la recherche du paradis perdu Elections: Décomposition, recomposition

Entretien avec Maryse Joissains : « Une citoyenne comme une autre » Joissinades : Maryse dans le texte

Imprimer