Rudy Ricciotti, l’archi-frime

juillet 2004 | PAR Paul Tergaiste
Rudy Ricciotti, architecte. Habite et bâtit en PACA. Prochain chantier : le MUCEM à Marseille, projet d'une fadeur proportionnelle à l'emphase de son réalisateur.

« Il est foutu le temps des cathédrâââââââââleuuuuuus, laaa, la-la, la-laaaa » (il arrive en chantant sur la mélodie du klaxon multitonal de son cabriolet sportif dont il descend en enjambant la portière. Sur la banquette arrière, deux top models réajustent leur string Calvin Klein puis se refont les ongles). Salut, moi c’est Rudy Ricciotti : R.R., comme Rolls-Royce. Je ne manque pas d’ « r », ha, ha, ha ! (Riant comme un possédé, il entreprend une sarabande devant sa villa surplombant la mer. Sur le paillasson, inscrit en quatre langues : Money makes the devil dance. Puis, il monte quatre à quatre les escaliers sans que son costume neuf de couturier milanais ne se froisse). Tu vois ce bureau, coco, c’est « l’ambition démesurée du travail ». (1) Six mètres de cuir pleine fleur, du requin blanc des Malouines. Pêché à la mouche, autrement, la peau est trop rugueuse. « Prévu provisoirement chez Honecker, pour être installé définitivement chez Ricciotti ».(2) Que veux-tu, les empires meurent, les architectes restent. Du haut de ces pyramides… (il ouvre une cave à cigares en ronce de noyer). Un cohiba ? Tu vois, ce que Ricciotti aime dans le cigare, c’est qu’il est roulé sur les cuisses finement perlées de sueur de jeunes ouvrières cubaines. C’est ce qui leur donne ce parfum inimitable.

Ricciotti est né à Alger la Blanche, a grandi à Marseille, et maintenant habite ici à Bandol, chez les vieux friqués, dans une villa refaite d’après carte postale. C’est comme ça, j’habite une carte postale, alors que je prône partout la radicalité. Enfin, surtout ici. Ricciotti est bien implanté dans la région, ça marche bien, mon côté Rital grande gueule. Bon, c’est un peu lourd parfois, d’être le régional de l’étape, quand on prétend à la stature internationale. Bref, outre quelques villas pour richards sur la côte, Ricciotti a réalisé entre autres le Centre Régional de l’Information Routière (Marseille), Le Centre Chorégraphique de mon pote Preljocaj à Aix, qui dit de moi que je suis un peu « gitan » comme lui. Ah, ah, sacré Angelin ! On est pas très camping, c’est vrai. Les ?uvres d’art que j’entasse, ça ne rentre pas dans la caravane ! Sinon, j’ai réalisé le Stadium de Vitrolles. Salle de spectacles mégalo voulue par la municipalité socialiste d’alors, fusillée par la Cour des Comptes, ce qui ouvrit un boulevard à Mégret pour remporter les élections. Prophétiquement, Robert Smithson (3) a parlé de « ruines à l’envers », à propos du Stadium. Ça fait cinq ans qu’il est fermé, ce chef-d’?uvre ! Les derniers concerts : du rock facho. Et maintenant, des Gitans qui squattent le parking. Non, non, pas Preljo et Ricciotti !

Maintenant, Ricciotti vient de décrocher le concours du MUCEM (4) à Marseille, qui sera à l’entrée du Vieux-Port. Pour remporter un concours, rien de tel que de se la jouer en transe extatique, traversé par l’inspiration. Ça marche aussi dans les amphis, devant les étudiants en archi. Bref, 146 millions d’euro, le MUCEM. Pour « un projet qui n’a que la peau et les os »(5), alors que certains n’ont pas hésité à évoquer une « architecture charnelle ». Gaudin et sa clique ont soutenu à fond mon projet, parce que « les habitants n’auraient pas aimé un projet d’avant-garde » (6). Putain, les boules ! Humilier Ricciotti comme ça ! Et les pros d’enfoncer le clou : « Un choix timoré » ! (7) Ricciotti a gagné, à 11 voix contre 10, ça a été juste. Les socialos, ils voulaient un truc genre Opéra de Sidney, ou alors, pour la veuve Defferre, un Guggenheim comme à Bilbao… De toutes façons, à quoi bon un truc d’avant-garde pour des expos « où on serait surpris de voir des photographies de femmes non voilées dans des pays islamiques, mais aussi l’inverse »…(8) Bon, je te laisse, Ricciotti va aller faire un tour en pointu et bouffer des oursins violets avec Tania et Ingrid pour se calmer.