Paix, force, joie et polémique !

décembre 2004
Le Mouvement humaniste et ses nombreuses filiales - Centre des cultures, parti Humaniste, Régionale humaniste Europe, Nouvel Humanisme, Humanisme Universaliste... - a été listé comme une secte par les parlementaires en 1996. Pour les « humanistes » marseillais, cela prouve simplement le sectarisme du « système » qu'ils combattent.

« Nous ne sommes pas une secte. L’entrée est libre, la sortie aussi ». Philippe Suard, préside le Centre des cultures à Marseille. Objectifs affichés de l’association : promouvoir la rencontre entre les différentes cultures, lutter contre toutes les formes de discriminations, mettre en place des projets de développement humaniste à l’étranger… Le premier point de la charte du Centre se réfère au credo principal du Mouvement humaniste auquel il est affilié : « la non violence est la seule solution à la crise sociale et individuelle que connaît le monde aujourd’hui ». Philippe Suard assume sans détour son appartenance au courant « philosophique » fondé en 1969 en Argentine par Mario Rodriguez Cobos, alias Silo. Et c’est sans violence, bien entendu, qu’il renvoie les associations anti-sectes à leurs études : « que ce soit pour de l’argent, du pouvoir, du sexe, personne n’a jamais trouvé un motif sérieux pour faire condamner le mouvement humaniste devant les tribunaux. Mais quand on est anti-système, on dérange logiquement le système. Une association anti-secte comme l’ADFI est sous perfusion des pouvoirs publics ».

La fameuse liste de 173 sectes figurant dans le rapport parlementaire de 1996 mentionne sans ambiguïté le Mouvement humaniste. Et le désigne, au même titre que l’Eglise de scientologie ou les Témoins de Jéhovah, comme présentant pour les adeptes un danger de « rupture avec leur environnement d’origine ». Le rapport dénonce ce « groupe alternatif » comme porteur d’une logique les conduisant à « consacrer le plus possible de son temps à la secte, à ses rites et à ses croyances ». Dans le modeste F2, avenue des Chartreux – siège social du Centre des culture et domicile privé de son président, on est très loin des fastes du Mandarom ! Et les propos tenus s’affilient plus volontiers, au premier abord, à la tradition libertaire qu’au prêche d’un curé le dimanche matin. « Sans être anarchistes, nous ne voulons pas de chefs, souligne Philippe Suard. Ils sont à l’origine de cet état de violence généralisé qu’on connaît aujourd’hui. Aucun d’entre nous ne peut être placé au dessus de l’autre ». Pas de chef mais des « orientateurs ». Et donc des orientés.

« Au Mouvement humaniste, ce sont les rois de la dissimulation, du mensonge public. Ils ne donnent pas leur finalité. C’est un groupe qui ment sur son identité »

L’idéalisme des humanistes se conjugue avec un goût prononcé pour une comptabilité bien ordonnée. Lorsqu’un sympathisant décide d’adhérer au mouvement, il devient un « délégué de groupe ». S’il « oriente » dix délégués de groupe (sept pour les femmes), il devient à son tour délégué d’équipe. Le délégué général oriente dix délégués d’équipes. Il peut alors participer à l’assemblée du Mouvement humaniste. Au niveau mondial, il y aurait actuellement 139 coordinateurs généraux se réunissant, « par vidéo-conférence », lors d’une « assemblée du mouvement humaniste ». Assemblée non élue, non révocable, qui désigne tous les deux ans un coordinateur délégué général.

Actuellement, l’espagnol Maxi Elegido. « Un orientateur, ce n’est pas un chef. C’est, au sens étymologique, celui qui signale la possibilité future », précise Philippe Suard. Nous voilà rassuré ! Didier Pachoud, président du GEMPPI (Groupe d’étude des mouvements de pensée pour la prévention de l’individu), délégué régional du Centre de documentation, d’éducation et d’action contre les manipulations mentales Roger Ikor, l’est un peu moins. « Au Mouvement humaniste, ce sont les rois de la dissimulation, du mensonge public, affirme-t-il. Ils réunissent des gens autour d’un festival, d’une association culturelle, d’un journal de quartier. Ils suscitent la sympathie en soulevant des questions de société. Mais ils ne donnent pas leur finalité. C’est un groupe qui ment sur son identité ». Silo, le fondateur du mouvement, serait-il un gourou ? Son message, le Siloïsme, a été formulé la première fois dans son « discours sur la montagne » en 1969. On peut le résumer ainsi : la violence économique, raciale, politique, est générée par la souffrance morale et physique. Pour l’exorciser, deux pistes : la transformation sociale et le développement personnel. Silo est l’auteur de divers ouvrages d’un genre indéterminé, entre mysticisme et politique, poésie et néo-scientisme. Petit morceau choisi : « ne crains pas la pression de la lumière qui t’éloigne de son centre avec toujours plus de force. Absorbe-la comme un liquide ou un vent car vraiment elle est la vie (…) Prends la Force de la cité cachée. Retourne au monde de la vie dense avec ton front et tes mains lumineux. » (1) Des accents, permanents, clairement messianiques. « Silo est une grande référence, un penseur comme il n’en existe plus depuis Sartre, considère Florent Delaunay, membre du bureau du Centre des cultures. Il s’est retiré du mouvement et ne siège plus à l’assemblée humaniste ». Lors d’une conférence prononcée en octobre à Marseille, Philippe Suard compare aussi Silo à Gandhi et Martin Luther King. Un enthousiasme que partagent les seuls humanistes : inutile de chercher la Guérison de la souffrance ou le Livre de la communauté, à la Fnac ! En France, Silo n’est publié qu’aux « Editions Références », une maison humaniste… Les génies sont souvent incompris !

Les humanistes, adptes de la formule « paix, force et joie ! », pratiquent régulièrement, en groupe et sous la conduite d’un « orientateur », des séances de développement personnel : « expériences guidées », exercices « d’autolibération »… Ainsi que des cérémonies de mariage, de mort, de « protection des enfants ». « Si occasionnellement on fait appel à l’inspiration du Guide Intérieur… Si, de façon hebdomadaire, on participe aux cérémonies et aux méditations sur le Livre, le Chemin et les matériels complémentaires… Si, mensuellement, on réfléchit à la croissance intérieure obtenue face aux difficultés de la vie… Alors, on est sur le chemin de l’illumination spirituelle », a indiqué Silo (1). Tous les humanistes ne sont pas sensible à cette approche spirituelle, nous affirme-t-on au Centre des cultures. « On ne peut pas faire reculer la violence, sans faire un travail sur soi, explique Philippe Suard. Comment croyez-vous que j’ai trouvé l’énergie d’aller soutenir, toutes les semaines, la lutte des sans-papiers alors que la CGT refusaient chaque fois ma présence au nom du rapport parlementaire ? »

Mais les humanistes, ne sont pas toujours rejetés. Sur Marseille, on connaît leur action pour reloger des Comoriens et des Algériens. En octobre, une « journée internationale de la non-violence » a été organisée à la Plaine au Centre social Julien avec le soutien de l’Exodus et de l’Intermédiaire, deux salles de spectacles du quartier. Autre initiative récente : l’organisation, cet été, du festival « tous humain sous les étoiles » dans le Haut Verdon. Le réseau Mille Bâbords, médiathèque alternative marseillaise, relaye les initiatives humanistes au même titre que les autres acteurs du mouvement social. Et, face à l’étonnement ou à la colère de certains militants (2), Mille Bâbords persiste et signe : « si on devait éliminer tous les mouvements sectaires, il ne resterait peut-être plus grand monde ». Au Centre des cultures, on mène actuellement campagne pour reconstruite 15 écoles dévastées par la tempête à Haïti. Des écoles fondées par des humanistes… « Que l’on soit des originaux, pourquoi pas ?, reconnaît Nelly Flecher, une des animatrices du Centre. Nous sommes des agitateurs sociaux avec une mystique. On ne correspond pas aux critères établis. Nous n’entrons pas dans une case. Est-ce une raison pour nous traiter de secte ? ».

Michel Gairaud

1 Le message de Silo à lire sur le site officiel du mouvement : http://silo.net 2 Lire les échanges sur http://marseille.indymedia.org

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