Guérini : la guerre de succession est déclarée

octobre 2011 | PAR Rafi Hamal
Cerné par la justice, le président du conseil général des Bouches-du-Rhône refuse de démissionner tout en essayant de garder la maîtrise de sa succession. Enquête chez les socialistes du « 13 » en pleine tempête. Cet article est paru début octobre dans le Ravi. Depuis, tout va très vite : suite à une plainte de l'opposition UMP, le tribunal administratif a déclaré illégale, le 25 octobre, la décision de Jean-Noël Guérini de déléguer une partie de ses pouvoirs à son premier vice-président. Conclusion : le revoilà président à plein temps. Quelques Conseillers généraux (Marie-Arlette Carlotti, Michel Pezet, Janine Ecochard) exigent sa démission. Comme Laurence Vichnievsky, conseillère régionale EE-LV, ou, à Paris, Arnaud Montebourg. Martine Aubry a fini par s'exprimer clairement sur le sujet lors d'un bureau national du PS le 2 novembre : elle aussi demande désormais explicitement à Jean-Noël Guérini de quitter la tête du Conseil général...

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Jean-Noël Guérini, ressemble à Buster Keaton, dans la célèbre scène où celui-ci s’accroche désespérément aux aiguilles d’une horloge. Le sénateur est désormais suspendu au temps de la justice. 4 h 30 d’audition, le 8 septembre, et quatre questions ont suffi au juge Charles Duchaine pour trancher : mise en examen pour « prise illégale d’intérêt, trafic d’influence et association de malfaiteurs ». En toile de fond, une vaste affaire de marchés publics supposés frauduleux, dans laquelle son frère, Alexandre, a également été mis en examen. Depuis deux ans, ce maelström judiciaire a emporté, pêle-mêle, des affairistes, des malfrats et des politiciens dont les rondes complices ont été largement rapportées dans la presse. Tout un engrenage qui a vu le patron incontesté des socialistes des Bouches-du-Rhône passer au statut de « boulet moral », selon l’expression du premier secrétaire du PS par intérim, Harlem Désir.

Jean-Noël Guérini, criant à « l’acharnement et au complot », s’activant à usiner une image de victime collatérale des primaires, s’est donc mis en congé du Parti socialiste. Il a officiellement transmis « tous ses pouvoirs » à son premier vice-président, Daniel Conte, créant au passage des difficultés juridiques. Mais il refuse de démissionner de la présidence du conseil général comme le réclame pourtant avec force Harlem Désir. « Jusqu’à la fin des primaires, le 16 octobre, ce sera, pour Jean-Noël Guérini, la meilleure attitude à avoir », analyse Gérard-José Mattei, nouveau directeur de cabinet de Michel Vauzelle, le président socialiste du conseil régional. En temporisant, « JNG », même cabossé, veut garder la maîtrise en choisissant « son successeur ». Un billard à trois bandes, qui a démarré, selon certains proches témoignant toujours sous le sceau de l’anonymat, au moment des cantonales.

Daniel Conte, fatigué, n’était alors pas très chaud pour rempiler, mais roublard, Jean-Noël aurait ardemment encouragé le doyen du CG. « Guérini savait très bien qu’il allait être mis en examen. Il savait aussi que sous la pression, il serait obligé de prendre un peu de recul pour donner le change ; alors il a préféré anticiper et choisir la meilleure marionnette », décrypte un habitué du vaisseau bleu. « C’est un écran de fumée, Guérini tire toujours les ficelles », confirme la conseillère générale PS Marie-Arlette Carlotti. « C’est un jeu à triple tiroir avec double fond », peste Philippe Sanmarco, ex-socialiste rallié à l’UMP. L’armure morale en bandoulière, le chef de file de Convention citoyenne s’indigne « de ces petits arrangements permanents dans certains appareils politiques ».

La chasse aux mauvaises pensées

C’est au conseil général que le fumet de ces « arrangements » est le plus capiteux avec la désignation du maire de Mallemort, Daniel Conte, désormais président consort. Pour sa première sortie, le 10 septembre, il a servi un discours lénifiant : « Rien ne change, j’ai une continuité à assurer, pas de style à imprimer. » Et concernant le clientélisme tant décrié dans l’institution départementale ? Réponse du pittoresque président par intérim : « Le clientélisme ? Je ne suis pas de Marseille ! » Sur des airs de « On s’est connus, on s’est reconnus », la secte heureuse des Guérinistes, reprend en chœur le thème du « complot politique » tout en se voulant sereine. « On a dit beaucoup et n’importe quoi », assure le sénateur-maire d’Allauch, Roland Povinelli. « Maintenant, des explications vont pouvoir être apportées et chacun verra », répond en écho Mario Martinet, conseiller général socialiste du canton de Berre-l’Étang.

« Faire la chasse aux mauvaises pensées », c’est la nouvelle mission de Jean-David Ciot, promu successeur de Guérini à la chefferie de la Fédé 13. Le maire PS du Puy Sainte-Réparade, tente de faire passer des petits matins frisquets pour de grands soirs : « Jean-Noël a pris une sage décision, il va pouvoir préparer sa défense sereinement sans gêner les primaires. Les militants n’ont pas perdu confiance, ni en lui, ni dans le parti, on se doit d’être unis. » Hum… Les dernières révélations de la justice semblent avoir sorti de leurs torpeurs les plus assoupis. Janine Écochard, conseillère générale depuis 1998, trouve des accents de Louise Michel, pour demander, outrée, « la démission et non le retrait » de celui qu’elle a servi depuis plus de deux mandats. La gravité de l’affaire aurait-elle mérité un réveil moins tardif ? « Comme tout le monde, j’ai appris certaines choses dans la presse », glisse l’élue qui, le 31 mars dernier, avait tout de même donné sa voix pour la réélection à la présidence du CG, comme l’ensemble des conseillers socialistes, d’un Guérini déjà dans la tourmente !

La lutte des places

« Les socialistes à Marseille doivent faire preuve de courage, mais s’ils sont soutenus par leur parti à Paris, ce sera plus facile », déclare, à Libé, Patrick Mennucci, maire socialiste du premier secteur de Marseille. Mais attention, les aigrefins sont priés d’enrubanner leurs propos de multiples précautions. Et pour cause, la vieille garde guériniste, disposée façon escadrille de chasse, n’hésite pas à fondre sur les intrépides. « JNG est traîné dans la boue par des camarades. Moi, je n’ai jamais été son conseiller ou son directeur de campagne, comme Mennucci, qui le critique aujourd’hui », glisse Rébia Bénarioua, conseiller général des quartiers Nord. « Qu’ils s’en aillent, ils ont profité du système et maintenant ils critiquent. Eh bien qu’ils s’en aillent ! Mennucci comme les autres », s’emporte Daniel Conte, manifestement agacé. « Durant l’affaire Urba, le parti a été solidaire avec tous les élus mis en cause : Écochard et Pezet, entre autres. Ils semblent l’oublier aujourd’hui », se désole Jean-David Ciot.

Sachant d’expérience se coltiner avec les réalités troubles, le taiseux Théo Balalas, l’allure chaloupée, ne s’en laisse pas conter. « Beaucoup font leur numéro dans cette histoire », déclare l’ex-militant du FN, ex-responsable des adhésions à la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône, toujours membre du bureau fédéral. Invité à s’épancher sur son vague à l’âme, l’ancien membre de l’O.A.S., toujours membre à jour de cotisation de l’Adimad (1), association « nostalgérique » d’extrême droite, embraye, le sourire carnassier : « Monsieur, si je racontais toutes les histoires du PS13, je ferais du Balzac en 36 volumes. » Mais encore ? « Je n’ai plus rien à dire, compris ? » C’est le propre des esprits visionnaires d’aller à l’essentiel ! Malek Boutih, membre du bureau national du PS, réclame désormais l’exclusion de Théo Balalas car « un facho n’a pas sa place au PS » (la Provence, le 20/09). Il était temps !

Autre coup du sort, deux proches de JNG sont inquiétés par la justice. Le sénateur socialiste et maire de Berre-l’Étang, Serge Andreoni, est convoqué le 14 septembre pour des faits présumés de complicité de trafic d’influence. Il échappe alors provisoirement au juge pour raison de santé. La cour d’appel d’Aix-en-Provence a pour sa part condamné, mercredi 7 septembre, à deux ans de prison ferme, cinq ans d’inéligibilité et 100 000 euros d’amende, Bernard Granié, président socialiste du Syndicat d’agglomération nouvelle (San) Ouest Provence. Histoire de rajouter un peu plus de trouble à une situation déjà vaseuse, François Bernardini, maire d’Istres et vice-président du San, annonce vouloir adhérer à nouveau à la Fédé 13 après en avoir été exclu en 2001. Il est aujourd’hui un candidat potentiel à la succession de Granié.

Au CG13, ils sont un certain nombre, malgré l’exiguïté du sentier qui mène au fauteuil de président, à rêver. « Non, je ne suis pas dans cet état d’esprit, il y a déjà un président. Mais, je ne dis pas que je n’en suis pas capable », minaude Christophe Masse. « On est passé de la lutte des classes à la lutte des places ! », observe, taquin, Franck Dumontel, ex-directeur de cabinet à la communauté urbaine et au conseil régional, aujourd’hui consultant-conseil. Qui, alors, pour succéder à Jean-Noël Guérini ? Jean-David Ciot esquisse « les deux futurs possibles » pour le CG : « L’avenir, ce sont des élus plus jeunes comme Gachon, le maire de Vitrolles, ou Mario Martinet, celui de Berre-l’Étang ». Mais gare ! Jean-Noël Guérini, a prévenu qu’il allait se défendre « comme un lion ».