A bas toutes les guerres !

novembre 2011
Il n'y en a pas un pour cent et pourtant ils existent... Jadis fruits de l'audace de quelques uns, les monuments pacifistes inaugurés après la première guerre mondiale commémorent aujourd'hui leur refus éternel de la guerre. Petite balade régionale à l’occasion du 11 novembre.

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Le « poilu » est imberbe. Sous sa vareuse réglementaire ceinturée par une cartouchière, le pioupiou frétille de vie. Son visage n’est plus casqué car il a déjà perdu sa bourguignotte, en équilibre sur le piédestal, près des bandes molletières lovées sur ses brodequins. Le regard porté au ciel, en appui sur sa jambe droite, il lance son bras pour jeter une simple pierre. Vers l’infini. Mais déjà, son poing gauche est serré contre sa poitrine. Peut-être s’apprête-t-il à chanceler ?

« Cette sculpture, pétrie de romantisme, représente l’instant où tout bascule, commente Virginie Riou, auteur d’un article d’ethnologie (1) dans lequel elle étudie ce monument pacifiste de Mazaugues (83). Ce monument est didactique, il fut construit en face de l’école laïque, de la poste, de la bibliothèque, des douches publiques. Il marquait sa volonté de transmission auprès des générations futures dans ce lieu familier des enfants. Rares sont les monuments qui représentent un poilu totalement désarmé. » En 1922, la municipalité de gauche laïque fait preuve d’une autre audace pour l’époque, en faisant graver l’inscription « La commune de Mazaugues, à ses enfants victimes de la guerre ». En 1935, une autre municipalité aménage le square, et délibère : « À bas toutes les guerres ! Vive la République universelle des travailleurs ! » Puis le Maire Charles Fabre, ardent soutien du Front Populaire, fera même ajouter un an plus tard sur le socle de la sculpture, les deux plaques suivantes : « L’union des travailleurs fera la paix du monde (Anatole France) » et « L’humanité est maudite, si, pour faire preuve de courage, elle est condamnée à tuer éternellement (Jean Jaurès) ».

Jugés non conformes

Au lendemain de la fin de la première guerre mondiale, les communes françaises voient naître ce que les historiens nomment « le phénomène commémoratif », jusque là réservé au pouvoir exécutif. Après un assouplissement de la procédure, des commissions artistiques départementales sont mises en place afin de distribuer avis et subvention d’État, mais également pour prémunir les citoyens de « l’art industriel » jugé décadent, et des monuments dont la composition serait « déconcertante », comme ce fut le cas à Ginnaservis (83)… Tous les pacifistes inspirés auront donc à se débrouiller seuls.

Beaucoup de communes françaises, y compris celles ayant commandé un monument patriotique jugé non conforme par la Commission, passeront outre son avis. Dans l’hexagone, sur plus de 36 000 communes, moins d’une centaine peuvent s’enorgueillir d’héberger aujourd’hui une composition pacifiste. C’est à la Fédération de la Libre Pensée et à un de ses militants, Jean Girard, que l’on doit d’avoir sorti de l’oubli ces sculptures, grâce à une brochure intitulé « Autour de quelques monuments pacifistes de France ». Deux autres libres penseurs, Danielle et Pierre Roy, poursuivent désormais son travail en enrichissant et rééditant régulièrement l’édition (2).

Pour établir leur classement et admettre un monument comme « pacifiste », les auteurs ont aiguisé leurs baïonnettes et appliqué une véritable discipline. Que les observateurs y décèlent une référence religieuse manifeste, un bout de canon, ou un soldat adoptant une position offensive ou défensive, et voilà la sculpture rétrogradée au rang de vulgaire monument. « Par « pacifiste », nous entendons également « laïque ». Les inscriptions sont importantes ! » confie Pierre Roy. La phrase pacifiste la plus courante en France étant « Maudite soit la guerre », reniant les traditionnels « Morts pour la Patrie » ou « Mort pour la France », bien que parfois des juxtapositions pacifistes-patriotes puissent exister.

Un exemple d’ambiguïté ? Le monument de Clans (06) rend un « Hommage respectueux aux enfants de Clans morts à la guerre » avant de proclamer « Maudits soient les responsables de la guerre et honneur à ceux qui ont travaillé pour la paix ». Dans le même département, la commune de Peille possède un autre monument que les Libres Penseurs ne reconnaissent pas : un poilu traditionnel, sur un piédestal, avec pour socle le sixième commandement du décalogue : « Tu ne tueras point ».

Quand Vichy s’en mêle

Si l’aspiration à la paix est fréquente sur les monuments français, les inscriptions pacifistes sont rares. À Draguignan (83), les termes qui furent gravés à la création du monument « Aux enfants de Draguignan victimes de la guerre » ont d’ailleurs été jugés choquants et remplacés par la municipalité Vichyste de 1941. C’est son inscription « Aux enfants de Draguignan morts pour la France » qui a aujourd’hui subsisté…

Mais à Château-Arnoux (04), les bellicistes ont bel et bien perdu. Comme c’est la coutume au lendemain de la grande guerre, une souscription pour l’édification éventuelle d’un monument y fut lancée en 1922 auprès des 1 657 bonnes âmes. La souscription sommeille trois ans, mais en 1925, un instituteur à la retraite devient maire de la commune : le socialiste Victorin Maurel (1868-1935), également poète et membre fondateur de la Ligue des Droits de l’Homme. En 1928, un marché de gré à gré est passé avec le sculpteur Alfred Salvignol, installé à Nice, déjà auteur d’un certain nombre de monuments aux morts dans la région. Le sculpteur rompt avec son style et suit scrupuleusement les recommandations de Victorin Maurel.

C’est alors au pied d’un obélisque qu’une veuve éplorée montre une liste de morts à son jeune fils. L’adolescent est debout, le corps droit et le regard figé vers les noms des victimes. Déterminé, il brise un glaive sur ses genoux. « Plus jamais ça », pourrait-on lire sur ses lèvres pierreuses. Au sommet de l’obélisque, il n’y a pas un soldat, mais un globe terrestre, entouré d’un rameau d’olivier. Sur le socle du monument, l’inscription « Pax, Vox Populi » est suivi d’un poème du maire (voir encadré). Un arrêté du 22 février 2010 est venu consacrer ce lieu de mémoire unique dans notre région, puisqu’il a été classé par la Conservation régionale des monuments historiques. « Nous sommes fiers de ce monument atypique, témoigne Gérard Combe, actuel adjoint au patrimoine de Château-Arnoux. Il était important qu’il soit classé. Pour son pacifisme, mais aussi pour honorer la mémoire de Victorin Maurel. »

Si le cœur vous en dit, faites donc le voyage jusqu’à l’un de ces monuments pacifistes. Ils sont la preuve qu’une commémoration peut se faire sans drapeau, sans uniforme, et tournée vers l’avenir.

Jean-Baptiste Malet

(1) Les Cahiers de l’ASER n° 14. http://asercentrevar.free.fr

(2) « Autour des monuments aux morts pacifistes en France », Danielle et Pierre Roy, www.fnlp.fr

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