« Pardon, c’est Sarko ! »

décembre 2011
Tous les mois, un grand reporter du Ravi « teste » incognito un conseil municipal dans une ville ou un village de notre belle région... Dans le numéro de décembre, actuellement en vente, nous nous sommes intéressé à une réunion de concertation de l'agglomération Marseille Provence Métropole. En novembre, nous étions à Saint-Raphaël (83) dont nous publions ici le compte rendu.

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17h28 « T’as vu, il va parler ce soir », lance une retraitée à sa voisine, à propos de l’intervention de Nicolas Sarkozy sur TF1 et France 2. La bavarde enchaîne en faisant preuve d’une vraie culture politique : « Ils ont même critiqué son prénom [à la fille du président, Ndlr]. Ils sont quand même méchants les Français ! Avec Mazarine [la fille cachée de François Mitterrand, Ndlr], ils n’ont jamais rien dit… »

17h32 Christelle Plantavin, adjointe au Tourisme, crache délicatement son chewing-gum dans une serviette en papier.

17h33 Georges Ginesta fait son entrée par une porte dérobée. Costar sombre, cravate rose sur chemise bleue rayée, un bon mètre quatre-vingt-cinq sportif, le maire (depuis 1995) de Saint-Raphaël contourne ses élus tout sourire. Avant de s’asseoir, le député de la ville (depuis 2002) serre la main de notre confrère de Var Matin, un peu surpris.

17h37 Ça part fort. À l’annonce de la nomination, « sans rémunération », de son directeur général des services à la tête de la régie municipale pour le stationnement (délibération 2), le maire interpelle son opposition – et une salle de retraités conquise – qui le taquine sur le cumul de fonctions (PS) et l’âge du fonctionnaire (Modem) : « Vous croyez que vous allez vous en sortir avec la règlementation actuelle ? Il n’y a plus rien dans les caisses. Vous allez travailler jusqu’à 70 ans ! À 67 ans, Berlusconi est toujours en forme ! » La majorité, notamment quelques jeunes relégués en fond de salle, et le public apprécient bruyamment.

17h50 Droit sur sa chaise, sa position favorite, impassible, le député-maire joue avec un élastique en scrutant la salle d’un regard totalement inexpressif. Roland Germain, son adjoint aux Travaux neufs et grosses réparations (sic), s’essuie le front.

17h54 Brushing, lunettes et châle fuchsia sur les épaules, Colette Pitol-Laugier boude. Une nouvelle fois, la chef de fille de l’opposition PS annonce l’abstention de son groupe. Georges Ginesta la taquine : « Vous ne savez pas pourquoi ! » La socialiste apporte enfin une explication : « C’est votre cuisine, vous ne nous demandez pas notre avis ! »

17h57 Gestes un peu précieux, voix sourde et barbichette, Alfred Geisler, adjoint à l’Urbanisme, annonce « l’approbation de la 7e modification du plan local d’urbanisme » (délibération 9). L’élu se félicite : « Il y a eu une enquête publique entre le 3 août et le 9 septembre. Le projet n’a pas fait l’objet d’observation. » À cette période, à moins que les touristes n’aient été consultés, le contraire aurait été étonnant…

18h01 Un téléphone sonne ostensiblement. Georges Ginesta décroche : « Pardon, c’est Sarko ! » Son humour pince-sans-rire fait une nouvelle fois mouche.

18h02 Où l’on apprend que la mairie brade un terrain 300 000 euros au lieu des 900 000 estimés par les services de l’État. « On passe outre car c’est pour faire du social, 24 logements de plus », se félicite Georges Ginesta. Avec un taux de 7,2 % de logements sociaux, le député-maire va devoir vendre la ville pour atteindre les 20 % de la loi SRU…

18h10 Depuis plusieurs minutes, les délibérations s’enchaînent avec un élu différent pour chaque délibération. Un choix de Georges Ginesta pour impliquer son équipe ? Tous en profitent en tout cas pour saluer la salle !

18h13 Roland Germain lisse sa moustache pendant qu’Alfred Geisler en fait autant avec sa cravate, visiblement satisfait. La petite bande continue à ricaner.

18h16 « Attribution d’une subvention exceptionnelle à caractère patriotique » (délibération 19). L’argent est distribué à une association présidée par un ancien militaire – « qui a sauté sur une mine au Liban », dixit le maire – et champion du monde handisport. « C’est normal qu’on donne un coup de main à ces militaires. C’est de l’argent bien placé », explique Georges Ginesta. Coup de brosse à reluire dans sa majorité : « Comme toujours ! » Éric Tuboeuf, jeune conseiller PS, veste noire et chemise rose, est sceptique : « On verra. » Le maire : « Moi, je fais confiance a priori aux militaires. » La salle manque d’applaudir.

18h22 Georges Ginesta poursuit son show. Alors qu’Yves Bertherat s’inquiète d’une nouvelle taxe sur la construction (délibération 21), le député-maire tacle : « Vous avez peur qu’il y ait moins de recettes ? » Puis embraye sur la primaire socialiste, sur un petit air de campagne : « C’était PS Académie ! Est-ce que Martine sera en 2e semaine ? Est-ce que François va réaliser son rêve ? Est-ce que Martine et François vont coucher ensemble ? On a eu la réponse : François, c’est la gauche molle ! » Majorité et retraités sont aux anges. Georges Ginesta conclut : « Heureusement, Sarko va gagner ! »

18h27 Colette Pitol-Laugier boude toujours.

18h35 Josiane Chiodi, adjointe aux Affaires juridiques, achève la présentation détaillée des emprunts de la ville, qui ont eu droit aux honneurs de la presse nationale (voir p. 11). Pierre Bout s’inquiète : « Voilà un bel exposé qui devrait nous tranquilliser. Mais j’ai lu un journal spécial, Libération, qui mettait en évidence trois points rouges dans le département, dont Saint-Raphaël, qui devrait à Dexia un supplément de 7 millions d’euros. Qui a raison ? » Le maire le « tranquillise » à sa manière : « Vous devriez lire la presse locale ! » Puis poursuit en tentant la pédagogie, ou l’enfumage, au choix. Aidé de ses mains, Georges Ginesta revient sur les décisions prises au niveau européen, parle « emprunts courts », appelle à la création « d’un organisme public adossé à la Caisse des Dépôts et consignations pour financer les collectivités », etc. Le public boit ses paroles. Chaque bruit de chaise provoque des regards désapprobateurs. Conclusion de l’UMP, bien en campagne : « D’un mal peut sortir un bien. Au niveau politique aussi, puisque nous avons repris en main la finance. »

18h44 Franchement pas convaincu, Éric Tuboeuf relance : « Il n’y donc pas de problème pour la ville ? » Georges Ginesta : « Ces emprunts sont toxiques s’ils dérapent, ce qui n’est pas le cas. » Puis il offre une exclusivité à son public : « Le problème, c’est que le dollar est trop faible par rapport au yen. » Notre retraité : « Oui ! »

18h51 Colette Pitol-Laugier tient enfin sa vengeance. Yves Bertherat questionne le maire sur le projet de nouvelle communauté d’agglomération, imposée par la réforme territoriale (délibération 24). Le préfet propose un groupement de quatorze communes. Fréjus et Saint-Raphaël, pour l’instant en couple, s’associeraient notamment avec trois autres villes littorales. Le PS n’est pas contre, mais a une préoccupation : « La représentation de l’opposition ? » Georges Ginesta balaie : « Il n’y en aura certainement pas, ça marche très bien comme ça ! » Yves Bertherat annonce donc un vote « contre ». Le maire s’amuse : « Vous vous excluez. Attendez 2014. » Colette Pitol-Laugier : « 2012 ! »

18h56 Visiblement décidé à en finir, Georges Ginesta expédie les deux dernières délibérations et lance : « Allez, bonne soirée ! » Avant de se reprendre et de rassoir le public, dans les « starting-blocks » : « Il reste encore une question. »

18h57 C’est la bonne. Rebelote : « Allez, bonne soirée ! » La petite bande de jeunes de la majorité rigole en singeant le député-maire : « Allez, dégagez ! »

Jean-François Poupelin

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