Le chemin tortueux de la cause harkie

mars 2012
Longtemps délaissés par la gauche qui voyait en eux des traîtres, les Harkis vivent de plus en plus mal d’être instrumentalisés par la droite.

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La photographe Elisa Cornu découvre, lorsqu’elle arrive à Aix-en-Provence en 1997, les grèves de la faim des enfants de Harkis. « Pour moi, les Harkis, c’était l’exclusion des exclusions parce qu’ils sont des réfugiés avant d’être trop souvent considérés comme des immigrés, se souvient-elle. La France les avait rejetés une fois, et d’après moi, elle continuait à le faire. » Sujet de travail non-consensuel, Elisa Cornu n’a pas oublié les regards désapprobateurs dans les milieux culturo-mondains où elle évoquait sa volonté d’aller à la rencontre de cette communauté. « C’était vraiment tabou et mal vu à l’époque, explique-t-elle. Ce qui m’intéressait, c’était la dignité de ces vieux soldats. C’est beau, un homme digne. Je les ai côtoyés pendant un an, au camp de Fuveau (13). Ces photos, je ne les ai pas prises. Elles m’ont été données. Ils venaient avec leurs médailles lors des séances, sans que je leur demande, et ils étaient fiers. »

Présentées récemment aux archives départementales de Bouches-du-Rhône, l’exposition d’Elisa Cornu « Portraits aux camps des Invisibles » a été également présentée aux Invalides. Une consécration pour ces soldats ayant porté les uniformes français et dont l’histoire est aussi celle de notre pays. « Depuis 10 ans, à l’instigation de la Ligue des Droits de l’Homme, un travail de vérité historique est réalisé, informe l’écrivaine Fatima Besnaci-Lancou. Ces recherches dévoilent notamment que les Harkis étaient loin de tous adhérer idéologiquement à la vision coloniale française, et que beaucoup furent enrôlés, ou ont cherché à fuir la violence du FLN. »

« La communauté déteste Sarkozy »

Fatima Besnaci-Lancou, animatrice de l’association « Harkis et droits de l’Homme », est elle-même fille de Harki. Elle a vécu quinze ans dans les camps, d’abord à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales), puis à Bourg-Lastic (Puy-de-Dôme), et enfin à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), dans un hameau de forestage : « Mais vous savez, hameau de forestage, ça reste un mot. Il y avait un chef de camp et on l’appelait comme ça. D’ailleurs, il y avait des barbelés autour. Ils servaient à circonscrire le lieu, et cela a fonctionné. Quand vous mettez des gens derrière des barbelés, ils deviennent forcément suspects aux yeux de l’extérieur. »

Parmi les soldats de 1962 parqués à leur arrivée dans des camps, jusqu’à près de 75 en Paca, beaucoup sont décédés aujourd’hui. Ce sont leurs enfants et leurs petits-enfants qui défendent leurs mémoires. Certes, certaines associations harkies fricotent parfois avec les nostalgériques ultras d’extrême-droite. « Mais les Harkis sont aujourd’hui loin d’être tous à droite, martèle Fatima Besnaci-Lancou. Sarkozy, la communauté le déteste vraiment aujourd’hui. » Après avoir multiplié les promesses en 2007 et n’en ayant réalisé encore aucune à trois mois du scrutin présidentiel, le président de la République compte désormais sur sa sous-ministre, Jeannette Bougrab, elle aussi fille de Harki, pour faire le service-clientèle… électorale. Bougrab était d’ailleurs en visite, le 15 janvier dernier, à la maison des rapatriés d’Aix-en-Provence (13), où siègent de nombreuses associations nostalgériques.

« Jeannette Bougrab, c’est plus qu’une marionnette, tacle Fatima Besnaci-Lancou. C’est le petit clown de Nicolas Sarkozy, mais les Harkis sont loin d’être dupes. Aujourd’hui, dans mes tournées de conférences, je constate que de plus en plus de harkis se tournent vers la gauche. » L’animatrice de « Harkis et droits de l’homme » n’a qu’une seule revendication : la reconnaissance de la responsabilité de l’État dans le drame harki. « Tout le reste relève du clientélisme. Sarkozy promettait des bourses, nous n’en voulons pas ! Les Harkis sont des Français comme les autres. Les subventions et les petits postes, c’est leur stratégie depuis des décennies. Tout cela doit cesser. Il est temps de passer aux actes ! »

Jean-Baptiste Malet

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