Des députés blancs, masculins et aisés

avril 2012
On prend les mêmes et on recommence ? En Paca, à la veille de la présidentielle et des législatives, la politique ne laisse que peu de place aux femmes, aux minorités et aux classes populaires.

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« Le changement, c’est maintenant », promet l’un. « Ensemble, tout est possible », clamait l’autre. Mais les promesses, c’est comme les règles que se donnent les politiques : si ça pimente la compétition, elles n’engagent que ceux qui ont la faiblesse d’y croire. Alors, en attendant le changement, ensemble, rien n’est possible : la politique reste une affaire d’hommes blancs aisés ne laissant que peu de place à qui ne rentre pas dans ce cadre.

Ne serait-ce que pour la présidentielle, le nombre de candidates est en recul : si Nathalie remplace Arlette et si Eva succède à Dominique, exit Marie-George, place à Jean-Luc et bye-bye Ségolène, François ayant battu Martine. Quant à Christine, face à la détermination de Nicolas, elle a (comme Jean-Louis et Hervé), jeté l’éponge. Pour rééquilibrer, Marine a succédé à Jean-Marie.

Et pour les législatives ? Soupir d’une élue écolo : « Les partis, de gauche comme de droite, se rappellent qu’il faut respecter la parité quand il s’agit de laisser la place à une femme pour qu’elle perde. » Le constat est amer. Mais ne surprend guère la socialiste Geneviève Couraud, membre de l’Observatoire de la parité et présidente de son équivalent au conseil général des Bouches-du-Rhône. « En politique, déplore-t-elle. Les femmes ont beaucoup de peine à faire leur trou. En 2005, François Hollande avait imposé 50 % de circonscriptions réservées aux femmes dont 35 % gagnables. Sauf qu’une circonscription gagnable pour une femme est moins bonne que pour un homme. Car, en général, l’homme, c’est lui le sortant… Des hommes qui ne veulent pas laisser leur place, qui en sont à leur énième mandat et qui, pour certains, n’ont pas connu l’école mixte. En matière de parité, le compte n’y est et n’y sera pas. Car, dans un groupe, il faut qu’une minorité représente au moins 30 % si elle veut être influente. »

L’UMP bonnet d’âne

Mais, ajoute-t-elle, « il y a pire. Il y a l’UMP ». Brigitte Kuster, maire du 17ème arrondissement parisien, en voyant l’UMP lui préférer pour les législatives Bernard Debré, a fustigé un « parti anti-parité » qui, avec « 28 % de femmes investies », doit payer « 4 millions d’euros d’amende pour non-respect de la loi ». Mais, déplore l’Observatoire sus-cité, « les partis préfèrent encore supporter les pénalités financières », distinguant les bons des mauvais élèves : en tête, EELV, suivi du PC, du FN et du PS alors que l’UMP, elle, est lanterne rouge. Si Brigitte Kuster s’est fendue d’une tribune dans L’Express, « visiblement, avoue son cabinet, cet appel n’a guère dépassé les frontières parisiennes ». Emblématique : la désignation début janvier par l’UMP 13 dans ces fiefs de la gauche que sont les 3ème, 4ème, 7ème et 13ème circonscriptions de… candidates. Tout cela, évidemment, au nom de la parité.

De son côté, le PS devra, lui, payer « 500 000 euros d’amende », reconnaît Gaëlle Lenfant, secrétaire aux droits des femmes pour François Hollande. « Pourtant, à tous les échelons, on a fait des progrès, souligne-t-elle. Mais, contrairement à une formation qui vient de se créer ou qui n’aurait pas beaucoup d’élus, pour nous, l’équilibre à trouver est plus difficile. S’il faut respecter la parité, on ne va pas dire à un député sortant de céder sa place. Même si on lui demande… » Egalement vice-présidente de la région, elle souligne que Paca confirme la tendance nationale : « on y est encore loin de la parité. Au-delà des circonscriptions réservées à nos partenaires, ce qui s’est passé, par exemple, dans les Alpes de Haute-Provence, m’a passablement énervée. Après avoir dit vouloir briguer un nouveau mandat, Jean-Louis Bianco a attendu que les investitures soient bouclées pour, au final, céder sa place à son suppléant. Si on l’avait su dès le départ, cette circonscription aurait pu être réservée à une femme. » Pour sa défense, le patron du conseil général a voulu respecter avant l’heure une future règle du PS : le non-cumul des mandats !

Diversité… cosmétique

Selon Gaëlle Lenfant, le monde politique reste donc très blanc, très masculin et très CSP + : « Toutefois, je ne lierais pas les problématiques de parité et de diversité. Parce que les femmes ne sont pas une minorité. Mais la moitié de l’humanité. » Il n’empêche : si, pour une femme, faire sa place en politique relève de la gageure, pour les minorités, c’est, bien souvent, mission impossible. Ahmed Najdar, de Med in Marseille, opine du chef : « Il faut arrêter de dire que Marseille est la ville emblématique du métissage. Ici, c’est le melting-pot sans les potes. On ne veut pas des noirs et des arabes mais on veut bien de leur voix. La diversité est donc avant tout cosmétique. Une diversité pour faire diversion et gérer les communautés en les hiérarchisant. Il n’y a guère que dans les quartiers Nord qu’il y a embouteillage. »

Une situation qui ne surprend guère Réjane Sénac. Chercheuse au Cevipof (1), cette politiste spécialiste de la parité souligne que dès 2005, les responsables politiques affirmaient : « On n’en est plus à la parité, mais à la diversité. Puisque la loi nous contraint à sacrifier la moitié des places à des femmes sur les listes, autant en profiter pour investir des femmes rapportant les voix de tel quartier, telle communauté. » Comme lui dira l’un d’eux : « On ne va pas se faire hara-kiri deux fois. » Alors, autant faire d’une pierre deux coups en désignant des femmes « issues de la diversité ».

Auteure d’un ouvrage sur L’invention de la diversité (2), elle constate la mise en place d’une « égalité sous condition de performance de la différence ». En clair, celui ou celle qui est promu l’est au nom d’une ou de plusieurs différences politiquement rentables : des femmes issues de la « société civile » à qui on demande de faire de la politique « autrement » ou des membres de telle ou telle communauté dont on attend qu’ils les représentent. Une attitude qui cache mal « un sexisme et un racisme bienveillant » où « les femmes restent le Deuxième sexe et les « divers » les différents ». Car, rappelle-t-elle, « la diversité, ce n’est pas le métissage, mais l’opposition entre le « nous » et ces « eux » qui sont promus sans être reconnus comme des pairs ». Avec, selon elle, une « hiérarchisation et une instrumentalisation difficile à vivre pour celles et ceux qui acceptent de jouer le jeu de la performance de la différence ».

D’où, parfois, quelques clash. Comme fin 2010 avec le coup d’éclat de Maurad Goual, alors adjoint à la mairie de Marseille, portant plainte contre le maire des Saintes-Maries de la mer et contre l’UMP et annonçant dans la foulée sa démission de la mairie et du parti, renonçant « à servir la République d’un despote et les idées d’un parti fascisant ». Depuis, il roule dans les quartiers Nord pour… Dominique de Villepin. Dans cette circonscription, c’est Jean-Marc Coppola et Haouaria Hadj-Chick qui défendront les couleurs du Front de Gauche. « Nous respectons parfaitement la parité et sommes évidemment sensibles aux questions de diversité et de mixité, y compris sociale, explique le patron du PCF dans les Bouches-du-Rhône, Pierre Darrhéville. Mais pas question pour nous de « fabriquer » des candidats ou de rentrer dans une logique de casting. Il faut également composer avec les envies. Et, dans des quartiers qui cumulent les difficultés et la désespérance, il est parfois difficile de trouver des gens qui croient encore en la politique. » Et de promouvoir, malgré tout, des candidats « issus des classes populaires, parce que cela fait partie de nos traditions ».

Une tradition qui est loin d’être partagée par le reste de l’échiquier politique tant le profil sociologique des élus et des candidats laisse peu de place aux classes populaires. Concrètement, rien que dans les Bouches-du-Rhône, pour un syndicaliste ou un enseignant, on trouve des avocats au kilo, des cadres à la pelle, des chirurgiens dentiste à foison et quelques administrateurs de biens. Sans parler des « fils » et « filles de ». Mais, après tout, la politique est une chose trop sérieuse pour être laissée au peuple, non ?

Sébastien Boistel

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