Planifier moins pour économiser plus

juin 2012
Mieux vaut prévenir que guérir… sauf pour l’Etat. Il se fait prier pour renouveler son aide aux Plannings familiaux et aux structures d’accueil et d’écoute auprès des jeunes. Par souci de rigueur budgétaire mais aussi par mépris vis-à-vis de l’éducation à la sexualité, par hostilité aux centres d’information sur la contraception et l’IVG. Et par indifférence face à l’exclusion d’une partie de la jeunesse.

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« L’Etat se désengage de plus en plus, sans états d’âme du champ de la prévention et de l’éducation », constate André Castelli (PCF), vice-président du Conseil général du Vaucluse en charge des politiques sociales. Diverses structures associatives en font amèrement l’expérience depuis ce début d’année. C’est le cas des 220 Etablissements d’information, de consultation ou de conseil familial (EICCF) qui remplissent plusieurs missions de service public comme l’entretien pré-IVG ou encore l’information et la prévention autour de l’éducation à la sexualité, dont un tiers sont gérés par le Mouvement français du planning familial (1) (MFPF). Des structures qui ont eu la désagréable surprise de voir leur financement amputé de 500 000 euros sur les 2,6 millions versés annuellement :

« Quand on s’est aperçu que la somme manquait alors qu’elle avait été votée dans le budget 2012, on est de suite monté au créneau », assure Geneviève Couraud, membre du bureau confédéral du Mouvement français pour le planning familial et présidente de l’Observatoire du droit des femmes et de l’égalité des chances du CG13. Elle se souvient qu’en 2009 lorsque l’Etat avait voulu baisser leurs subventions de 42 %, la mobilisation avait été si forte que le gouvernement avait dû faire marche arrière (2) : « Nous avions recueilli 150 000 signatures en 15 jours, soit 10 000 par jour, j’ai même cru qu’on avait piraté le serveur ! », précise cette féministe de la première heure.

Rien à foutre des femmes

Une nouvelle mobilisation a dû effrayer le gouvernement puisque Roselyne Bachelot, ministre des Solidarités et de la Cohésion Sociale a accepté une rencontre avec le MFPF le 10 avril dernier. « Elle s’est engagée à verser les 500 000 euros manquants avant de quitter son poste et en les prenant sur son propre ministère », précise Jeannine Langleur, directrice du Planning familial d’Avignon et qui a participé à la rencontre en tant que membre du bureau confédéral du MFPF chargée du dossier. Depuis 2009, l’Acsé (3), contrainte par le protocole Hortefeux, avait la charge de verser les 500 000 euros aux EICCF dans le cadre de la politique de la ville. Cette dernière constatant la fin du protocole, a coupé le robinet. D’où le couac de cette année et l’obligation pour Roselyne Bachelot de les prendre dans son propre ministère. Le communiqué de presse de la ministre sur le sujet présente la reconduite de la subvention comme un « effort financier » précédé de « malgré une crise sans précédent ». Des termes qui font bondir Gaëlle Lenfant (PS), Vice-présidente du Conseil régional chargée de la Solidarité, de la Prévention, de la Sécurité et de la Lutte contre les discriminations : « Cette somme leur est due, c’est la loi (4) ! Tout ce que ces structures obtiennent c’est à force de pression, c’est pas l’Etat qui le donne gracieusement, comme Roselyne Bachelot le laisse supposer. »

Le communiqué de presse évoque aussi « une subvention complémentaire de 263 000 euros du ministère pour la promotion des droits des femmes ». Jeannine Langleur rigole : « On appelle ça une stratégie de com de la part du ministère ; Hortefeux en 2009 nous avait fait le même coup. Cette somme comprend un financement sur une action spécifique et un financement « tête de réseau » c’est-à-dire une aide au fonctionnement de la confédération nationale et dont diverses associations bénéficient. Mais les ministères aiment bien mettre cette somme en avant pour dire « Voyez comme on est bon ! » alors que ça n’a rien d’exceptionnel puisqu’on la touche tous les ans ! »

Reste à régler le problème du versement. « En 2009, il devait y avoir des consignes adressées aux préfets pour que l’engagement pris soit répercuté sur les structures départementales, précise Jeannine Langleur. Ce qui n’a pas été fait et donc chaque année on doit se battre avec les préfectures pour que le protocole soit respecté. J’ai demandé à Roselyne Bachelot de faire le nécessaire mais à mon avis les versements n’auront pas lieu avant septembre-octobre. » Un délai qui pour certaines structures très fragiles peut avoir de lourdes conséquences. C’est le cas du Planning familial de Nice : « Nous avons une vingtaine de bénévoles et moi comme seule salariée en contrat aidé, mais qui se termine à la fin du mois. Sans la subvention versée par l’Etat, on n’aurait pas d’autre solution que de fermer », avoue Claire Moracchini, salariée de la structure qui, si petite soit-elle, a permis à 1105 personnes de s’informer en 2011.

Pour Joël Canapa (PRG-PS), conseiller régional varois, qui soutenait déjà les plannings en 2009, le désengagement de l’Etat n’est pas anodin : « C’est un retour à l’obscurantisme. Ce qu’on n’a pas réussi à obtenir par le débat public comme interdire l’IVG, on essaye de l’obtenir par des moyens détournés, en coupant les subventions. Ça fait des années que les plannings familiaux sont en difficulté. Ces combats-là ne sont jamais terminés. »

Pas grand-chose à faire des jeunes

D’autres structures de prévention et d’information sont aussi touchées de plein fouet par les baisses de subventions, il s’agit des Points accueil écoute jeunes (PAEJ) et des Espaces Santé Jeunes (ESJ) qui voient leurs financements passer de 9,7 millions en 2009 à 5 millions d’euros en 2012 au niveau national. Ils touchent environ 50 000 jeunes de 10 à 25 ans en Paca. Au total, plus d’une vingtaine de sites régionaux sont concernés. « En fait, on est déshabillés pour habiller d’autres structures alors que notre financement est vraiment infime par rapport à l’enveloppe globale qui est allouée à la grande exclusion et à la prévention. La DDCS (5) reverse alors les sommes aux actions qu’elle privilégie. Et ce qui est mis en avant, c’est la grande exclusion », indique Peggy Perillat, coordinatrice de la Fédération des Espaces Santé Jeunes qui organisait le 19 avril à Marseille une marche funèbre avec dépôt de gerbe à la Préfecture. Dans le Vaucluse seulement une structure sur trois sera maintenue alors que dans les Bouches-du-Rhône aucune subvention ne sera versée. « La question va se poser en fin d’année, à savoir si on peut rester ouvert ou pas », s’inquiète Sabrina Saïad, coordinatrice du PAEJ d’Aix qui a déjà reçu le courrier officiel de la DDCS l’informant qu’ils ne toucheraient rien.

La Direction régionale a fait une demande de rallonge, pour l’instant en suspend. « De toute façon, l’Etat a mis en œuvre un ensemble de politiques qui modifie les formes, une stratégie qui fait en sorte qu’on ne finance plus la structure mais des thématiques bien précises via des appels à projet », note Hervé Naccache, directeur du PAEJ de La Seyne-sur-Mer (83), qui ne sait pas encore à quelle sauce sa structure sera mangée. Il constate quand même que « la prévention ne coûte vraiment rien face à une prise en charge sanitaire ». Ce que souhaite la fédération avant tout, c’est d’être sur une ligne budgétaire cohérente et non plus perdue dans la masse de la grande exclusion : « Depuis plusieurs années, on se bat pour qu’il y ait une véritable politique de jeunesse qui soit interministérielle. Quelle forme cela prendra ? On verra après les élections », espère Peggy Perillat.

Problème réel de finance publique ? Ou volonté de nuire aux actions de préventions ? Pour Jeannine Langleur, le souci est ailleurs : « L’important, c’est que tout un chacun puisse avoir les outils lui permettant de devenir autonome et de faire ses propres choix. Alors c’est vrai que dans cette société un peu aseptisée, on doit déranger beaucoup car c’est aussi une éducation à la citoyenneté. C’est en faire des citoyens responsables. Donc qui dit citoyen responsable, dit individu qui peut porter un regard critique. Et pour les gouvernants, moins le peuple bouge, mieux c’est ! »

Samantha Rouchard

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