Faites vos jeux, rien ne va plus !

juillet 2012
Paca est la région française la mieux dotée en casinos avec une vingtaine d’établissements. Sur la seule côte varoise, trois nouveaux casinos doivent être inaugurés d’ici 2014. Les mairies endettées de la Seyne-sur-Mer, Fréjus et Sanary, espèrent empocher le jackpot. Les opposants craignent plutôt la banqueroute ou déplorent l’impact social et environnemental des différents projets.

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Avant de quitter le gouvernement, Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, a autorisé l’ouverture de trois nouveaux casinos sur la côte varoise : Fréjus, Sanary et La Seyne-sur-Mer. D’ici 2014, le département comptera à lui seul 8 casinos – salle de spectacle et restaurant compris comme l’exige la loi – à seulement quelques kilomètres de distance. Paca est la première région de France en matière de casinos avec une vingtaine d’établissements. Mais Claude François (sic), délégué départemental FO et employé au casino de Bandol, s’interroge : « Le secteur est en crise, 15 % des contrats nationaux n’ont pas été renouvelés. Il n’y a pas de place pour autant de casinos à si peu de distance. On se demande comment l’accord a pu être signé ! »

Les trois maires (1) concernés voient surtout l’occasion inespérée de combler enfin les dettes de leurs communes avec en ligne de mire les municipales de 2014. Le succès du Pasino d’Aix-en-Provence (13), deuxième casino de France, propriété du groupe Partouche, avec 55 416 901 euros de Produit brut des jeux (2) fait rêver plus d’une mairie. Car la redevance versée par un casino à la commune qui l’accueille peut aller jusqu’à 15 % de son PBJ, ainsi qu’un pourcentage d’environ 1,5 % pour la culture et du même montant pour le tourisme. A Aix, le prélèvement 2012 serait équivalent à celui de 2011 soit 7 500 000 euros avec une plus-value de 400 000 euros par rapport à 2010 (3). « L’argent du casino est une source financière importante pour la ville », confirme Lucien-Alexandre Castronovo, conseiller municipal PRG d’opposition de 2001 à 2008. Pourtant lors de son arrivée à la mairie en 2001, Maryse Joissains (UMP) ne voyait pas d’un très bon œil cet établissement initié par son prédécesseur socialiste Jean-François Picheral (4). « Madame Joissains a un sens de l’esthétique que les autres n’ont pas, elle le trouvait tout simplement moche !, se souvient Lucien-Alexandre Castronovo. Mais depuis, l’argent faisant le bonheur, elle a mis de l’eau dans son eau ! »

Opérations subventionnées

Fréjus fait partie de ces villes qui rêvent de récupérer quelques piécettes des bandits manchots pour couvrir les 2700 euros de dette par habitant qui la mettent en pôle position des villes du Var les plus dans la mouise. La belle aubaine devrait voir le jour à Port Fréjus 2. Avec un PBJ en légère baisse (- 0,89 %) pour la saison 2010/2011 et un nouveau casino qui poussera juste à côté d’ici 3 ans, le casino de St Raphaël à de quoi s’inquiéter (5). Au contraire, Vikings Casinos qui a en charge la construction et l’exploitation des casinos de Fréjus et Sanary semble serein et s’en explique : « Prenez Deauville et Trouville qui sont éloignées de seulement deux kilomètres et possèdent chacune un casino, les deux arrivent à vivre et se classent même dans les 25 premiers établissements de France. La concurrence peut fonctionner et peut même booster l’activité déjà existante », explique Luc Le Borgne, directeur général du groupe (6). Elsa Di Méo, conseillère régionale et élue PS d’opposition à la mairie de Fréjus, pointe les pertes que cela engendre avant de – peut être – rapporter : « Onze parcelles communales en bord de mer ont été bradées, avec un manque à gagner de 20 à 25 %. Des terrains viabilisés avec l’argent du contribuable et un maire qui demande même une rallonge budgétaire de 4 à 5 millions d’euros au Conseil général. Tout ça pour créer une cinquantaine d’emplois qui permettront à Elie Brun de placer famille et amis ! »

A Sanary, l’opposition est aussi vivace. Olivier Thomas, conseiller municipal UMP, président de l’Association de défense des Sanaryens, s’oppose au projet et l’association Michel-Pacha (7) dénonce le permis de construire du futur casino devant le Tribunal administratif. Le recours repose principalement sur l’emplacement choisi par la mairie. « La pinède du Colombet est un espace remarquable situé dans une zone enclavée, se désole Olivier Thomas. La mairie devait en faire un lieu de promenade et finalement elle décide d’y implanter un casino qui va totalement dénaturer le site. On parle aussi d’un parking aérien. C’est de pire en pire. Tout est vicié. » Maurice Desmazures, président de Michel-Pacha, a fait constater par huissier des dépôts de gravats provenant de la station d’épuration par camions entiers dans la parcelle du bois classé. Pour l’association, il s’agit de déclasser le bois pour faire construire. Le procès verbal indique que cela provoque « le sectionnement des racines des sapins entraînant […] leur dépérissement ». Ferdinand Bernhard assure qu’il s’agit de pierres qui seront réutilisées pour harmoniser la façade de la station d’épuration. Concernant le choix du lieu, le maire de Sanary balaye les objections : « C’est parce qu’il y a un terrain et qu’il nous appartient. Ce qui m’étonne c’est que ceux qui protestent contre un casino ne fassent pas la même chose lorsque ce sont des caravanes qui y stationnent ! » Le casino devrait rapporter à la commune endettée (8), entre 400 000 et 2 millions d’euros par an. Le maire et Vikings Casinos vont demander au tribunal administratif de désigner un expert, pour évaluer le préjudice financier lié au recours déposé. « Ils ne sont pas capables de gagner la place de maire par le suffrage universel alors ils font autrement. Ça fait 23 ans que ça dure ! », conclut Ferdinand Bernhard.

Multiplication des risques d’addiction

Le projet de La Seyne-sur-Mer semble le plus avancé puisque un casino temporaire ouvrira le 28 juin aux Sablettes en attendant le définitif fin 2014 aux anciens chantiers navals. C’est le groupe JOA (9), qui s’occupera de la construction et de l’exploitation sous forme de délégation de service public, un montage financier qui devrait s’élever à 20 millions d’euros (10). « La commune n’investit rien, mais récupérera 10 % du chiffre d’affaires sur le casino provisoire, puis 15 % sur le casino définitif, un argent qui sera réinjecté dans de nouveaux projets pour la ville, précise la chargée de dossier à la mairie de La Seyne (11). Nous aurons enfin un bâtiment de prestige. Cette structure va redynamiser le centre ville et créer 40 à 70 emplois. » Un emplacement dans une commune touchée par le chômage qui inquiète justement Michel Cervetti, président de l’association Paca Joueurs qui lutte contre les addictions aux jeux d’argent : « Les casinos ont fait beaucoup de dégâts car c’est là que bien souvent les futurs dépendants commencent à s’exercer. C’est non seulement un risque pour la population environnante mais aussi pour des joueurs de l’extérieur qui chercheraient l’anonymat en venant dans un nouvel établissement. » Du côté de la mairie de La Seyne, on affirme avoir réfléchi au problème. « Le groupe JOA a mis en place une politique de prévention contre l’addiction afin que le jeu reste un plaisir. Concrètement, le casino aura un accès unique avec contrôle à l’entrée », indique la chargée de dossier. « Avant de se faire interdire de casino, il faut être allé bien loin », déplore Michel Cervetti…

Après le Var, c’est Marseille qui fait rêver plus d’un casinotier : « Y a un potentiel énorme, j’ai cru comprendre que la mairie s’y intéressait ? », fait mine de se questionner Luc Le Borgne, le directeur de Vikings Casinos. « Jean-Claude Gaudin s’est laissé convaincre par mes arguments et n’y est plus opposé », avait déclaré en 2009 Renaud Muselier, le député UMP de Marseille à l’origine de l’idée d’un casino inauguré pour 2013 (12). « Aux dernières nouvelles, ce devait être à côté du cercle des nageurs, déclare Christophe Madrolle, vice-président Modem de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole, opposé au projet. C’est un dossier qui tourne en rond. Pour ma part, je suis contre ces établissements qui se nourrissent sur la misère. Pour partager les richesses, c’est d’une politique dont Marseille a besoin, pas d’un casino. »

Samantha Rouchard

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