« On s’est gardé une petite poire »

septembre 2012
En juin, le Ravi a "testé" le conseil municipal de Corbières (04) dont nous publions ci-dessous le résultat. Dans notre numéro de septembre, actuellement chez les marchands de journaux, notre "contrôle technique de la démocratie" est consacré au conseil municipal de Châteaurenard (84)...

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18h27 Fin d’une réunion sur les travaux de la nouvelle école de la commune. Short gris, chemisette crème et sandales, physique et crinière blonde de l’ancien international de rugby Jean-Pierre Rives, Jean-Claude Castel, maire UMP depuis 2008, annonce : « Je vais me remettre à ma place, on est pas trop bien dans le coin. » Candidat malheureux aux législatives dans les Alpes-de-Haute-Provence, l’agriculteur a par contre gagné une notoriété nationale en donnant son parrainage à Marine Le Pen pour la présidentielle (1). Il s’installe face à la porte, devant une Marianne d’1m50 qui trône dans une alcôve, au-dessus d’une chaîne stéréo vintage. La petite salle de réunion est dans le style : tables en formica, lampes globes, collection des portraits des présidents de la 5e République (à l’exception de celui de François Hollande pas encore livré).

18h35 Catherine Rousseau, une quinqua en short et débardeur kaki, et Vincent Cazanave, un quadra sportswear, se battent contre une climatisation capricieuse. Commentaire de Jean-Claude Castel : « Toutes les autres de la mairie marchent, celle-ci fait chier ! »

18h40 Gilles Damiens, adjoint aux finances au front haut et à la barbichette façon Charlelie Couture période 80’, raconte le dernier test grandeur nature d’un incident nucléaire au commissariat à l’énergie atomique de Cadarache : « Ça s’est passé pendant la visite de collégiens. Plus aucun instrument ne fonctionnait, certains étaient coincés dans les étages alors qu’il ne devait plus y avoir de vie ! Mais pour la com., ça n’était pas grave, juste un détail. » Avant de s’asseoir et de lancer : « On y va, on essaie d’aller rapidement parce que j’ai… » Ses collègues n’en sauront pas plus.

18h43 Jean-Claude Castel achève l’appel, solennel : « Mesdames, messieurs, merci d’avoir répondu à l’invitation. » Et d’attaquer l’ordre du jour par la « délibération 31 ». Explication : « Maintenant, on repart du dernier point du conseil précédent. »

18h47 « Non, non, je vais le punaiser sur la porte des chiottes », explique au téléphone le maire pendant que Gilles Damiens narre ses exploits pour obtenir un prêt pour le financement de l’école.

18h54 Les esprits s’échauffent et pas qu’en raison des problèmes de clim. La proposition de donner un « avancement de grade » (délibération 34) au garde champêtre afin qu’il suive la formation de policier municipal fait bondir Sandrine Lombino, une brune bronzée en robe largement échancrée : « Le sourire est compris ? » Et d’enchaîner : « Ce qui me gêne avec ce garçon, c’est qu’il aligne des mamans qui sont stationnées deux minutes devant l’école alors qu’il ne dit rien à ceux qui restent deux heures devant le bar ! » Jean-Claude Castel : « Il y a eu 72 euros de PV en 2011 ! » Sandrine Lombino : « Quand tu te gareras comme il faut, on se garera comme il faut ! » Le maire s’énerve, parle avec les mains : « Quand j’ai 50 allers-retours à faire… » Le reste se perd dans le brouhaha des commentaires de chacun.

19h58 L’UMP tranche : « C’est simple, à partir de lundi on applique la loi. Tu peux faire passer le message ! » Et de défendre son garde champêtre : « L’autre jour, il a empêché un braquage à la Poste ! Vous en connaissez beaucoup qui l’auraient fait ? » L’argument porte, les esprits se calment.

19h02 Unanimité. Mais Pascal Veziano, un retraité au visage rond en polo rose, s’inquiète : « Je suis pour, mais ça va augmenter la masse salariale alors que tout à l’heure on avait dit qu’on n’augmentait pas les charges. » Silence. Sarah Mazzoti, une charmante blonde en débardeur, sourit : « Il va falloir qu’il mette plus de PV. » Plutôt que d’apaiser les passions, la blague remet de l’huile sur le feu… Finalement, Sylviane Molinier, une petite quinqua secrétaire générale de la mairie, résout le problème : « On a récupéré 8000 euros d’EDF surfacturés à l’église. » Un vrai miracle.

19h04 Trois délibérations (35 à 37) s’enchaînent sur des « acquisitions » de minuscules parcelles nécessaires à la réalisation de travaux. Robert Carle, adjoint à l’urbanisme d’une cinquantaine grisonnante, explique qu’elles sont nécessaires pour obtenir des « subventions de la Région ». Commentaire de « Cathy » (Rousseau) : « Il faut les demander, les 8000 euros sont déjà bouffés ! »

19h11 « Institution de la PAC en remplacement de la PER » (délibération 39). « Celle-là est importante », annonce Jean-Claude Castel en se redressant. Et d’expliquer : « Dans les règles d’urbanisme… » La sonnerie de son téléphone stoppe son élan. Le maire lit son SMS, puis poursuit : « Ça a été supprimé. La PAC veut dire… » Il sèche. Vincent Cazanave s’amuse : « Politique agricole commune ! » « Participation à l’assainissement collectif », corrige Sylviane Molinier. En résumé, une nouvelle réglementation pose la question du coût du service assuré par la mairie.

19h13 Arrivée de Jean-Marie Bérengier, un retraité à bouc bronzé, en short et tee-shirt sans manches. Vincent Cazanave stoppe son combat (perdu) contre la clim.

19h18 De mémoire, et de manière un peu confuse, Jean-Claude Castel explique les évolutions réglementaires et fait une proposition de prix, décidée après consultation de ses collègues du département. Moment rare, le conseil écoute attentivement.

19h21 « Il y a une logique et pas une logique », commente de façon mystérieuse Jean-Marie Bérengier, avant de s’énerver : « C’est pour le connard ? Parce qu’il va falloir en parler ! »

19h25 Sourire et mains en avant, le maire lance un dernier argument : « En faisant ça, on se réserve une petite poire ! »

19h30 Les dernières délibérations s’enchaînent sans accrocs. Jean-Claude Castel se lisse les cheveux en soufflant, puis conclut : « C’est la fin, la séance est close. » Pas tout à fait : « Questions diverses. »

19h31 Plan de prévention des risques (incendies). Robert Carle fait le tour des élus pour leur présenter le nouveau zonage. Gilles Damiens s’impatiente en tapotant son stylo sur sa table, ça papote un peu partout, à l’image du maire avec Sarah Mazzoti sur les problèmes de clim. « C’est ça la sudation, on maigrit », blague la jeune élue. Jean-Claude Castel, éternel : « Toi, si tu maigris encore tu perds un os ! »

19h42 « Est-ce que vous êtes d’accord pour prendre une motion contre la semaine des cinq jours ? », lance Jean-Claude Castel. Stupeur du conseil, qui reste interdit. « C’est une connerie ! Ils te disent que c’est pour le repos des enfants, mais un, ils se lèvent un jour en plus, deux, ça déstructure le tissu associatif et à nous, mairie, ça va nous coûter un braquage en électricité, chauffage, patin, couffin ! », explique l’UMP. Nouveau débat, plus ou moins suivi. Finalement, Pascal Veziano résume d’une question l’inquiétude générale : « Qu’est-ce que tu veux Jean-Claude ? » Jean-Claude : « Je veux écrire pour dire que c’est insensé… » Son explication se perd dans un rétropédalage de « Cathy » sur un précédent point.

19h48 Satisfaction du maire : « Hébé, on a fini. Comme je l’ai déjà dit, vous m’excuserez pour la fête de l’école de demain. » Alors qu’il s’apprête à lever la séance, une élue chuchote : « On a un problème de tables pour la fête. Elles sont réservées pour le concert symphonique de samedi. » « On a pas plus de tables que ça ? », s’étrangle le maire. Un malheur n’arrivant jamais seul, l’UMP découvre que la gestion des tables et chaises municipales est anarchique. « Il faut remettre ça d’aplomb », tranche finalement Jean-Claude Castel en lançant de désespoir son stylo sur la table.

19h51 Le conseil est relancé : chacun y va de sa petite annonce.

19h57 Gilles Damiens a installé son oreillette de portable. Jean-Pierre Castel interpelle son conseil : « Bon, c’est bon ? » Puis referme son agenda et attrape son portable.

Jean-François Poupelin

(1) Echange de bons procédés, au second tour le candidat FN a appelé à voter pour lui.

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