Démocratie : l’important, c’est de participer

février 2005

La « démocratie participative » est à la mode. Partout, les politiques affirment vouloir redonner la parole aux citoyens, faire vivre des comités, des forums ou des concertations. Trois ans après l’adoption de la loi « démocratie de proximité », la plus récente dans ce domaine, le Ravi questionne des initiatives locales. Où l’on constate, que les discours généreux cachent souvent des stratégies politiques plus classiques.

Porto Alegre, où s’est déroulé une fois de plus en janvier le forum social mondial, est un mythe facile à exporter. Symbole de l’altermondialisme, lieu de rassemblement des gauches du monde entier, la ville brésilienne s’est fait connaître par son expérience de budget participatif, lorsque des citoyens réunis en comités ad hoc choisissent les projets que la commune mènera et financera. Il n’en fallait pas plus pour réveiller les vieilles lunes occidentales de la démocratie directe, née avec la Révolution Française, réveillée pendant la Commune de Paris, et soigneusement enterrée depuis par les élites républicaines de tous bords. Car les hauts fonctionnaires de l’Etat et les élus locaux partagent une même idée de la politique depuis deux siècles : quand elle ne les menace pas directement (rappelez-vous, les sans-culottes réservaient un sort peu enviable aux directeurs de prison…), la voix du peuple représente un danger pour leurs prérogatives. Dès lors, dans le système représentatif qui nous gouverne, le seul moment où cette voix doit s’exprimer, c’est-à-dire le seul moment de « participation », c’est le vote aux élections et aux référendums. Et chacun doit s’exprimer individuellement, dans le secret de l’isoloir : le débat collectif, la délibération en assemblée ne sont permis qu’aux représentants élus du peuple. Le citoyen se contentera du comptoir d’un café, et d’une manifestation de temps en temps. Faut-il alors croire à la conversion récente de tous les élus, qui voudraient s’engager dans des démarches de participation tous azimuts ? Un rapide tour d’horizon laisse apparaître des différences fondamentales entre ces initiatives. Tout d’abord quelques unes sont rendues obligatoires par la loi, tels que la création des Conseils de développement dans les pays et les agglomérations (loi Voynet de 1999) ou la création des Conseils de Quartier dans les villes de plus de 80 000 habitants (loi « démocratie de proximité » ou loi Vaillant de février 2002). Cependant la volonté des élus locaux reste primordiale pour faire exister ces dispositifs : qui connaît la composition – voire même l’existence – du Conseil de développement de la communauté urbaine de Marseille ? Sans parler des Conseils de quartier de Marseille, qui ne sont toujours pas créés puisque le Maire estime qu’il n’en a pas besoin… Même chose dans certains pays créés récemment dans les départements alpins : sans la volonté des élus de faire vivre les conseils de développement, ils deviennent rapidement des assemblées fantômes.

D’autres initiatives ne correspondent pas à des obligations légales. Il y a bien sûr les Conseils municipaux de jeunes, les Conseils de la vie locale, les Commissions extra-municipales, etc. Mais certains élus vont plus loin en instaurant un débat permanent avec les citoyens, comme le Forum citoyen d’Aubagne par exemple. Ils confient parfois l’élaboration de projets d’urbanisme à des ateliers participatifs, encore très rares en PACA, mais qui ont une longue tradition dans le Nord de la France. Enfin, les plus courageux soumettent certaines de leurs décisions à un référendum local . Cet outil, purement consultatif, sera renforcé par la nouvelle loi de décentralisation qui prévoit de le rendre décisionnaire sous certaines conditions.

Pour autant ces initiatives ne sont pas innocentes. A part quelques idéalistes, peu d’élus ont intérêt à mettre en place ces dispositifs si ce n’est pas en profiter ensuite. Premier avantage : la participation permet aux partis de gauche de redorer leurs blasons et de se croire à nouveau proche de la « base ». Pour le Parti communiste, le renversement s’est opéré aux élections municipales de 2001, où les vieux autocrates, craignant pour leur mandat, ont permis aux jeunes de prendre le chemin de la participation pour « s’y faire un nom ». A Aubagne, cependant, le Maire (PCF) encadre sévèrement les débats : les choix budgétaires restent dans les mains du politique. Et lorsqu’un référendum d’initiative populaire est organisé sur la commune, à la demande des opposants, le Maire s’assoit dessus, avec ostentation. Pour le PS, ultra-majoritaire au Conseil Régional, la participation est une autre manière d’afficher l’alternative, mais les rouages de la décision n’ont pas évolué d’un iota : c’est bien le cabinet du président qui décide, seul, au gré des rapports de force internes au PS. Seules innovations notables du premier mandat Vauzelle, les comités de ligne TER sont vantés dans tous les documents de communication, mais les services ont du mal à fournir plus d’information sur le sujet…

Par ailleurs, dans les grandes villes de la région, certains élus ont voulu investir lourdement dans la création des conseils de quartier, afin de créer un nouvel outil de maillage du territoire communal. A condition de maîtriser l’équilibre politique, de minimiser la présence du Front National par exemple. A cet effet, le Maire de Toulon a pu valoriser les associations locales, y compris les vieux comités d’intérêts locaux (CIL), tout en les mettant sous la tutelle d’élus récents. Pour ces derniers, souvent issus du milieu associatif eux-mêmes, les Conseils sont l’école de la politique. A Nice, le Maire avait besoin de se forger des réseaux locaux qui s’appuient sur autre chose que l’origine nissarde, lui-même n’étant pas niçois. Les conseils de quartier permettent alors de valoriser les amis, et d’exclure les gêneurs (lire page 8). A Aubagne on reconnaît également que le Forum citoyen a permis de repérer des futurs militants politiques, pourquoi pas élus un jour au sein de l’équipe communiste. Restent les irréductibles, les représentants du peuple qui ne tolèrent pas qu’on débatte avec l’électeur en dehors des périodes électorales… S’ils étaient une espèce en voie de disparition, PACA serait leur réserve naturelle. Mais à renoncer d’enfourcher le cheval fougueux de la participation, ils risquent chaque jour un peu plus de passer pour des autocrates….[cf. ed. papier pour la suite du dossier]

Etienne Ballan

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