Démographie : Toulon rit, Marseille pleure

avril 2005
Les communes rurales du Var sont les grandes gagnantes du dernier recensement de l'Insee. Les grandes villes restent à l'écart de la pression démographique...

Le bonheur est dans le prè

Le recensement de la population a changé. Pour éviter que les données du recensement général de la population (le dernier date de 1999) ne vieillissent trop vite, l’Insee a décidé de mesurer l’évolution de la population chaque année, en procédant par échantillonnage : l’Institut va recenser 8 % des logements dans les villes dont la population dépasse 10000 habitants, et extrapole ensuite des résultats généraux à l’ensemble de la commune. Pour les petites communes, l’Insee en choisit un nombre limité, à l’intérieur desquelles elle va procéder à un recensement exhaustif. Commencée en 2004, cette méthode ne donnera des chiffres statistiquement fiables qu’en 2008, lorsque environ 40 % de la population aura été enquêtée. D’ici là, les chiffres expriment des tendances… qui ne sont pas du goût de tout le monde !

Premier enjeu : la dotation globale de fonctionnement (DGF), que l’Etat verse au budget des collectivités chaque année. Cette dotation est directement fonction de la population habitant la commune, et peut représenter jusqu’à un tiers des recettes du budget communal. Mais l’impact du recensement est sans doute plus fort dans les esprits que dans les portefeuilles : la crise démographique, c’est souvent le moment le plus sombre de l’histoire : l’exode rural des Alpes du Sud depuis 1850, la saignée à blanc de Toulon pendant la seconde guerre mondiale, ou encore la crise économique de Marseille à partir des années 60 et, plus avant encore, de la décolonisation. Dans ces secteurs qui ont connu la « dépression démographique », les chiffres de l’INSEE sonnent comme un verdict.

On comprend mieux alors pourquoi les derniers chiffres publiés ont fait grincer quelques dents. Dans la région qui profite d’un taux de croissance démographique toujours exceptionnel, les grandes villes ne parviennent pas à fixer les nouveaux arrivants. Nice (- 1,1 % entre 1999 et 2004) et Marseille (- 0,5 %) voient leurs compteurs bloqués. Les villes moyennes s’en sortent mieux : Arles (+5 %), Avignon (+4 %) et Cannes (+3,5 %) semblent retrouver le chemin de la croissance. Enfin Toulon retrouve le sourire avec une croissance estimée à 8000 habitants, soit 4,7 % d’augmentation depuis 1999.

Mais l’exception toulonnaise confirme la règle : les grandes villes sont globalement moins attractives que les communes rurales et périurbaines. Ainsi les taux de croissance des petites communes recensées en 2004 sont tous très élevés : +5,6 % dans les Bouches-du-Rhône, +8 % dans les Alpes Maritimes, et surtout +14,9 % dans le Var. Autrement dit, les communes rurales et périurbaines du Var voient leur population augmenter trois fois plus vite que la ville centre de Toulon. Ces données sont confirmées par les différences en terme de fécondité : c’est loin des grandes villes que les jeunes familles s’installent et que les femmes font plus d’enfants : « Dans le Var, la fécondité des communes rurales est nettement plus élevée que dans les agglomérations de Draguignan, Toulon et Fréjus, car elles bénéficient du développement de ces agglomérations en offrant des conditions de vie favorables aux familles. Dans les Bouches-du-Rhône et le Vaucluse, ce sont plutôt des agglomérations de taille moyenne (entre 15 000 et 50 000 habitants) comme Fos-sur-Mer, Istres, Bollène, Cavaillon ou Orange, qui connaissent des taux de fécondité élevés. »

Partout en France, les grandes villes ont connu ce phénomène de désertion vers les banlieues pavillonnaires de plus en plus éloignées, le long des axes autoroutiers. Elles ont le plus souvent réagi en restaurant massivement leur centre ville, et en offrant des équipements et des services supplémentaires aux urbains (culture, espaces verts, transports en commun). Ce que Nice, Toulon et Marseille n’ont toujours pas réalisé. Dès lors, la transformation des espaces agricoles en lotissements périurbains se poursuit à une vitesse accélérée par l’arrivée des candidats au soleil. C’est là, beaucoup plus qu’au centre ville d’Avignon, d’Aix ou de Marseille, que se fait vraiment sentir « l’effet TGV »…

Etienne Ballan

Marseille, l’eldorado manqué ?

L’évolution de la population marseillaise de 1968 à 2004. (données INSEE)

Les chiffres de l’INSEE font voler en éclat les effets d’annonces de la municipalité sur l’attractivité retrouvée de Marseille. Jean-Claude Gaudin ne s’y est pas trompé en réagissant rapidement et en mettant en cause les calculs de l’INSEE, qui « doivent être envisagés avec précaution, comme une étape non représentative des résultats à l’échéance de l’étude, en 2008 ». Et de donner quelques douteuses leçons de statistiques : « ces résultats portent (…) sur un échantillon représentatif de 8 % de la population », alors que les 8 % ne sont pas seulement représentés, mais ont bel et bien été recensés de manière exhaustive ; ou encore : les résultats « laissent apparaître une légère baisse de la population marseillaise (…). Compte tenu de la marge d’erreur de plus ou moins 3000 habitants, la population serait donc stable depuis cinq ans », comme si la marge d’erreur ne pouvait jouer qu’à la hausse…

Si le Maire ne peut accepter la tendance exprimée par les chiffres de l’INSEE, c’est plus précisément parce qu’il a basé sa communication politique sur la restauration de l’image de Marseille. Après avoir réuni plusieurs centaines de néo-marseillais en 2004 pour montrer les effets concrets de cette attractivité retrouvée, le Maire se trouve contraint de contre-attaquer sur le terrain des chiffres : il évoque l’augmentation des naissances, des inscriptions scolaires, et des inscriptions sur les listes électorales. Las ! C’est ignorer que la désaffection des grandes villes est une tendance structurelle, et qu’elle est particulièrement forte dans une région qui a développé des infrastructures autoroutières qui rapprochent les banlieues et les campagnes des zones urbaines (lire ci-contre). Or comme l’emploi, l’habitat est une question qui se pose à une échelle beaucoup plus vaste que la commune. Et jusqu’à récemment, la construction de logements était bien plus forte en périphérie qu’à Marseille. La capitale régionale est donc toujours en train de rattraper son retard : les nouveaux logements compensent notamment la diminution de la taille des ménages : la même population occupe aujourd’hui plus de logements qu’hier. Dans ce mouvement de rattrapage, la population change : les néo-marseillais remplacent les anciens. La flambée des prix, quant à elle, accompagne ce mouvement, mais ne résulte pas d’une pression démographique. Son principal moteur, outre le rattrapage des prix nationaux, c’est toujours le bas niveau des taux d’intérêts, qui favorise l’endettement .

Le paradoxe de Marseille n’est donc pas qu’il y ait une envolée des prix sans la croissance démographique que l’on suppose habituellement en pareil cas. Il est à chercher du côté des élus, qui ont cru que l’image d’une commune suffisait à la rendre attractive. En fait, en offrant du pain et des jeux pour rendre sa fierté à Marseille, la municipalité Gaudin a surtout perdu du temps en matière d’équipement : aucune réalisation architecturale d’envergure qui pourrait symboliser le renouveau, un seul espace vert réalisé à ce jour, selon une logique plus immobilière que de qualité de vie (le Parc du 26ème centenaire), et enfin un système de transport en commun obsolète, doté d’horaires ubuesques. Le tramway corrigera, bien tard, certains de ces manques dans l’hyper centre. Mais en se concentrant sur la construction de logements dans ses quartiers périphériques pour concurrencer les banlieues plus éloignées, Marseille a oublié de créer les conditions d’une qualité de vie pour ces nouveaux logements comme pour les habitants du centre ville. Elle voit ainsi sa population se déplacer, changer, mais toujours pas augmenter.

Toulon revient de loin

L’évolution de la population toulonnaise de 1968 à 2004. (données INSEE)

Le temps du renouveau : c’est ce que voudrait voir Hubert Falco dans les chiffres de l’INSEE annonçant 8 000 nouveaux Toulonnais depuis 1999 : « Ce résultat va à l’encontre de la tendance urbaine régionale qui est à la stagnation des grandes villes, note perfidement le Maire UMP de Toulon. C’est la marque d’une ville redevenue attractive, en son centre comme dans ses quartiers ». La municipalité avait senti le frémissement avec l’augmentation des demandes de raccordement en eau potable, et la demande de nouvelles crèches. Pour autant, la croissance démographique toulonnaise dépend toujours étroitement des mouvements de personnel de l’armée. Un nouveau navire, le Mistral, devrait amener quelques dizaines de familles. On note également quelques nouvelles constructions, mais le foncier reste rare. A Toulon les chiffres n’annoncent pas de grande envolée à venir, mais ils ressemblent à un cadeau inattendu.

E.B.

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