Des horodateurs qui pourraient coûter cher à Gaudin

mai 2005
Depuis le 4 avril, Marseille vit au rythme quotidien des manifestations des opposants au stationnement payant, qui n'oublient pas de rappeler au maire que des élections approchent. Une aubaine pour l'opposition. Un casse tête pour la majorité.

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La mairie de Marseille n’a pas été longue à réagir. Dès le lendemain de la première manifestation des habitants d’Endoume (7e arrondissement) contre l’instauration du stationnement payant dans leur quartier, le 4 avril, Maurice Talazac, délégué municipal UMP en charge de l’aménagement urbain et de la voirie, annonçait une baisse des tarifs résidents. Le vendredi suivant, Bruno Gilles, maire UMP des 4e et 5e arrondissements, lors d’une rencontre avec des représentants de ce qui deviendra le collectif Stop horodateurs avançait des chiffres : la journée « résident » passerait à 1 ? (au lieu de 1,20 ? à 2,30 ?) et le forfait mensuel à 20 ? (contre 40 ? prévus initialement) (1). Mais le mal était fait. Notamment depuis la dispersion d’une manifestation, un mercredi, à l’aide de lacrymogènes. Déjà plus que remontés par ce qu’ils estiment être du « racket », les manifestants d’Endoume et des Catalans annoncent alors qu’ils ne lâcheront plus. Ainsi, après trois semaines de défilés quotidiens au départ de la place du 4 septembre, à Endoume, Cyril, salarié de 21 ans et membre du Mouvement du 4 septembre, clame encore : « on ne faiblira pas ! La gratuité, on la demandera éternellement ». Et il n’est pas le seul.

Le lundi 18, environ 1000 Marseillais des huit premiers arrondissements rejoignent l’hôtel de ville à l’appel de deux collectifs (Stop Horodateurs et Mouvement du 4 septembre), de l’opposition municipale et de Rouges Vifs (NDLR qui regroupe des militants PCF hostiles à la « social démocratisation » de leur parti) avec à peu près les mêmes revendications. Ils étaient encore plusieurs centaines une semaine plus tard à se retrouver sur le Vieux Port, bloqués par des cordons de CRS un peu avant l’édifice public. Le but étant de mettre la pression sur l’équipe de Jean-Claude Gaudin jusqu’au conseil municipal du 9 mai, qui devrait entériner la nouvelle tarification, en défilant chaque semaine.

Mais si tous les manifestants se retrouvent pour refuser « de payer pour un stationnement improbable puisque les parkings ne sont pas encore réalisés et que les travaux du tramway bloquent de nombreuses places », dénoncer « des transports en communs incapables de se substituer à la voiture » et vilipender « une taxe nouvelle qui s’ajoute à l’augmentation des impôts locaux et des loyers », tous n’ont pas le même objectif. Alors que le Mouvement du 4 Septembre exige la poursuite de la gratuité du stationnement pour les résidents, le collectif Stop Horodateurs présente des revendications plus modérées. Lors de leur entrevue avec Bruno Gilles, ses représentants ont ainsi demandé que les parkings programmés soient réalisés avant la mise en place du tramway. Ils acceptent que des horodateurs soient installés mais après la fin des travaux et à des tarifs accessibles à tous.

Un parfum de campagne

Ces deux logiques ne semblent pas poser de problèmes à des anti-horodateurs unis dans leur lutte. Elles se retrouvent par contre d’une manière plus conflictuelle dans les rangs des militants politiques. Le représentant des Comités CGT-chômeurs marseillais, Charles Hoareau, également membre des Rouges Vifs, fustige par exemple les élus de la gauche officielle qui « il y a vingt ans aurait été capable de refuser ces parcmètres en bloc ». Patrick Menucci, conseiller municipal PS et vice président à la Région, raillant de son côté « la faible capacité de mobilisation » de ceux qui lui donnent des leçons.

Les représentants du PS, du PC et des Verts d’un côté, de Rouges vifs de l’autre, sont très présents depuis les premières manifestations. Mais n’arrivent pas réellement à structurer eux-mêmes le mouvement. Les premiers soutenant, uniquement assurent-ils, la « motion » Stop horodateurs, tout en préparant une délibération visant à instaurer un moratoire sur l’installation des parcmètres. Les seconds défendant l’option, plus radicale, du mouvement du 4 septembre. Tous profitent de la fronde pour contester la politique municipale. Charles Hoareau estime ainsi que « tous les projets actuels ont pour but de faire une ville de luxe ». Patrick Menucci se limitant, pour sa part, à dénigrer « des transports en communs inefficaces et un projet de tramway qui est un emplâtre sur une jambe de bois ». Ensemble ils prédisent des municipales difficiles pour le maire UMP de Marseille. « Les mécontentements s’additionnent », note Christian Pellicani, conseiller d’arrondissement PCF. Ce qui ne laisse pas insensibles les manifestants. Au fur et à mesure que le mouvement s’ancre, ils n’ont en effet de cesse de rappeler à Jean-Claude Gaudin qu’ils sont aussi des électeurs. Argument qui semble faire mouche. Depuis le début de la fronde, Maurice Talazac ne ménage pas ses efforts pour défendre la décision municipale. « Le stationnement payant est un outil du plan de déplacement urbain de la municipalité, rappelle le responsable voirie de Jean-Claude Gaudin. Le résultat sera un tramway qui fonctionne, des bus plus rapides et plus de parking. Si les Marseillais ont tous ces problèmes aujourd’hui, ils reconnaîtront notre travail plus tard ».

Certitude cependant émaillée par une dernière constatation : « en s’attaquant à la voiture, une chose sacrée pour les Marseillais, et en révolutionnant les habitudes, nous nous attendions à ce genre de réaction. » Pour ne pas dire de risque. Mais des habitudes, le sénateur-maire de Marseille en a également. Il vient en effet d’accorder le tarif résident définitif aux commerçants, aux artisans et aux professions libérales, son électorat traditionnel. Et une part non négligeable des manifestants de la première heure.

Jean-François Poupelin

(1) Tarif « résident » : 1 ? par jour, 5 ? par semaine et 20 ? par mois, soit deux fois plus qu’à Paris où le réseau de transports en communs est bien plus performant…

Pas Ravi !

Au secours ! Poujade revient…

Il y a des vérités qui ne veulent décidément pas changer. Parmi celles-ci, bien ancrée chez les hommes politiques de tout bord, est la suivante : c’est quand on touche au portefeuille que les électeurs se remuent. Une autre sentence, plus locale : à Marseille, c’est quand on touche à leur voiture que les marseillais se révoltent. En effet, les manifestations pour l’ouverture du métro après 21 heures n’ont jamais attiré grand monde… mais qu’on touche à la bagnole, et là on s’énerve. La bagnole, ce symbole de liberté qui vous enferme dans un bouchon, mais qui reste la seule manière de vivre à « la marseillaise » : aller à la plage quand on veut, et si possible ailleurs qu’au Prado ; aller visiter la belle-famille dans une moche villa de Vitrolles ou de Carry (c’est selon le milieu) au fin fond de l’allée Debussy, dans une zone pavillonnaire où aucun bus ne s’aventurera jamais ; aller au cinéma dans une zone commerciale après 21 heures, justement, etc. Après le vote, le logement, l’emploi, les marseillais voudraient inscrire dans la liste des droits fondamentaux le droit à la voiture…

Seulement voilà, la « liberté » des uns coûte cher aux autres. Avoir une voiture en ville, la faire rouler, la garer : ce sont des actions qui coûtent cher à la collectivité, en termes d’infrastructures, de stationnement, de pollution, etc. Dès lors, l’instauration d’un stationnement payant, même maladroite, est une évolution imparable et incontestable : les propriétaires de voiture doivent assumer une partie des charges que ce privilège implique, quelle que soit la situation des transports en commun à présent et dans l’avenir. La grogne contre les horodateurs a donc un effet majeur : elle permet à la Ville de Marseille de se montrer comme seule incarnation de la responsabilité collective contre les individualistes et les égoïstes. Quand on connaît la prudence de l’équipe municipale et sa façon de caresser son électorat dans le sens du poil, la « bourde » des horodateurs ressemble beaucoup à une diversion : une manière d’orienter la grogne vers des revendications individualistes plutôt que de risquer la contestation sur les travaux du tramway, voire sur le tracé dudit tramway. Et d’apparaître enfin, après dix ans d’immobilisme total sur les questions urbaines, comme une équipe politique volontaire incarnant le changement. La métamorphose…

Etienne Ballan

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