« Le vote FN est complètement réversible »

mars 2014 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Christèle Marchand-Lagier, spécialiste du vote FN en Paca, invitée de la Grande Tchatche
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Le Front national, en emportant sept mairies, réalise-t-il une nouvelle percée électorale en Provence-Alpes-Côte d’Azur ?
Ce score traduit un ancrage réel du parti dans la région. Mais si on parle en terme de voix, sur Avignon par exemple (Ndlr. 35,2 % pour le FN Philippe Lottiaux au 2ème tour), je constate qu’il n’y a pas une véritable progression en comparaison avec les élections présidentielles de 2012. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est que le Front national parvient à améliorer son score entre les deux tours, y compris dans des communes où il n’est pas en tête.

Les villes dans lesquelles le FN fait ses meilleurs scores ont-elles une spécificité ?
Dans ces communes, la droite est souvent divisée. Au Pontet (84) par exemple. A Fréjus (83) aussi, où l’UMP a eu du mal à afficher l’union, le FN incarne le renouvellement de la classe politique (Ndlr. Le nouveau maire FN, David Rachline, a 26 ans). A Carpentras (84), il y a eu, en plus des divisions, une surenchère programmatique empiétant sur les idées du FN (Ndlr. In fine, le maire PS sortant a été réélu lors d’une triangulaire face au FN et à l’UMP). C’est un problème d’identité de la droite.

Le FN misait beaucoup sur Saint-Gilles (30), Tarascon (13) ou Sorgues (84), des mairies qu’il n’a finalement pas réussi à conquérir…
Il est très difficile de prévoir les résultats du Front national, les sondages ne sont pas fiables. Mais ces communes ont été sous le feu des projecteurs médiatiques. Si la médiatisation peut avantager le FN, elle peut aussi le desservir et permettre une plus forte mobilisation des électeurs anti-FN. A Saint-Gilles, l’attitude de Gilbert Collard, persuadé de gagner, a peut-être été également contre-productive (Ndlr. L’avocat d’extrême droite a été battu à 194 voix près).

Pourquoi le Front national fait-il de si bons scores dans notre région ?
Ici, la droite est très à droite. Les passerelles avec le FN sont plus anciennes et plus enracinées qu’ailleurs. L’extrême-droite a investi la région depuis très longtemps, les gens sont habitués à sa présence.

Selon vous Marine Le Pen n’a pas la même stratégie de prise de pouvoir que celle que défendait autrefois son père. Qu’est ce qui change fondamentalement ?
Marine Le Pen veut s’implanter localement. Elle reconnaît l’efficacité de la stratégie de Jacques Bompard de la Ligue du sud (Ndlr. Réélu à la mairie d’Orange (84) dès le 1er tour avec 59,8 %). Désormais dans le Vaucluse, si l’étiquette est différente entre La ligue du Sud et le FN, la stratégie est la même. Et des convergences ont aussi lieu avec la droite. Par exemple, Marion-Maréchal Le Pen, en tant que députée du Vaucluse, apporte son aide aux élus locaux et se rapproche de certains qui ne sont pas d’extrême-droite. Cependant, la campagne électorale menée par le FN a clairement été nationalisée, avec la tête de Marine Le Pen sur toutes les affiches.

Les dernières expériences de mairies FN, en 1995, n’ont pas été flamboyantes en Paca…
Nous ne sommes plus dans la même configuration qu’en 1995. A cette époque, les élus étaient seulement des idéologues. Mais aujourd’hui, le Front National va devoir présenter des bilans, se professionnaliser et donc rabaisser ses ambitions idéologiques. Je vois mal Steeve Briois, qui a mis 20 ans à conquérir à Hénin-Beaumont (62), prendre des mesures radicales. Le Rassemblement Bleu Marine, c’est la mort annoncée du FN en tant que simple idéologie.

A Brignoles (83), la liste de gauche s’est retirée pour faire barrage au FN. Ce n’est pas le cas dans le 7ème secteur de Marseille (13) où Stéphane Ravier a été élu. Le front républicain est-il encore efficace ?
Non, c’est une stratégie qui échoue de plus en plus. Le front républicain brouille les lignes politiques et apparaît comme une méthode électoraliste de l’entre-deux-tours. Les candidats ne pourront pas continuer à appeler au secours : « S’il vous plaît, sauvez ma peau au second tour ! » Il faut retourner parler de politique aux gens, en dehors des périodes électorales.

Quel est le rôle de l’abstention dans les scores du Front national ?
Il est très compliqué de le déterminer. L’électorat FN est davantage un conglomérat, c’est un vote ponctuel. L’abstention, c’est pareil : c’est ponctuel. Il n’y a pas une mécanique précise. Les abstentionnistes peuvent d’ailleurs servir d’autres partis parfois. Par contre, il faut dire que le FN ne s’adresse pas aux abstentionnistes, ce n’est pas un parti hors du système comme Marine Le Pen le fait croire.

Qui vote Front national en Paca ?
J’ai pu dégager trois profils. D’abord, il y a un petit groupe d’idéologues, les plus âgés, qui forme la base étroite du parti. Mais c’est une minorité. D’autres, moins âgés, sont des électeurs de droite qui ont pris l’habitude de voter FN au premier tour, puis UMP au second. Et de plus en plus, ils sont capables de choisir le candidat frontiste s’il est présent au second tour. Et enfin, il y a une jeune génération très peu socialisée politiquement. Des électeurs pour qui la gauche et la droite, c’est la même chose. Pour eux, le FN, c’est un vote révolutionnaire. Globalement, les électeurs frontistes sont souvent issus de la classe moyenne, et non de milieux populaires comme on l’entend parfois.

Pour Marine Le Pen, c’est un « vote d’adhésion »…
Absolument pas. C’est un vote sans illusion. Les électeurs du FN, eux-mêmes, disent : « Après tout, ils ne feront peut-être pas mieux, mais essayons. » C’est un ras-le-bol, avant tout, qu’ils expriment. Quand je les rencontre, ils me disent qu’ils « en ont marre de payer pour les autres ». Mais ils ne connaissent pas les programmes du FN. La seule mesure qu’ils évoquent, c’est la sortie de l’euro, sans toujours être convaincus de son efficacité. Et puis, localement, voter Front national peut permettre de régler ses comptes avec la municipalité sortante.

Alors le vote FN n’est pas une fatalité ?
Non, le vote FN est complètement réversible, c’est un épiphénomène. D’ailleurs, le vote FN est important dans notre région, mais nationalement, une douzaine de mairies, ce n’est pas une vague. Il faut analyser ces résultats comme une remise en question de notre système politique. L’éducation citoyenne est à repenser : la formation des cadres des partis politiques, par exemple. Il faut aussi rassembler les électeurs autour de programmes bien distincts. Des programmes de gauche et des programmes de droite et remettre un peu d’idéologie dans la politique. L’autre question, c’est celle de la recomposition de la droite. Peut-être allons-nous vers une offre double : une droite dure incarnée par Marine Le Pen et une droite centriste menée, par exemple, par Alain Juppé.

Propos recueillis le 31 mars par Hugo Verit. Émission animée par Michel Gairaud et Rafi Hamal.