LFoundry court-circuité
Ce jeudi 9 janvier, une trentaine de CRS, postée devant le consulat des États-Unis à Marseille, installe des barrières métalliques sur la route. Ils attendent les salariés de LFoundry qui débarquent bientôt, à 400, pour défendre leurs emplois et leur usine de semi-conducteur, située à Rousset. L’entreprise est en liquidation judiciaire depuis le 26 décembre dernier. Les machines sont à l’arrêt et les 613 employés bientôt licenciés. Bérangère faisait partie du premier plan de départ volontaire (153 salariés), décidé fin novembre : « Je suis partie parce que je n’y croyais plus. Mais j’ai tout perdu, j’avais un certain niveau de vie et l’amour de mon métier, je venais travailler en chantant ! »
Devant le consulat, ils déversent leur colère contre le groupe américain Atmel qui, en 2010, a revendu le site à l’Allemand LFoundry, pour un euro symbolique : « Atmel, ce sont des voyous, et LFoundry, un simple cheval de Troie. Ils savaient très bien qu’on allait fermer trois ans plus tard, ils voulaient juste éviter de payer des indemnités de licenciement », explique Jacques, salarié depuis 18 ans. « Aujourd’hui, j’ai 54 ans, ça va être difficile de me recaser, surtout dans ce domaine. »
Terroristes ?
Les esprits s’échauffent, les manifestants font vaciller les barrières, mais les portes du consulat restent closes. Michel Millo, délégué syndical CFDT, a une explication : « On nous dit qu’ils ne peuvent pas nous recevoir car les trois représentants syndicaux sont nés à l’étranger, en Algérie et au Maroc… » Et les Américains n’auraient pas le temps de vérifier qu’il ne s’agit pas de terroristes… « On veut attaquer Atmel, sur son terrain, pour non-assistance à personne en danger, poursuit Michel Millo. Une information judiciaire pour abus de biens sociaux a été ouverte, fin octobre, à l’encontre de LFoundry. La plainte, déposée par la CFDT, évoque la disparition inexpliquée de 20 millions d’euros.
« Je n’arrive pas à réaliser, je n’arrive pas à m’extraire de ce combat pour rechercher un emploi, affirme Sandra, j’aimerais qu’on nous explique pourquoi on en est arrivé là. » Son amie Edith est venue en combinaison bleue de travail : « On nous dit qu’on n’est pas rentable alors que des audits montrent l’inverse ! Qu’on nous laisse faire notre boulot ! » Florence est aussi dans l’incompréhension : « Un jour, je suis allée au travail, et puis on nous a tous réuni pour nous dire que c’était fini. Votre vie se coupe d’un coup. Et tout reste figé dans le temps. »
Deux semaines plus tard, les délégués syndicaux sont reçus à la sous-préfecture d’Aix-en-Provence pour discuter des mesures d’accompagnement du Plan social pour l’emploi. Une centaine de salariés envahit l’étroite rue Mignet. Entre-temps, la communauté du Pays d’Aix et le Conseil régional se sont engagés à débloquer trois millions d’euros. « C’est uniquement pour conserver l’outil de production en l’état pendant trois mois, mais sinon rien n’a changé, on est toujours au chômage, et on a toujours pas de soutien de Montebourg, à part des pirouettes verbales », s’indigne Florence.
« C’est la NASA ! »
Lorsqu’on lui parle de reclassement, Emmanuel fait la moue : « Je me tiens dans les starting-blocks. Je ne vais demander que des CDD pour pouvoir me dégager si jamais le site repart. On a un repreneur américain qui est intéressé, mais il lui manque de l’argent. » Dans la foule règne un sentiment de gâchis : « On a fait des efforts pour rester en vie : on a changé d’horaires, on a développé des produits en des temps records ! Notre tout dernier produit, nos clients était prêts à l’acheter à risque, à prendre les prototypes ! », raconte Erik. Bertrand travaille à LFoundry depuis 15 ans : « Il faudrait que tout le monde visite le site de Rousset. C’est la NASA ! Tout est opérationnel. Essayons au moins de sauver ce site, même à 150 personnes ! »
Le flou règne aussi sur les conditions de licenciement. Comme l’argent s’est évaporé, l’Assurance générale des salaires (AGS) prend en charge l’ensemble des frais de personnel : préavis, congés payées. « Et tout ce que l’AGS nous paye, c’est ce qu’on aura en moins dans notre indemnité de départ. On aurait dû partir avec 100 000 euros, on va se retrouver avec 20 000 », explique Bertrand.
Après deux heures de réunion, les délégués syndicaux sortent enfin de la sous-préfecture. Jean-Yves Guerrini, délégué CFDT, prend le micro : « Tout le monde nous soutient mais l’État veut absolument un investisseur. Alors maintenant, les investisseurs, c’est nous. On va leur montrer qu’on peut devenir une entreprise ! » Le mot Scop est lâché et la Marseillaise entonnée, dans l’espoir, peut-être, de réveiller les machines endormies.
Hugot Verit