Concertation à la mode provençale

février 2005
Attention, ceci n'est pas un reportage mais une pure fiction ! Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé n'est pourtant pas fortuite. 95 % de ce que vous pouvez lire ici est vrai !

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Acte 1 : Septembre 2004, palais des congrès d’une grande ville

La salle est comble. Le public, attentif, écoute monsieur Lélu exposer le projet de tramway qui doit être débattu ce soir. Dans l’encadrement d’une porte, on distingue le crâne chauve du correspondant d’un grand journal du soir. Ses confrères discutent avec les hôtesses à la buvette. Apparemment le dossier de presse leur suffira pour rendre compte de la réunion. Au dernier rang, les étudiants en sociologie (les seuls à prendre des notes) et devant eux quelques figures de la vie associative locale. Sur la tribune, trône la mascotte Fifi, péniblement animée par des intermittents du spectacle.

Lélu : « Chers électeurs, heu, je veux dire chers administrés, nous voici réunis afin de faire vivre cette belle chose qu’est la démocratie. Pour nous porter bonheur, nous avons réalisé cette magnifique mascotte qui nous permettra de mieux saisir les enjeux. Ouvrons tout de suite le débat. Je vois que certains ont déjà des questions. »

Un homme se lève :« Je me présente, Lasso, président d’« Alternatives citoyennes aux initiatives inconsidérées des élus et techniciens en PACA ». Je m’élève contre l’indigence du dossier qui nous a été transmis, aucune des études techniques, pourtant obligatoires, n’a été communiquée au public. Il s’agit d’une violation flagrante de la loi sur la transparence administrative transposée de la convention d’Aarhus dans le droit français. De plus,…» (Suit une tirade de 18 minutes)

Tandis que Lasso poursuit la liste des irrégularités constatées, Lélu commence à blêmir puis à bailler.

Lélu : « Merci monsieur…euh… Lacet pour ce témoignage… fort complet. Nous allons maintenant interroger notre mascotte : alors Fifi ? »

Fifi (d’une voix de robot) : « Le tramway c’est chouette, avec Fifi tout va comme sur des roulettes. »

Lélu : « Merci Fifi. »

Monsieur Lasso se rassoit, un peu dépité…

Madame Scotto : « Eh bien moi, monsieur Lélu, je vous le dis, du temps du grand Georges on n’aurait jamais osé faire ça. Peuchère… nous faire passer le… le chose devant la porte. Nous, les habitants du plus vieux quartier de la ville, nous faire ça à nous. (Elle hurle, quelques applaudissements dans la salle.) Je vous le dis comme je le pense : c’est une honte. »

Fifi : « Le tramway c’est le bonheur, partout où il passe il y a des fleurs. »

Le bulletin municipal s’enthousiasme de cette réunion présidée par Lélu (photo), le quotidien régional publie les secrets de fabrication de la mascotte. Le grand quotidien du soir décrit la rencontre comme l’expression d’une volonté populaire dans une ville en proie à la mondialisation.

Acte 2 : Juin 2007, dans le bureau du maire

Lélu : « Bon alors, c’est quoi ce pastis de concertation : on est en retard que c’est pas possible. Je vous rappelle que les élections c’est dans pas longtemps. On va pas pouvoir repousser le calendrier électoral éternellement. »

Enchèfe (en charge des services techniques) : « C’est qu’on a déjà modifié le trajet trois fois à cause des commerçants du centre ville… Je vous avais prévenu ! »

Lélu : « Oui, oui bon. » (Il soupire en pensant aux indemnités énormes qu’il a dû verser à l’association des commerçants et se demande comment il va payer sa campagne.) « Maintenant que c’est réglé, faut mettre le turbo. »

Enchèfe : « …Mais nous en sommes seulement au stade des ateliers de synthèse qui doivent établir les compléments d’étude demandés par les associations. Vous vous êtes d’ailleurs personnellement engagé à prendre leur avis en compte… »

Lélu : « Ô pauvre ! C’est vrai ça, je m’en mange encore les couillons. Qu’est-ce qu’ils veulent les chevelus déjà ? »

Enchèfe : « Que l’on intègre le tram dans un plan global de déplacement urbain associé à un plan de lutte contre la pollution atmosphérique. »

Lélu : « Oulala… A un an des élections, mais ils sont fadas ! » (Il se gratte le crâne, ouvre la bouche… mais rien ne sort.) « Putain, je les sens mal ces élections ! Ca y est, j’y suis ! Appelez-moi mon directeur de cabinet. »

(Celui-ci entre, prend connaissance du problème et répond immédiatement) :

Dircab : « Alors, les écolos, ont leur fait 3 kilomètres de pistes cyclables sur l’avenue centrale et on piétonnise le quartier tenu par nos opposants, ils se démerderont avec ça, les habitants qui peuvent plus se garer » (Eclat de rire général).

Acte 3 : Septembre 2008, épilogue

Au prix de quelques entorses au droit du travail, les travailleurs immigrés ont pu terminer à temps le tramway pour les élections. Du moins la partie qui traverse le centre ville. Après avoir tout fait pour s’opposer au projet, les commerçants sont ravis et ont oublié les tracts haineux qu’ils diffusaient généreusement il y a encore quelques mois. Les automobilistes apprécient la nouvelle piste cyclable qui permet de se garer beaucoup plus facilement sur l’avenue centrale. Finalement, deux portions de rue ont été rendues piétonnes et le plan de déplacement urbain attend toujours d’être examiné par le conseil municipal. Un grand reporter du quotidien régional décrit son premier trajet dans le tramway (vécu, proximité). Le journal du soir publie une interview du conducteur de tram ougandais. Monsieur Lasso a obtenu du tribunal administratif, un an après l’inauguration, que soit reconnue l’insuffisance des études préliminaires. Le rapport des sociologues est attendu pour 2010. On sait déjà qu’il conclut au renouvellement de la démocratie grâce aux processus de concertation.

Propos recueillis par transport temporel par Guillaume Hollard

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