La bataille duraille

janvier 2005
Le projet de ligne à grande vitesse entre Marseille et Nice va devenir le centre de toutes les discussions en 2005. Parce qu'il va rapprocher Nice de Marseille et de Paris, réinscrire la région dans une logique européenne et représenter surtout un investissement colossal qui aura des répercussions locales et brutales. Plus qu'ITER, c'est l'infrastructure qui pourrait changer la vie quotidienne de centaines de milliers d'habitants de la région.

Le débat public qui va se dérouler en PACA sur la création d’une nouvelle ligne à grande vitesse (LGV) rappellera à certains l’aventure épique du TGV Méditerranée, objet d’un combat acharné entre les associations et la SNCF. Or c’est à la suite de ce combat, et pour éviter que des projets ne s’enlisent à nouveau dans la contestation, que l’Etat a voulu encadrer la concertation sur les grands projets d’aménagement, en créant en 1995 la Commission nationale du débat public. Cette commission a nommé son vice président Philippe Marzolf pour mener le débat public sur la LGV PACA, avec l’appui de cinq autres personnalités (dont trois sont originaires de la région) qui forment une commission particulière du débat public.

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Mais cette commission n’arrive pas en terrain vierge. Depuis novembre 2003, les élus (1), le préfet de Région et Réseau Ferré de France se réunissent au sein d’un Comité d’orientation qui semblait avoir fait son choix entre les trois solutions proposées par RFF (voir encadré). La solution retenue en juin 2004 laissait Marseille de côté pour rejoindre directement une gare au Nord de Toulon, puis Nice (desserte sur deux axes). Le préfet de région pouvait se rassurer et demander que le débat public ait pour but de « faire partager le plus largement le constat déjà dressé par les grands élus ». Bel exercice de démocratie participative en perspective…

Las ! C’était sans compter sur la sagacité des élus marseillais qui se réveillent huit mois après le début des réunions et proposent une solution technique, passant par Marseille, qui figurera dans le dossier du débat. L’empoignade aura donc bien lieu et les réunions publiques de débat devraient faire le plein au moins dans les Bouches-du-Rhône et le Var.

« On fait une LGV pour que les Parisiens soient plus vite au soleil, sans rien faire pour développer l’offre régionale qui concurrencerait enfin la voiture »

Personne ou presque ne conteste aujourd’hui l’opportunité que constitue une LGV entre Marseille et Nice. Conçue pour rapprocher Nice du Nord de l’Europe, elle intéresse les marseillais en construisant cet « arc méditerranéen » entre Gênes et Barcelone dont la cité phocéenne serait le pivot. Enfin, RFF et la SNCF y voient pas mal d’avantages : prendre des parts de marché à l’avion (l’aéroport de Nice arrive à saturation), sans dépenser trop. En effet, les financements des LGVs sont désormais assurés en moyenne aux trois quarts par l’Etat et les collectivités. Et le coût prévisible au kilomètre pour la LGV PACA (25 millions ? environ) est le double des autres LGV, du fait des nombreux tunnels nécessaires quels que soient les tracés. Or, ce que les collectivités investiront dans la LGV, elles ne pourront pas l’investir ailleurs.

C’est ce que disent en substance une partie des associations de protection de l’environnement : on fait une LGV pour que les Parisiens soient plus vite au soleil, sans rien faire pour développer l’offre régionale qui concurrencerait enfin la voiture. Le Conseil Régional a pourtant pris plusieurs engagements pour multiplier les TER : en augmentant les cadences et les temps de trajet sur la ligne Marseille-Vintimille existante, il projette d’établir une offre semblable au RER parisien. Or, cette offre n’est pas compatible avec les TGV sur la même ligne, à moins d’investissements énormes. RFF promet ainsi que la LGV servira à « désaturer » la ligne actuelle. Reste la difficulté de connecter les nouvelles gares TGV au réseau TER, point sur lequel les associations semblent très mobilisées.

Du point de vue des transports, donc, la LGV pourrait ne faire que des heureux. Mais le train ne sert pas qu’à se déplacer : c’est un des outils privilégiés de l’aménagement du territoire. Créer de nouvelles gares, c’est connecter des territoires, créer des centralités sur lesquelles viennent naturellement se greffer des activités et des logements. Sur ce point, les élus régionaux sont moins à l’aise. Si le conseiller régional chargé des transports, Gérard Piel, est présent aux réunions d’orientation, son collègue chargé de l’aménagement du territoire, Christophe Castaner, n’y met pas les pieds. Par ailleurs, la commission particulière est déjà avertie que les grands élus sont d’accord pour que chacun s’exprime chez soi et n’aille pas déterrer la hache de guerre chez le voisin. Difficile dans ces conditions d’imaginer un débat régional à la hauteur des enjeux : le mitage des paysages, le « nappage pavillonnaire », la disparition des terres agricoles, la mono-activité touristique, la spéculation foncière, etc.

RFF, le maître d’ouvrage, se plaint lui-même de ne pas voir émerger de projet de territoire autour de la LGV. Et semble vouloir rompre avec la négociation au coup par coup avec chaque élu dans son coin. Ainsi le responsable des études LGV de conclure le document de synthèse présenté aux acteurs : « s’il nous semble qu’une LGV PACA grande vitesse et grande capacité trouve toute sa justification (…), ce n’est pas tant comme le résultat d’une démonstration, mais plutôt comme une impression d’ensemble, comme une impossibilité (la nôtre) de trouver mieux. » Une forme d’invitation au débat…

Etienne Ballan

(1) Conseil Régional PACA, conseils généraux du Var, des Bouches du Rhône et des Alpes Maritimes, communauté urbaine de Marseille, communautés d’agglomération de Toulon et de Nice. Le préfet n’a pas souhaité que la communauté du pays d’Aix soit représentée.

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