LGV : Post debatum

septembre 2005
Le débat sur la LGV PACA est clos depuis le 8 juillet. Un exercice plutôt réussi, malgré quelques ratés comme l'annonce intempestive du ministre Estrosi, meilleur sprinter dans la course à la récupération politique. Quant au projet lui-même, il pourrait voir le jour par tranches successives.

C’est le projet régional pour le 21ème siècle : un train à grande vitesse (TGV) entre Marseille et Nice qui permettrait en même temps de rapprocher Nice de Paris (moins de 4 heures), de placer la région au c?ur de « l’arc latin », passage obligé entre Barcelone et Gênes, et enfin de rapprocher les trois métropoles régionales, entre lesquelles on ne circule plus qu’en voiture ou presque… Car les défenseurs de la LGV-PACA insistent sur ce point : le TGV permet de tailler des croupières à la voiture et à l’avion, réduisant d’autant les émissions de gaz à effet de serre. Un argument auquel tout le monde adhère, tant qu’on ne parle pas du tracé qu’empruntera la nouvelle voie ferrée…

Des hauts et débat En effet, la ligne existante entre Marseille et Vintimille est aujourd’hui saturée et les temps de parcours s’allongent. Au point qu’aux abords de Nice et de Marseille, on ajoute une troisième voie pour pouvoir faire passer plus de trains express régionaux (TER). Un tracé en lignes presque droites étant obligatoire pour la grande vitesse, la LGV emprunterait un nouveau tracé entre le Nord de Marseille et la gare de Nice. Pour cela, Réseau Ferré de France (RFF), maître d’ouvrage du projet, a prévu plusieurs scénarii, soumis à un vaste débat public entre février et juillet 2005 (lire le Ravi n°15). La Commission Particulière du Débat Public (CPDP) nommée pour animer ce débat se réjouit de la participation importante : 8 300 personnes sont venues aux 39 réunions organisées pendant les quatre mois et demi de débat. Ce bel exercice démocratique a-t-il pour autant fait évoluer le projet et donné un sens à ces grandes perspectives d’aménagement du territoire ?

Premier objectif d’un débat public : discuter, et si possible décider de l’opportunité du projet. Si à Nice, il s’est trouvé peu d’opposants, ailleurs, les riverains probables ont soulevé quelques interrogations sur la nécessité d’une LGV au regard de ses impacts environnementaux et sociaux dans une région à la fois urbanisée et qui conserve néanmoins des espaces naturels remarquables. Autre frein : le financement de l’ouvrage, qui reviendrait pour 70 % aux organismes publics (35 % pour l’Etat et 35 % pour les collectivités locales) c’est-à-dire aux contribuables, et non plus aux entreprises publiques RFF et la SNCF, comme c’était le cas pour le TGV Méditerranée. La commission a fait son calcul : pour la part des collectivités locales (environ 2 milliards d’euros), cela représenterait une charge de 60 euros par an et par habitant pendant 30 ans. De quoi peser sur les budgets et contrarier la réalisation d’autres projets, parfois plus prioritaires.

Un débat TER à TER Or, justement, parmi ces projets, le débat a fait surgir un consensus portant sur « la nécessité d’augmenter les capacités ferroviaires et de donner la priorité aux transports quotidiens (TER et dessertes type RER), afin d’offrir une vraie alternative au tout routier » (1). Les lignes sur lesquelles circulent les TER datent des débuts du rail, plusieurs ne sont pas électrifiées et certaines ont été fermées. Paradoxalement, le grand gagnant du débat sur la LGV est un projet de réouverture d’une ligne ancienne, Carnoules-Gardanne, qui permettrait de désenclaver le moyen et le haut Var. Les nouveaux TER pourraient également rouler sur la future voie TGV et se transformer ainsi en TER-GV, assurant des liaisons rapides de ville à ville.

Loin de servir de justification à un projet déjà ficelé, le débat a donc fait émerger d’autres besoins, ce qui n’est pas sans impact sur les scénarii et les tracés envisagés. Ainsi, le besoin d’interconnexion avec les TER amène naturellement à rapprocher les gares des centres villes et des lignes existantes. Aux Arcs (Var), la nouvelle gare devra se connecter avec la gare existante sur la voie ancienne. A Toulon, le projet d’une gare à Cuers (située à 25 km du centre ville par autoroute) a été abandonné au cours du débat, pour finalement envisager de l’implanter à la Pauline, à proximité de l’Université, reliée par tramway à Toulon et par train à Hyères. Marseille, qui se trouvait à l’écart de la plupart des scénarii initiaux, a également marqué des points en proposant une gare en centre ville, sous Saint-Charles ou à la Blancarde, où l’interconnexion sera possible avec le métro et le tramway. Ces nouvelles propositions sont peut-être le résultat de l’opposition des agriculteurs varois à Cuers ou de la maire d’Aix-en-Provence qui soutenait les projets de Marseille pour éviter tous les tracés passant sur son territoire… Mais ce sont surtout les agences d’urbanisme qui ont mis à profit le temps du débat pour trouver un compromis satisfaisant les trois métropoles. En annonçant qu’elles s’étaient mises d’accord sous la houlette du tout nouveau secrétaire d’Etat à l’aménagement du territoire, les trois grandes villes ont d’ailleurs pris de vitesse le débat public lui-même (lire ci-contre).

De belles luttes en perspective A côté des deux autres scénarii encore en lice (un tracé Nord passant par Pertuis et desservant Iter, ou une simple amélioration de la ligne actuelle), le compromis consistant à faire passer la LGV par les trois grandes villes tout en s’écartant du littoral pour les portions inter-cités (desserte en « chapelet »), fait aujourd’hui figure de favori. Mais déjà, les habitants d’Aubagne et de Cuges-les-Pins (Bouches-du-Rhône) se mobilisent contre cette option (lire ci-contre), tandis que les habitants de la Crau et de la Farlède, dans le Var, découvrent le projet de gare à la Pauline une fois le débat public clos. Dans les deux cas, les riverains sont des habitants périurbains qui défendront jusqu’au bout leur cadre de vie et leur tranquillité… Mais surtout, ces évolutions du projet entraîneront un surcoût qui reste à évaluer précisément… et à financer !

Les Wagons avant la locomotive En attendant que ces éléments se précisent, la Commission constate que c’est dans l’Est de la région que le projet, qui correspond à une demande urgente des acteurs locaux, suscite le plus large consensus. Du coup, la réalisation de la LGV risque de commencer par la fin, c’est-à-dire l’arrivée dans les Alpes-Maritimes. Un saucissonnage du projet qui permettrait, selon la commission et l’expert indépendant qu’elle a nommé pendant le débat, « d’assurer une meilleure rentabilité de l’investissement en résolvant les problèmes les plus urgents ». Ce choix, prudent, sera peut-être celui de RFF, sommé de prendre une décision tenant compte du débat avant la fin de l’année. En entérinant trop vite les desiderata de Marseille et Toulon, l’entreprise publique risquerait en effet de s’engager sur un projet trop ambitieux.

Etienne Ballan

(1) Extrait du bilan du débat public, CPDP LGV-PACA.

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