Étienne Chouard : la chute
C’est la morale de « la Haine » : « L’important, ce n’est pas la chute, c’est l’atterrissage. » Mais, avec Etienne Chouard, l’important, et pas seulement parce qu’il porte un tel patronyme, c’est la chute. Pourtant, en son temps, on aurait presque donné à ce grand amateur de parapente son baptême d’altermondialiste sans confession : en 2005, ce prof d’économie vivant près d’Aix avait défrayé la chronique et fait le buzz sur le web en décryptant la constitution européenne, le « TCE ».
Seulement voilà. Depuis, ce partisan de la « démocratie directe » et du « tirage au sort » – organisant avec les « gentils virus » (GV) des « ateliers » pour que la constitution soit écrite non par « l’élite » mais par le « peuple » – sent le soufre. Les casseroles de cet « encyclopédiste » qui lit « tout » et dialogue avec « tout le monde » ? Des liens encombrants avec l’extrême droite (en particulier Alain Soral) et la galaxie complotiste (notamment Thierry Meyssan).
Résultat : fin juin, pour clore l’année consacrée à la « démocratie » de l’université populaire d’Avignon (UPA), était prévu un « débat » entre Chouard et l’essayiste Raoul-Marc Jennar. Avec comme partenaires les GV locaux qui, eux, préparent « Destination démocratie », un mois de débats, de conférences en marge du festival d’Avignon. Sauf que la conférence n’aura pas lieu, Jennar ayant jeté l’éponge : « A l’UPA, nous sommes attachés au débat, explique son président, Jean-Robert Alcaras. A partir du moment où ce n’est pas possible, on a préféré annuler. Et pas question de laisser une tribune à un militant. » A Saillans aussi, petite commune de la Drôme qui s’essaye à la démocratie directe et participative, la venue en septembre de Chouard sera annulée.
« Chez nous, il y a de tout »
Grimace d’un GV d’Avignon : « Je sais bien qu’il y a polémique du fait d’un lien entre le site web de Chouard et celui de Soral. Mais depuis, ce lien a été retiré. Et ce qui m’intéresse, ce n’est pas ça, mais l’idée que porte Chouard. Et si on s’attaque autant à lui, c’est que l’idée qu’il porte dérange. Elle doit donc être intéressante. » Une de ses collègues rebondit : « Il n’y a pas de fachos chez nous. Je suis à Sud. Et j’ai été à Ras l’Front. Chez nous, il y a de tout. Même des gens du FN. Mais ce ne sont pas des racistes. S’ils sont au FN, c’est souvent par rapport à l’Europe. Et puis, quand on réécrit la constitution, il n’y a ni gauche, ni droite. Juste le peuple ! »
Pour des défenseurs de la « démocratie directe », il y a entre Chouard et ses adeptes une relation étonnante. Même si ce dernier milite pour « déchouardiser » le débat, que penser du site des GV baptisé « le Message » ? Ou de Chouard jouant les martyrs : « Si le système arrive à me faire passer pour un diable hirsute, infréquentable et banni, ce n’est pas grave. Je ne suis qu’une cellule du corps social. Prenez le relais ! Notre cerveau collectif survivra à la disparition d’un neurone. »
C’est la conclusion du texte « Pour que les choses soient claires » dans lequel, fin 2014, il annonce supprimer tout lien avec le site de Soral, après, dit-il, avoir découvert la véritable teneur de ses propos. Mais en des termes suffisamment maladroits pour raviver la polémique. Et qui, en Paca, ne peut avoir que de l’écho. Pas seulement parce que Chouard habite dans le « 13 », près d’Aix-en-Provence, mais parce que, dans la région, ses liens avec la galaxie Soral sont palpables.
Début 2013, alors que Chouard discute sur le Vieux-Port avec un proche de Soral, Piero San Giogrio, « Culture Libre » organise plusieurs conférences au Point de Bascule, une salle militante marseillaise. Avant que son animateur, François Pecqueur, ne se rende compte des liens de l’association avec le groupuscule de Soral, Egalité & Réconciliation (E&R). Et pour cause : basée à Six-Fours (83), elle est pilotée par Frédéric Maucherat, un pilier d’E&R Paca, signataire d’une pétition « pour l’abrogation de la loi Gayssot » (portée par l’auteur d’un livre intitulé « Sarkozy, Israël et les Juifs »). C’est lui qui a enregistré le site web d’E&R Paca. Et qui, via Facebook, dialogue avec Chouard pour la diffusion des vidéos de ses conférences. Conférences qui, sous la forme de DVD, sont commercialisées par « Culture Libre ». Sans pour autant que Chouard ne touche, dit-il, « un centime ».
« Soral pollue tout »
Un an plus tard, pour la « journée de la transition démocratique », l’association des Colibris organise la venue de Chouard au Dar Lamifa, une autre salle marseillaise. Avec, pour attirer le chaland la formule suivante : « Il dérange les milieux politiques, il est controversé »… Si controversé qu’au final la rencontre sera annulée. Dans cette guerre de tranchées entre « pro » et « anti », la diffusion, début 2014, au Point de Bascule, du film « Ne vivons plus comme des esclaves », de notre confrère pigiste à Siné Mensuel Yannis Youlountas, sera le théâtre d’une confrontation entre ce dernier et, semble-t-il, des militants d’E&R et des GV. Une proximité qui n’étonne guère. Sur la page Facebook d’E&R Paca, on trouve ce post à propos des « Gentils Virus Paca » : « Investissons ce groupe et réalisons notre atelier constituant. » Quant à l’affrontement entre Chouard et Youlountas, il a pris, ces derniers temps, sur les réseaux sociaux, des allures de bataille rangée. Où, de « confessions » en réponses acerbes, certains iront jusqu’à révéler qu’un des fils de Chouard est membre d’E&R ! (Cf encadré ci-contre).
De cela, Michaël, GV en charge de la thématique « démocratie » à Alternatiba Marseille, n’en a guère entendu parler : « J’ai découvert Chouard en m’intéressant à la démocratie et non l’inverse. Après, j’ai eu vent des polémiques. Stratégiquement, je trouve que cela aura été une erreur de ne pas se détacher de quelqu’un comme Soral. Car ça pollue tout. Quand on se présente comme "gentil virus", on nous parle de ça et pas du fond. » En tout cas, pas question d’inviter Chouard à Alternatiba : « La commission "Ethique" a été claire. Pas de "people" ni de personnage polémique. »
C’est à reculons que Chouard accepte de s’expliquer avec le Ravi. Et si, « avec le recul », il dit regretter l’interview accordée à Minute, pour le reste, il persiste et signe : « On me reproche un lien vers le site de Soral. Sauf que lister ce qui peut être intéressant pour analyser les questions relatives à la démocratie, à la finance, cela fait partie de mon travail. De mes pratiques. Comme celle de débattre et de dialoguer avec tout le monde. Dans un processus constituant, on ne peut exclure qui que ce soit. Sans quoi, les communistes ne veulent pas des fascistes et vice-versa… »
Interrogé sur E&R, il soupire : « A chaque invitation, il faudrait une enquête de police ? La vérité, c’est qu’après mon travail sur le TCE, les premiers à m’avoir invité et à m’avoir fait parler devant des caméras, ce sont des gens d’E&R. Ce qui m’a donné l’opportunité de m’adresser, grâce à ces vidéos, à des milliers de personnes. Depuis dix ans, je fais un travail qui devrait intéresser Le Monde Diplo, L’Huma, Politis, Daniel Mermet, Frédéric Lordon… En dix ans, alors que j’ai relayé ce qu’ils faisaient, jamais ils ne m’ont donné la parole. S’ils l’avaient fait, peut-être aurais-je moins répondu aux autres sollicitations. »
Et de nous conseiller un « excellent reportage » sur les « ateliers constituants » dans « Nexus, un magazine qui parle de science et d’ésotérisme ». Capable de mettre en doute, pêle-mêle, le 11 septembre, le sida, le darwinisme… Pas de doute, avec Chouard, l’important, c’est la chute. Mais aussi l’atterrissage.
Sébastien Boistel