« Les lendemains qui chantent sont devant nous »

mars 2016 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
Écoutez l'émission:
Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Jean-Marc Rouillan, militant, ex-Action Directe, invité de la Grande Tchatche
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Vous êtes en liberté conditionnelle…
Jann-Marc Rouillan : J’ai au moins la chance de le savoir. La majorité des personnes dans notre société ignorent qu’elles vivent en permanence sous la menace des parachutistes. J’ai été vraiment impressionné, l’autre jour, par quinze légionnaires qui menaçaient les passants en position de tirailleur sur le haut de la Canebière.

Sommes-nous en guerre civile ?
Oui. Il ne faut pas croire que c’est pour empêcher les attentats-suicides qu’il y a des milliers de soldats dans les rues en France. Ils se préparent à de nouveaux conflits, à une nouvelle flambée des banlieues qui sera beaucoup plus dure et forte qu’en 2005.

Que pensez-vous de l’état d’urgence ?
C’est un crime contre le peuple, contre les classes les plus défavorisées de ce pays, contre ceux qui bientôt n’auront plus rien à perdre. Comme dans les années 20 et 30, des gens qui se prétendent de gauche, qui ne le sont plus depuis belle lurette, arment l’Etat policier et réactionnaire.

Si l’opinion publique approuve les politiques sécuritaires n’est-ce pas grâce aux attentats ?
Certains pensent que les lois spéciales viennent d’attentats minoritaires et d’autres, comme moi, pensent que les lois spéciales viennent de la passivité des gens. J’ai été effaré de voir comment on a accepté l’installation de l’état d’urgence puis son renouvellement.

Condamnez-vous ces attentats ?
Non je suis neutre. Cela ne me concerne pas : c’est une guerre entre la bourgeoisie sunnite, surtout représentée par le Qatar et l’Arabie Saoudite. Visiblement la France ne veut pas en terminer avec Daech sinon elle frapperait ces deux pays.

Peut-on vraiment être neutre ?
Oui car l’État français reste colonialiste, assassin. Rien que ce qui s’est passé en Algérie m’empêchera toujours, toute ma vie, de chanter la Marseillaise et de porter le bleu blanc rouge : un million de morts, des disparus, de la torture, l’horreur et puis venir se présenter comme la patrie des droits de l’homme ! Jamais je ne serai du côté de cet Etat !

Que pensez-vous de ceux qui ont mené les attentats à Paris ?
Ils se sont battus courageusement dans les rues de Paris en sachant qu’il y avait près de 3 000 flics autour d’eux. On peut dire plein de choses contre eux – qu’on est absolument contre leurs idées réactionnaires, que c’était idiot de faire ça – mais pas que ce sont des gamins lâches.

Il ne faut pas beaucoup de courage pour aller abattre des gens à une terrasse de café !
Ce n’est pas le moment où ils sont héroïques. Mais je m’oppose à cette propagande étatique qui consiste à dire « regardez, c’est lâche »…

Désapprouvez-vous la théocratie de Daech ?
Toute théocratie est un régime ennemi. Mais nos états démocratiques sans démocratie sont aussi détestables. Il n’y a pas de discussion possible sur l’islamisme sans les paroles de la prière : « je ne suis pas terroriste, je suis contre le terrorisme, je pense que ce sont des lâches. » C’est une prière de l’ordre, pas de l’intelligence. Elle nous permet de croire que les parachutistes qui patrouillent sur la Canebière nous défendent. Non ! Ils sont là pour nous opprimer, tout simplement.

Qu’est-ce qui distingue Daech et Action Directe ?
Daech est très proche du capitalisme car c’est un mouvement basé sur le mortifère, le sacrifice, la mort. Jamais dans la lutte armée d’extrême gauche que j’ai pratiquée, de 68 jusqu’à la fin des années 80, je n’ai connu le sacrifice. Jamais. Plutôt la joie de les combattre et un immense espoir de lumière, de lendemains qui chantent. Et je crois qu’ils sont encore devant nous. Malgré tout.

Que pensez-vous de la crise du politique ?
La période des partis qui géraient un espace national est révolue. L’État national administre désormais des lois qui sont votées ailleurs. Même si Podemos en Espagne a un peu trahi avant d’arriver au pouvoir et Syrisa en Grèce l’a fait après l’avoir gagné, leurs deux formes d’organisations très « assembléistes » montrent que les gens veulent autre chose.

Faut-il savoir se contenter de beaucoup ou bien de peu en attendant mieux ?
Il faut viser grand. Toujours ! Je n’oppose pas les grands et les petits combats. Je veux bien qu’on aille défendre, comme à Sivens où un jeune est mort, les prairies humides et deux races de batraciens. On dit « les carottes bios c’est super, on va faire un jardin et ce sera une forme de résistance ». Mais s’il y a des parachutistes dans la rue, c’est aussi parce que des gens font des carottes bios au lieu d’aller bastonner contre l’état d’urgence.

Mais les grandes révolutions ont souvent échoué…
L’idée révolutionnaire fait son chemin à travers nos victoires mais surtout nos défaites. Ce n’est pas nous qui ferons la révolution. Pour la première fois, les paysans, depuis le néolithique, ne sont pas la classe la plus nombreuse de la planète ! Les socialistes, au milieu du 19ème siècle, avaient compris le mécanisme du capitalisme. Ils écrivaient qu’un jour deux classes allaient se trouver face à face : la bourgeoisie puissante, monopoliste, impérialiste, et un prolétariat mondial. C’est en train de se passer.

La prison, c’est un phénomène central ?
La prison c’est la terreur qui pèse sur les classes populaires pour, il y a très longtemps, les emmener au travail et pour, aujourd’hui, qu’elles se contentent du chômage et du désœuvrement. La prison est d’abord la terreur d’une classe sur l’autre. Si on y va, on se rend compte qu’elle est réservée presque exclusivement aux gamins des quartiers populaires. La prison est aussi un outil de destruction de masse, de torture. Il faut voir le nombre de personnes qui y meurent ou en sortent avec des séquelles irréversibles.

L’État doit-il s’inquiéter de l’islamisation en prison ?
C’est historique. Dans les années 70, avec de nombreux prisonniers, cela a emmené une grande politisation des détenus. Il est clair aujourd’hui que plus il y aura de prêcheurs islamistes en prison, plus il y aura d’islamistes. A moins de les condamner à l’isolement, à la torture donc. Ils n’ont pas de solution !

Vous avez débattu sur France culture sur la « déradicalisation »…
Comme dans toutes les guerres coloniales, l’État français a besoin de supplétifs. Des mecs touchent des salaires mirobolants pour aller vendre de la déradicalisation dans les banlieues. Il y a même des proviseurs qui vont dans des réunions de déradicalisation en préfecture avec des dossiers d’élèves. J’appelle ça de la délation.

A vos yeux les profs dans quartiers servent-ils l’ordre ou bien émancipent-ils leurs élèves ?
Ils font ce qu’ils peuvent. Mais l’école des hussards de la République, c’est absolument terminé. L’éducation, la contre-culture populaire, ça c’est la possibilité de déradicaliser l’islamisme ! Celle de dire aux gamins « tu appartiens au monde des pauvres, des opprimés et ce monde a une vraie culture ». Aujourd’hui, la culture a abandonné les pauvres et ils n’ont pas su créer une nouvelle contre-culture.

Changer la société sans violence, c’est une utopie ?
Totalement. Nous avons à faire à une classe possédante qui tient tous les monopoles dont celui de la violence, celui que l’on ne peut jamais contester. Rien ne se fera sans la violence mais la violence ne suffira pas. Il y a des milliers d’autres méthodes pour être révolutionnaire.

Propos recueillis par Michel Gairaud et Rafi Hamal