« Sans culture : la dictature de la médiocrité »

juin 2016 | PAR Michel Gairaud
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Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Olivier Py, directeur du Festival d'Avignon, invité de la Grande Tchatche

le Ravi : Pourquoi écrivez-vous que « la politique est sans espoir, manigances politiciennes… » ?
Olivier Py : Les politiques désertent le monde. Ils ont de moins en moins une vision de la Cité. On est focalisé sur l’économie sans savoir quelle société on veut. La démocratie, oui… La prospérité, tant mieux… Mais sans la culture, ça ne sert à rien. C’est la dictature de la médiocrité. Or la culture n’est plus qu’un petit supplément d’âme que l’on jette en bas d’un programme pour faire plaisir à quelques soutiens.

On demande désormais aussi aux artistes de démontrer la rentabilité de leurs activités. La valeur ajoutée de la culture est-elle donc avant tout économique ?
Non. Tout n’est pas économique. Si la politique culturelle française est réduite, ce n’est pas un choix comptable, c’est un choix politique. La France n’est pas plus pauvre aujourd’hui que dans les années 50. Il s’y inventait pourtant une politique culturelle incroyable. Le Festival fait vivre une personne sur 4 à Avignon. Je ne vais donc pas me priver de l’argument comptable pour le défendre. Mais on ne peut pas légitimer l’art et la culture simplement avec les retombées économiques. Ça se défend en soi. C’est le sens même de nos vies et de la démocratie qui est mis en cause par l’absence de culture et d’éducation.

Croyez-vous vraiment que le théâtre peut redonner de l’espoir politique ?
Au théâtre l’espoir politique ne meurt pas. Ce n’est peut-être pas de la politique en actes, le théâtre ne peut pas sauver le monde, mais il peut sauver l’espoir. L’espoir de sauver le monde. Le théâtre doit nous convoquer à la conscience politique à la manière d’une fête. Sinon il est assommant. Il doit y avoir une joie qui dise : « c’est possible, on peut faire des choses. On peut les faire sur scène, mais on pourra les faire dans la rue. Aujourd’hui, demain, tout de suite… »

Y-a-t-il un lien entre un festival de théâtre et les forums sur les places publiques que sont les Nuit Debout ?
Oui. Au festival on passe souvent des nuits debout à parler politique et à imaginer autre chose, autrement. Ce qui est le plus fort dans ce festival et qui ressemble à ce genre de mouvement, c’est tout simplement le fait de se réunir.

Le Festival va-t-il être impacté par le climat lié à l’état d’urgence ?
Face à la menace réelle d’attentats, il faut combattre la peur. Et pour ça, on commence déjà par faire le festival. Il faut croire au théâtre comme chose politique en soi. Si on pense que le théâtre est simplement un divertissement de luxe pour initiés, on méconnaît sa force politique. Le public d’Avignon, s’il vient au festival, c’est un geste politique, profondément.

La programmation reflète-t-elle un autre état, celui du monde ?
Oui. Quand on entendra une pièce comme « Les Suppliantes » d’Eschyle, écrite il y a 2 500 ans, on croira qu’elle l’a été avant hier pour parler des réfugiés. Elle dit que la démocratie ne peut véritablement se définir que quand elle constitue un droit des étrangers et un droit des femmes. Nous faisons aussi un focus sur le Moyen-Orient. Il faut que des artistes du monde arabe viennent nous parler de ce qu’ils vivent. Qu’ils le fassent d’une manière différente des médias. C’est très bon pour un citoyen d’entendre qu’un Syrien ce n’est pas forcément une victime de Daech. C’est aussi un homme qui a des espoirs, des amours, des rêves.

Le monde tel qu’il est, c’est aussi le terrorisme qui frappe les homosexuels à Orlando…
C’est un crime terroriste, mais c’est du terrorisme homophobe. Et le lien est absolument direct avec les intégristes, avec l’extrême droite, avec toute la société homophobe, hétéronormée, fermée à la différence. Un hétérosexuel ne se rend pas compte qu’un homosexuel vit au quotidien avec la violence… Le nombre de baffes que j’ai reçues, de coups de poing, de violences verbales… Comme il y a deux ans, lors des élections municipales à Avignon. Les menaces de mort que j’ai reçues à la suite de mon engagement contre le FN c’était « sale PD ».

Dès votre arrivée à Avignon, vous avez en effet pris position avec force contre l’extrême droite. Etait-ce bien le rôle d’un directeur du Festival ?
La stratégie de la gauche lors des élections municipale à Avignon c’était celle du silence. Je n’étais pas d’accord. Doit-on rester pour résister ou partir ? En cas de victoire du FN, j’avais proposé de partir. Le festival serait devenu la vitrine du FN. Ce que je n’aurais pas pu assumer. Et faire de la résistance en allant tous les jours demander les armes à ses ennemis, ça me semble difficile. Il faut faire barrage au FN. Quand on vote blanc, on fait le jeu du FN. C’est aussi pour cela que j’ai soutenu Estrosi au second tour des élections régionales en 2015. Je ne suis pas un homme de droite pour autant.

Comment réagissez-vous face à l’utilisation identitaire de la culture ?
Identité culturelle et culture ce n’est pas la même chose. Il y a là un glissement dangereux. La culture qui fonde de l’identitaire, c’est vraiment la catastrophe. La culture est universelle ou alors elle est un système clanique qui peut conduire au pire.

Cette année, votre spectacle ne sera pas créé au Palais des Papes mais tournera dans les quartiers d’Avignon et de sa périphérie. Qu’est ce que la « décentralisation des 3 kms » ?
La décentralisation de Vilar c’était d’aller à plus de 300 kms de Paris, aujourd’hui c’est de franchir 3 kms des centres ville vers les quartiers. On va jouer pour des gens qui pour la plupart ne sont jamais venus au théâtre. Il faut très peu, deux ou trois spectacles, pour que quelqu’un qui se croit éloigné de la culture brise cette auto exclusion. Et puis le désir de culture, de beauté, et d’intelligence, est réparti partout. Quand on part comme ça avec un petit spectacle, c’est beau, c’est magnifique ! Je le fais d’abord par amour de l’art. C’est le plus important. D’abord amener un objet artistique. Brecht le disait. Qu’un spectacle soit politique c’est bien, mais il faut d’abord que ce soit un beau spectacle.

L’intermittence, qui fait l’objet d’un nouveau bras de fer social, c’est un système que vous défendez ?
On ne peut pas imaginer une politique culturelle digne de ce nom sans l’intermittence. J’ai toujours été du côté des intermittents et précaires. C’est un modèle de flexibilité, de confiance entre les patrons et les employés qui est tout à fait exceptionnel, voire expérimental. Il s’agit de faire un ratio qui permette aux plus pauvres de bénéficier le plus du régime.

L’Odéon, maintenant le Festival d’Avignon… Le poids de ces institutions ne vous donne-t-il pas parfois l’envie de faire « théâtre buissonnier » ?
Le théâtre public est une institution à part qui, loin de tout académisme, permet une totale liberté en se débarrassant de certaines contraintes économiques. J’aime travailler sur le plateau mais j’ai aussi une passion pour la tarification. Un homme de théâtre doit s’intéresser à la relation qu’il va créer avec le public. Qui vient nous voir ? Comment et pourquoi ? Mais est-ce que quelques fois l’institution pèse ? Oui, certains jours, j’ai envie de reprendre ma robe à paillettes et d’aller dans l’underground chanter des chansons. Mais ils sont minoritaires. Je veux continuer à défendre le festival que j’aime plus que tout. Et je peux absolument vous confirmer que je suis candidat pour un autre mandat !

Propos recueillis par Michel Gairaud et mis en forme par Clément Champiat