Qui s’y frotte s’y GLU !

janvier 2019
Avec la loi sur la biodiversité, la chasse à la glu, traditionnellement pratiquée en Paca par moins de 7000 chasseurs, a fait couler beaucoup d’encre et suscité l’intérêt de nombreux politiques. le Ravi a donc décidé de partir à la chasse. Un reportage publié 2016 à relire alors que le Conseil d'Etat vient d'autoriser cette pratique controversée.

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Comme convenu, le Citroën C15 de Paul nous attend devant la mairie de Régusse (83), village de 2300 âmes situé dans le parc naturel du Verdon. Il est 6h du matin et si la température avoisine les 10 degrés, en ressenti de frileuse encore endormie on y apposerait bien un moins devant. Paul a 68 ans. Ce retraité de la police nationale est chasseur à la glu depuis l’âge de 16 ans, « une passion »  transmise par son père. Dans le Var, ils sont 2700 – 6900 au niveau régional – à pratiquer cette chasse traditionnelle provençale qui remonterait au temps des Grecs puis des Romain. Elle consiste à capturer grâce à des tiges de bois (verguettes) recouvertes de colle, des grives vivantes pour en faire des appelants. Une pratique jugée « cruelle » et « néfaste » par les écologistes, qui dans le cadre de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages ont souhaité la faire interdire considérant qu’il s’agissait « d’une méthode de chasse non sélective et difficilement contrôlable, qui détruit de nombreux oiseaux, notamment des espèces protégées ». En première lecture, cette chasse a d’ailleurs été interdite (amendement « 68 quinquies »). Avant que les chasseurs ne montent au créneau et fassent pression sur les sénateurs et députés locaux de tout bord, afin que cette pratique soit finalement réhabilitée en deuxième lecture (lire encadré).

DES ELECTEURS SACHANT CHASSER

Eh oui, un chasseur est un électeur avant tout, qui plus est avec un fusil ! « Ils sont montés à Paris avec des verguettes, pour montrer aux politiques ce que c’est que la chasse à la glu ! », explique Paul qui s’active, à la frontale, pour installer les siennes ainsi que sa vingtaine d’appelants car tout doit être prêt pour le lever du jour, début de la chasse qui pourra se poursuivre jusqu’à onze heures du matin maximum. Son poste est situé sur une ancienne carrière et appartient à un propriétaire qui le lui troque contre quelques grives et l’entretien du lieu, couper l’herbe et élaguer les arbres. Paul s’active en prenant soin de ne pas se prendre les pieds dans les cordes et les câbles qui lui permettent de hisser ses povadoux, barres qui supportent les verguettes engluées, à la cime des arbres. Il a tout fabriqué lui-même, et n’en est pas peu fier, surtout de sa tyrolienne.

Paul vérifie à la main que chaque verguette colle bien, il les a engluées une à une. Exit les branches d’olivier et la glu faite maison, Paul, lui, achète des tiges en bois chez Weldom qu’il peint en marron et de la glu en boîte. La tradition oui mais bon… Lorsque les oiseaux sont capturés, pour les décoller les chasseurs utilisent de l’essence F, « mélange d’hydrocarbures obtenus par la distillation du pétrole », note wikipédia dont la fiche précise aussi qu’on peut « se défoncer » avec ou s’en servir pour recharger son Zippo.

Tout est prêt, le jour va se lever et Paul est en pleine forme : « La passion je vous dis, la passion ! » Direction la cabane, le chasseur fait rentrer ses chiennes Tina et Lili qui ne ressortiront que pour récupérer les oiseaux morts. Oui parce que si Paul n’a pas le droit d’installer son matériel de chasse à la glu ni de décoller les oiseaux vivants le fusil à l’épaule, une fois à son poste rien ne l’empêche de tirer les grives d’à côté ! « Le 11 novembre c’est la tradition, on mange des brochettes de grives en famille. Avant c’était mon pauvre père qui les préparait, et moi j’allais au défilé. Aujourd’hui c’est moi qui prépare les oiseaux mais du coup je rate le défilé, tiens ! » Pour contenter les estomacs de la famille, il lui faudra tuer une quarantaine de grives d’ici deux semaines.

CHANT D’AMOUR ET TOURNEBROCHE

La cabane est spartiate, et il y fait aussi froid que dehors. Paul nous invite à nous asseoir sur son unique chaise, lui, restera debout à pister les oiseaux. Oh un poêle ! « Non, on ne va pas l’allumer, j’ai trop peur de mettre le feu à la colline ! » Dommage… Le chuchotement est de rigueur et semble favoriser la confidence : « Vous savez ce que j’aimerais attraper ? Une litorne, un chacha [ndlr : espèce de grives]. Quand je les entends, en l’air, j’ai le cœur qui fait boum, boum, boum. Ils font « chachacha », « chachacha »… Pour moi la Litorne c’est ce qu’il y a de plus beau, on dirait un pigeon ! » Un chasseur est un poète qui s’ignore ! Depuis quatre ans Paul nage dans le bonheur car parmi ses appelants il a des grives ramageuses, qui reproduisent le chant de l’amour comme au printemps, un leurre dont seuls les mâles ont le secret et qui permet d’attirer un maximum de grives. Mais sur des forums de chasseurs certains sous-entendent que ce chant d’amour hors saison n’est pas naturel et « s’éduque » notamment en modifiant la nourriture de l’oiseau et en le plongeant dans l’obscurité. Paul ne se confiera pas sur sa tambouille interne.

7h58 : « Y’en a une de pesquée, y’en a une de pesquée ! » Paul court pour décoller d’un pschitt d’essence F l’oiseau apeuré. « C’est une chicane, j’aurais préféré que ce soit un chacha…», se désole-t-il tout en enlevant les nombreuses plumes de l’animal restées accrochées à la verguette. Retour à la cabane, Paul note sa prise dans son carnet de chasse en cas de contrôle. Dans le Var, la chasse à la glu est limitée à 11 oiseaux sur les deux mois autorisés. Ni vin, ni saucisson, Paul écorne l’image du chasseur en nous offrant une madeleine. Puis il se tait et observe. Le Ravi se laisse doucement bercer par le chant mélodieux des oiseaux. On se croirait chez Nature et Découverte. « Pan ! », le coup de fusil nous fait sursauter. Lili ramène un merle dans sa gueule, en voilà un qui ne se moquera plus. La matinée se poursuit, un autre oiseau, toujours pas un chacha, se collera. Vers 10 heures, le froid, le manque de sommeil et l’ennui, nous font piquer du nez pendant une bonne demi-heure avant d’être réveillée par le fusil de Paul. Pour deux grives engluées, cinq finiront sur le tournebroche ! Et notre chasseur de s’absoudre : « Je suis obligé de tirer pardi, sinon comment je fais, moi, le 11 novembre ? »

Samantha Rouchard

Enquête publiée dans le Ravi n°145, daté novembre 2016

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