« On n’est pas des yogourts 0 % »

novembre 2016 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
Écoutez l'émission:
Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Olivier Mateu, secrétaire général de l’UD CGT 13, invité de la Grande Tchatche
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Le Ravi : François Fillon promet de supprimer 500 000 postes de fonctionnaires. Sont-ils le problème principal de notre société ?

Olivier Mateu : C’est ce qu’on nous dit depuis des décennies mais cela masque mal l’objectif de casser en réalité l’ensemble des services publics pour laisser la place aux entreprises privées et particulièrement aux grands groupes.

Le même Fillon a déclaré que parce que « la CGT n’a jamais bloqué la France » rien ne pourrait entraver ses réformes…

Ce garçon manque de constance. On nous explique depuis très longtemps que c’est à cause de la capacité de blocage des syndicats que les réformes n’ont pas lieu. Et aujourd’hui, parce qu’il veut se montrer en champion du capital, il affirme que la CGT n’aurait plus la moindre capacité d’action. Il faut savoir !

Citons encore le nouveau champion de la droite : « les syndicats sont faibles par eux mêmes, par leurs comportements, par le fait que les Français ne sont pas séduits… »

C’est vrai qu’on a des leçons à recevoir de la classe politique avec pratiquement 50 % d’abstentionnistes à toutes les élections, un électorat désorienté et éclaté, des discours qui se chevauchent de la frange la plus libérale à la plus radicale ! C’est vrai que ces gens là en terme d’implication du peuple, ils savent y faire !

Comment expliquer votre échec à empêcher l’adoption de la loi El Khomri ?

A un moment donné, il faut que l’expression du mouvement social, au-delà des manifestations, soit aussi entendue par ceux qui ont en charge de prendre les décisions politiques. On a clairement été trahi alors qu’on aurait pu croire qu’une majorité de gauche était aux manettes. Il faut voir également les conditions créées dans les entreprises pour empêcher que les salariés se déclarent grévistes, puissent sortir de la boite et aller à la manif. Mais quand 70 % de l’opinion, du premier jour de l’annonce de la loi El Khomri jusqu’à encore aujourd’hui, se prononcent contre ce projet, ce sont le gouvernement, la droite et le patronat qui sont en échec.

Comment faire entendre vos revendications dans un moment aussi politique que la présidentielle ?

Il faut tenter de profiter du moindre espace pour alimenter les réflexions, les consciences. Mais les moyens médiatiques sont concentrés dans les mains de quelques-uns et laissent peu de place à ceux qui pourraient proposer une alternative à l’austérité et au libéralisme.

Un candidat comme Jean-Luc Mélenchon porte-t-il vos idées ?

Je saigne beaucoup moins souvent des oreilles quand je l’entends que quand j’écoute Fillon ou Valls. Mais il y en a d’autres…

Aviez-vous cru Hollande affirmant « la finance c’est mon ennemi » ?

Il s’est inscrit dans la longue tradition sociale démocrate européenne qui fait croire qu’elle va batailler contre le capital mais qui, en réalité, sert ses intérêts. Dans tous les cas, l’histoire nous a prouvé que, quelque soit le gouvernement en place, la seule chose qui conditionne la réalisation concrète des mesures annoncées, c’est le rapport de forces que les travailleurs sont capables de créer.

Que penser d’un Front national se revendiquant premier parti ouvrier de France ?

Il y a dans le programme du FN des mesures très dangereuses. La préférence nationale est un concept qui finira par nous mener à la guerre. Et puis elle nous handicape dans la construction d’un rapport de forces dans l’entreprise : à partir du moment où des salariés considèrent que les salariés d’à côté, parce qu’ils n’ont pas les bonnes origines, ne devraient pas avoir les mêmes droits, de fait ils ne se rassemblent pas pour les revendiquer. Le FN est un allié plus qu’objectif du capital.

Mais l’argument selon lequel les étrangers prennent l’emploi des Français semble porter. Que répondre ?

Les mêmes qui, depuis 30 ans, ont fait en sorte que les activités dans nos usines soient délocalisées dans des pays où les normes sociales et environnementales sont beaucoup plus avantageuses pour les patrons, déclarent des guerres, créent les conditions de migration importante… Si demain il pleut des bombes à Port-de-Bouc, je prendrai ma famille et je l’emmènerai plus loin, je ne regarderai pas le poste de frontière, je ferai en sorte de les mettre à l’abri. C’est un réflexe normal. En sachant quand même que la somme totale des migrants ne nous coûtera jamais aussi cher que les quelques milliers d’actionnaires de notre pays qui, toutes les années, se partagent plusieurs centaines de milliards d’euros de dividendes.

Comment faire face à toutes les mobilisations avec de moins en moins de syndiqués ?

Qui dit qu’il y en a de moins en moins ? Ça fait 6 ans que l’on progresse toutes les années et ce malgré les conditions réelles de l’exercice du droit syndical dans les entreprises. La chasse aux sorcières n’est pas une invention ! Mais c’est vrai qu’il n’y a pas assez de syndiqués pour permettre aux salariés de s’unir, de s’organiser, de se défendre et, y compris, de récupérer des droits.

Quelle est votre stratégie pour vous faire entendre dans les TPE, les entreprises de moins de 10 salariés, où auront lieu des élections professionnelles du 30 décembre au 13 janvier ?

On fait un peu plus ce que l’on a déjà l’habitude de faire : aller au contact des salariés, soit sur leurs lieux de travail soit sur leurs lieux de vie…

Craignez-vous, si la CFDT passe devant la CGT, de ne plus être le 1er syndicat de France et de ne plus être l’interlocuteur privilégié du gouvernement ?

C’était le moment « blagounette » ? Durant toute la période sur la loi travail, alors qu’à ce jour nous sommes la première organisation syndicale du pays, on a pourtant été traités comme des chiens !

Certains déplorent la division entre les syndicats. Et vous ?

Notre objectif c’est d’unir les travailleurs. Mais nous ne sommes pas les seuls. Il y a d’autres organisations syndicales et d’autres composantes du mouvement social, politique et associatif. Maintenant l’unité syndicale ne doit pas devenir un piège, une prison, un carcan.

Parler de lutte des classes cela fait encore sens dans la France du 21ème siècle ?

La classe, c’est la masse conscientisée. Oui, on revendique clairement des conceptions de classes. On a bien vu, dans la dernière période, un véritable affrontement de classes entre ceux qui possèdent et qui exploitent et ceux qui sont exploités et qui créent les richesses. Inutile de vouloir le nier pour paraître moderne, modéré, adouci, light… Nous, on n’est pas des yogourts 0 % !

Votre grille de lecture est-elle marxiste ?

Je n’ai aucun souci à appliquer quelques règles de calcul marxistes pour comprendre la situation. Le capitalisme a su adapter son discours, rendre inéluctable ses solutions, mais son fondement n’a pas changé.

Pensez-vous vraiment pouvoir contrer les menaces qui pèsent sur l’industrie dans les Bouches-du-Rhône ?

Est-ce que nous sommes convaincus que l’on peut influer le sens des choses ? Oui. Sans ça, on ferait autre chose. Mon métier c’est forestier-sapeur, pas syndicaliste ! Est-ce qu’il faut sauver nos industries ? Oui, parce que, encore aujourd’hui et depuis très longtemps, elles répondent à des besoins concrets et elles sont créatrices de richesses, quoi qu’en disent leurs propriétaires…

Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Alexandre Mathieu