Au pays des films « Paca-strophes »
Qui ne se souvient pas de la polémique suscitée par le soutien de la région Nord-Pas de Calais à Bienvenue chez les ch’tis ? La carte postale lourdingue de Dany Boon avait bénéficié de plus d’un demi-million d’euros de la collectivité. En Paca aussi, la Région apporte son soutien à un art qui, historiquement, a vu le jour du côté de la Ciotat. Comme on nous le dit au sein de la collectivité : « On imaginerait mal une compagnie accueillie au théâtre national de La Criée se voir demander de clamer qu’il fait bon vivre ici et que le pastis est frais. Avec le cinéma, c’est une autre dialectique. Car, derrière, il y a des enjeux artistiques et culturels mais aussi économiques et de communication. » En clair, des questions d’image.
En témoigne la moue du conseiller régional d’extrême droite Philippe Vardon, membre de la régie culturelle et de la commission Vie associative et rayonnement culturel, traditions et patrimoine, lorsqu’on lui demande ce qu’il pense du soutien de la Région au 7ème art : « On a du mal à saisir la logique. Comme le soutien au dessin-animé Arthur et les Minimoys. A part pour que le logo de la Région apparaisse au générique… Nous, au FN, nos critères sont simples. Il faut que cela valorise la région. D’un point de vue économique mais aussi en terme d’image. »
Comme lorsque Marseille – dont Sabine Bernasconi, maire LR du centre ville, rêve que l’artère principale ressemble à Broadway – se prend pour Hollywood en affichant son nom sur une colline pour promouvoir la mauvaise série télé de Netflix. L’image de la cité phocéenne au cinéma est un sujet si foisonnant que la cinéaste et doctorante Katharina Bellan en a fait son objet de recherche.
Elle identifie plusieurs types de films « marseillais » : « Il y a ici la tradition d’un cinéma militant, prolétarien. Mais aussi les "pagnolades" avec ces personnages caractéristiques qui ont forgé des stéréotypes. » Autre genre « marseillais » : « Les films sur le banditisme qui ont, eux aussi, donné lieu à des archétypes. Et où l’on voit les liens entre politique et banditisme. »
De fait, pour la chercheuse – qui déplore au passage une « sous-représentation chronique, celle de la communauté maghrébine » – « les clichés ne viennent pas de nulle part. Il y a toujours un fond de vérité ». Mais, si les Marseillais se montrent particulièrement sensibles à l’image qu’on donne d’eux ou de leur ville, dans le même temps, note-t-elle, « ils sont capables de coller à leur propre caricature ». Voire, comme Gaudin, dénonciateur zélé du « Marseille bashing », de soutenir une série comme celle de Netflix, Marseille, pourtant pas tendre pour la ville et la classe politique : « Peut-être parce qu’elle met en valeur le Mucem, le J4… »
Et si, pour nombre de réalisateurs du cru, la ville en elle-même « est un sujet, une matière en soi », Katharina Bellan distingue les films où celle-ci est un « territoire, c’est-à-dire quelque chose qui était là avant et qui sera là après » et ceux où elle n’est « qu’un décor, avec ces lieux qui reviennent tout le temps : le Panier, le Vieux Port, les calanques… » Il arrive toutefois qu’on s’y perde et de confondre la cité phocéenne avec d’autres villes méditerranéennes comme Nice ou Sète.
Un côté « caméléon » mis en avant par Michel Brussol, de la Commission du film du Var, un organisme chargé, comme dans les autres départements, d’accueillir les tournages : « On ne vient pas ici que pour le soleil et le bord de mer. On cherche des lieux ou des paysages spécifiques : un mas provençal, les gorges du Verdon… Sans oublier la ville du cinéma, Cannes. Il y a ici une véritable diversité. On peut même accueillir des films censés se dérouler en Italie, en Floride, aux Baléares ou même dans le désert. » S’il concède que l’image est « parfois caricaturale, il y a quand même une certaine fierté. Et des retombées. Nos bureaux sont justes à côté de l’ancienne gendarmerie de Saint-Tropez. Je vous assure que c’est le lieu le plus photographié de la ville. » Une popularité pas toujours simple à assumer… comme pour le nouveau propriétaire de la villa où a été tourné Les Tuches !
Dans un tout autre genre, avec La terre de la folie, Luc Moullet, lui, porte un tout autre regard sur la région dont il est originaire, les Alpes du Sud, puisqu’il y décrit les désordres psychiques qui, d’après lui, y foisonneraient. Prudent, à sa sortie, il se gardera de projeter le film dans ce qu’il appelle le « pentagone de la folie » : « C’est comme Scarface qui n’a pas tout de suite été montré à Chicago. J’ai préféré éviter les retours de flamme. Mais comme le film a été promu à Cannes, il a été finalement bien accueilli. Je n’ai eu qu’un retour négatif, un spectateur qui trouvait que cela donnait une mauvaise image. Alors que la folie n’est pas forcément négative. Elle est aussi créatrice. Elle génère tout une économie. Et même des retombées touristiques. »
Il n’est pourtant pas tendre avec l’image renvoyée par certains films de la région : « Dans les années 60, j’avais refusé de participer à un film sur les Hautes-Alpes qui, en ne mettant en avant que le folklore, les traditions anciennes, donnait une image tout à fait fausse du pays. Il y a ici toute une imagerie folklorique, pittoresque, des films plus ou moins touristiques… Mais, quand on ne sort pas des clichés, la seule ambition, c’est de faire du fric ! »
Sébastien Boistel
Enquête publiée dans le Ravi n°149, daté mars 2017