Des médecines de plus en plus complémentaires

mai 2018
Malgré la méfiance du corps médical et des autorités publiques, les médecines alternatives ont le vent en poupe. En partie à cause de l'allopathie elle-même.

12rv161charmag_medecine_parallelle400.jpg« Charlatanisme », « tromperie », « fake medecines ». La violence de la tribune publiée par 124 médecins, mi mars, dans Le Figaro contre les médecines alternatives, douces ou complémentaires, n’a pas été très productive : si elle a été reprise par de nombreux médias, elle a aussi entraîné de nombreux débats qui ont donné la parole à ses promoteurs.

Même le syndicat des médecins libéraux, une des organisations représentatives du secteur, s’est fendue d’un communiqué pour rappeler que l’homéopathie, l’acupuncture, la mésothérapie et l’ostéopathie, sont reconnues par le très orthodoxe Ordre des médecins. « Le problème de la Tribune, c’est qu’elle mélange les praticiens non médecins et les médecins qui se sont spécialisés dans ces pratiques, un tiers au niveau national, et peuvent donc établir un diagnostic, un acte, un suivi », explique Eric Bouchard, son délégué régional. Et ce généraliste installé à Menton de rappeler : « Il y a toujours eu des médecines alternatives, comme les rebouteux, parce que c’est dans la nature humaine de faire entendre plusieurs voix. »

Et si ces voix sont de plus en plus appréciées, la médecine conventionnelle n’y est pas pour rien. Entre les rendez-vous expédiés, les scandales sanitaires type Médiator ou les effets indésirables des médicaments, cette dernière s’est un peu tiré une balle dans le pied. « Il y a un retour de manivelle, de la méfiance, les gens se tournent donc vers d’autres choses qui marchent, reconnaît Michèle Rubirola, conseillère départementale EELV et médecin conseil à la CAF. Mais il y a aussi une volonté d’être plus acteurs de sa santé. »

« Il y a de plus en plus d’intérêt pour les médecines alternatives de la part des patients, mais aussi des professionnels de santé, note également Nicolas Bricot, représentant régional du syndicat français des ostéopathes qui exerce à Marseille. Les services d’oncologie des hôpitaux accueillent désormais des praticiens de médecines alternatives : psychologie, hypnose, acupuncture, ostéopathie, etc. Le Cancéropôle Paca vient même de lancer un appel à projet qui leur est ouvert, non pas pour soigner des cancers mais pour travailler sur les effets secondaires indésirables des traitements. » « La mésothérapie, l’ostéopathie, l’acupuncture peuvent soulager. Et ça peut être intéressant pour des personnes âgées qui ont plusieurs pathologies graves », admet Eric Bouchard.

Le généraliste reste cependant très prudent sur le recours aux médecines alternatives, même s’il reconnaît volontiers que « l’aromathérapie est de toute façon sans danger » ou que certaines pratiques sont de plus en plus réglementées. Quand Michèle Rubirola plaide pour « la complémentarité des pratiques dans l’intérêt du patient », lui, prévient encore : « Il y a beaucoup de désinformation et il est difficile de faire des choix cohérents. »

Mais c’est finalement peut-être du côté de l’Etat que la résistance est la plus forte. Alors qu’une note de France Stratégie (1), un organisme public rattaché au premier ministre, propose une meilleure intégration des médecines alternatives dans notre système de santé – y compris pour mieux les encadrer et évaluer –, sur son site Internet le Ministère de la santé met en garde plutôt qu’il n’informe contre ce qu’il appelle « les pratiques de soins non conventionnelles » (PSNC). D’emblée, il prévient : « Elles ne sont ni reconnues, au plan scientifique, par la médecine conventionnelle, ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé. » Plus loin, il insiste encore : « Dans la très grande majorité des cas, les PSNC n’ont pas fait l’objet d’études scientifiques ou cliniques montrant leurs modalités d’action, leurs effets, leur efficacité, ainsi que leur non dangerosité. » Parce que les labos et l’Etat ne souhaitent pas les financer ?

In fine, le ministère renvoie même ses lecteurs, à juste titre du fait de certains abus, vers la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Ce sont même les agences régionales de santé qui sont chargées de la renseigner. Mais curieusement, pour les ARS, comme celle de Paca, c’est leur seule porte d’entrée avec la sécurité sanitaire vers les médecines alternatives. Explication de son service de com. : « Elles ne sont pas dans notre ligne de mire. On ne connaît que la médecine conventionnée. » Et allopathe.

Jean-François Poupelin

1. France Stratégie, « Quelle réponse des pouvoirs publics à l’engouement pour les médecines non conventionnelles ? », note d’analyse n° 290, 10/2012.

Enquête publiée dans le Ravi n°161, daté avril 2018

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