En habit de lumière
Deux mercredis par mois, le cabinet d’Anaïs Papazian-Charney, psychologue-sexologue à Marseille (1er), se transforme en boutique éphémère. Tout y est : cintres, portants, cabine d’essayage, miroir, chaussures, sacs à main et vêtements… Mais ici rien ne s’achète, tout se transforme, et surtout la mésestime en estime de soi.
Au départ, Anaïs intervient au centre d’hébergement d’urgence marseillais Claire Joie, auprès de femmes de 15 à 23 ans qui sortent souvent de réseaux de prostitution : « Mais les consultations se sont essoufflées. C’était trop compliqué pour elles de se confronter à leurs problématiques sexuelles directes. » Elle décide alors d’initier des ateliers sur l’estime de soi à travers le vêtement en créant l’association Evy. Florence Iva, artiste, en devient la présidente : « Je m’étais dit que lorsque j’irai mieux dans mon parcours de femme vulnérable, j’aiderai à mon tour les autres. »
Cet après-midi, Nadia, plutôt réservée, et Lola, nigériane tout en sourire (1), participent à l’atelier. La table est recouverte de photos découpées dans des magazines. Chacune choisit une image à offrir à l’autre. « Le jeu consiste à questionner le regard que l’on porte sur soi-même et celui que les autres portent sur nous », explique Anaïs. Ensuite, elles essaient de comprendre pourquoi elles ont inspiré ce choix à l’autre.
Souvent c’est la surprise. « Ce n’est pas du tout moi ! », s’étonne Nadia devant une image de femme bien habillée. « Tu pourrais être les deux, apaise Florence, à la fois naturelle et sophistiquée. » Parfois c’est aussi l’évidence. À l’unanimité Lola reçoit des images symbolisant la féminité, la force et le courage. Nadia lui a offert quant à elle une parure de bain molletonnée, une douce attention dans une réalité qui l’est moins.
Les jeunes femmes essayent des vêtements sous les conseils experts et bienveillants des deux animatrices. « Il ressort de ce moment beaucoup d’affect, de l’ordre de l’intime, comme si elles se retrouvaient », note Florence qui aimerait monter un projet professionnalisant avec ces jeunes femmes autour de la mode. Chacune repart avec un ou plusieurs sacs de vêtements (1) qu’elle mettra, troquera ou revendra pour assurer un quotidien précaire. « On y glisse toujours des vêtements chauds, pour les nuits qu’elles auraient à passer dehors », conclut Anaïs.
1. Les prénoms ont été modifiés 2. Les dons de vêtements propres et en bon état sont les bienvenus ! Cabinet médical, 15 cours Joseph Thierry, 13001 Marseille, de 9h à 18h du lundi au vendredi.
Samantha Rouchard
Article publié dans la rubrique « On est Ravi » du numéro 170, daté de février 2019.