Le bunker est dans le pré ?

juin 2019 | PAR Sébastien Boistel
A l'heure de l'épidémie de Coronavirus, la région Paca, est-elle un eden pour les survivalistes ? Pour y voir clair, explications avec le patron du Centre d'études et d'enseignement des techniques de survie, à Avignon. Une archive tirée de notre grosse enquête "Apocalypse now", en avril 2019, sur l'art de vivre ou de survivre. A relire !
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Au milieu des gaz d’échappement qui accompagnent le petit d’homme sur le chemin de l’école, une mère de famille, collapsologue aguerrie, nous propose un séjour dans une ferme pour s’essayer à un mode de vie « résilient ». On lui demande si la ferme est entourée de barbelés et si les fermiers sont armés. Elle s’offusque : « Ça n’a rien à voir avec le survivalisme ! Il s’agit d’apprendre à vivre autrement, pas juste survivre. Parce que si le futur, c’est Walking Dead, autant se mettre une balle tout de suite ! »

Dans cette jungle, pas facile de s’y retrouver. Pourtant, pour jouer les « survivor », en deux clics, on trouve des week-ends dans le Var à 200 euros. Un tarif qui ne comprend ni « l’hébergement » ni « les repas » : il s’agit de se nourrir de la « chasse » et de la « cueillette » du jour.

On nous parle d’un couple de profs de Martigues, biberonné au film culte Captain Fantastic, cherchant désormais un point de chute dans le Cantal, qui auraient déjà troqué leur voiture pour un « 4×4 Lada, l’idéal car sans une once d’électronique et qui peut, littéralement, écraser les autres véhicules ».

Mais la méfiance est de mise : la branche « 13 » du « réseau survivaliste francophone » prévenant d’emblée qu’elle refuse autant les interviews que les journalistes. Illustration avec « Walt Kurtz » (en référence à Apocalypse Now), un ancien militaire qui anime le site « survivalisme-survie » et que l’on identifie en Provence sur un forum. A notre demande d’interview, il répond : « Tout dépend de l’orientation de votre article. » Quoique connaissant – et appréciant – le Ravi, il prévient : « si c’est pour tourner en dérision l’esprit qui motive les lecteurs… »

Credo porteur

Ce qui ne l’empêche pas de nous faire du pied puisque son site « a pris une gamelle de la 3ème à la 77ème place sur Google ». Il faut dire qu’au-delà des articles sur « l’abri anti-atomique » et le « Remington 700 », à la rubrique « actualités », « Walt » glose à l’envi sur le « Brexit », « l’affaire Benalla », « Carlos Ghosn » et renvoie autant aux vidéos de François Asselineau qu’à des sites comme « Guerres de France »...

Pourtant, le credo est porteur, en témoigne la tenue, fin mars à Paris, de la seconde édition du salon « Survival Expo ». La com’ sollicitera le Ravi pour faire de la retape en faveur d’un événement dont les affiches verdoyantes égayent la faïence du métro parisien. Toutefois, une des rares sociétés du coin à y tenir un stand, « Azimut Nature », basée à Chateauneuf-les-Martigues (13), nous explique n’avoir ni le temps ni beaucoup de choses à nous dire : « On est en pleine préparation. Mais on n’est vraiment pas sur le credo « survivaliste ». Sur notre site, on a une rubrique « survie » mais c’est marginal. Si on participe à ce salon, c’est avant tout parce qu’une partie de notre clientèle y sera. »

Paca se distingue toutefois en abritant à Avignon le « CEETS », le « centre d’études et d’enseignement des techniques de survie » ! Mais son fondateur, David Manise, précise d’entrée : « Je ne suis pas du tout un adepte du survivalisme. D’abord parce que c’est un mouvement qui est né aux États-Unis dans les milieux d’extrême droite, d’où un penchant pour les armes à feu et la défense de son domicile. Mais aussi et surtout parce que c’est une approche totalement individualiste. Stocker de la nourriture, des munitions, ce n’est pas trop mon truc. Alors que ce qui marche – et on le voit à chaque catastrophe – ce n’est pas le repli sur soi mais l’entraide, la coopération… C’est ce que je vis désormais dans un petit village de la Drôme. Et ce que j’enseigne… »

Techniques de boy-scout

De surcroît, poursuit-il, « même si, chez les survivalistes, vous trouvez de tout – cela va de l’altermondialiste adepte de permaculture au militant d’extrême droite – on n’est pas dans une région très propice. En effet, puisque l’autre, c’est l’ennemi, le survivaliste privilégie des zones faiblement peuplées où l’on peut également exploiter des ressources naturelles ». Bref, l’antithèse de Paca !

Originaire du Québec, lui qui a appris sur le tas, n’est surpris ni par l’ampleur du phénomène ni par son côté mercantile. Mais pas question de participer au salon « Survival Expo » : « L’an dernier, il y avait, parmi les conférenciers, Piero San Giorgio, un survivaliste très proche des milieux d’extrême droite, d’Alain Soral ou de Serge Ayoub… J’ai donc décidé de boycotter l’événement. Et, dans mes stages, je n’enseigne plus le camouflage ou le pistage. Pour que ces techniques ne tombent pas entre de mauvaises mains. »

Le B.A BA, c’est « apprendre à faire du feu, à trouver de l’eau. Des techniques de boy-scout. Mais aussi les premiers secours. L’approche est avant tout préventive… » Toutefois, même si, sur le site du CEETS, on trouve en accès libre Carcajou, une revue on ne peut plus instructive, les formations sur un week-end affichent des tarifs aux alentours de 200 euros. Question de survie : « On peut se dire que ce n’est pas donné, reconnaît David. Mais comme il faut payer les charges, l’encadrement, si on veut tirer l’équivalent d’un Smic, on n’a pas le choix. » Toutefois, conclut-il, « on va revenir à un statut associatif. Parce que ce sera plus cohérents avec les valeurs que l’on veut promouvoir. Et parce que ce que l’on enseigne, ça devrait être gratuit. »