Qui va descendre la poubelle ?

septembre 2004
Les Alpes-Maritimes pourraient bientôt être dotées d'un plan départemental d'élimination des déchets. En attendant, ils s'accumulent devant la porte.

Les Alpes-Maritimes auront-elles enfin leur plan départemental d’élimination des déchets (PDED), comme les y oblige la loi du 13 juillet 1992 ? Une première fois recalée par le tribunal administratif en 2000, la préfecture a revu sa copie et concocté un nouveau plan, déjà soumis à enquête publique, et dont l’arrêté devrait être signé cet automne. Cette nouvelle monture prévoit notamment la réduction à la source des déchets, le développement de la collecte sélective pour certains d’entre eux et la valorisation des matières organiques (voir ci-contre). Mais ce qui réjouit le plus les écolos de tous poils, c’est la fin de l’incinération, programmée d’ici 2015-2020. « C’est une vraie rupture, voire une révolution », reconnaît Patrice Miran, du Mouvement des écologistes indépendants. « Jusqu’à présent, explique plus en détail Jean-Raymond Vinciguerra, conseiller général Vert, on considérait les déchets comme une masse indifférenciée destinée à être brûlée ; maintenant, on va les trier et appliquer un traitement différencié à chacun de ses éléments, ce qui n’était pas la culture du précédent plan. »

Pour autant, ça ne sent toujours pas la rose au fond des poubelles, et les raisons de critiquer ce PDED ne manquent pas, qui sont autant d’arguments pour un éventuel recours devant le tribunal administratif. Tout d’abord, en guise de réduction des déchets à la source, on se contentera de quelques déclarations de bonnes intentions. Rien ne sera imposé, et surtout pas aux entreprises, qui fournissent pourtant près de 40% des 1.117.000 tonnes de déchets produites chaque année sur le département (chiffres de 2000). Or, râle Patrice Miran, « on ne voit pas comment on va sortir de l’incinération si l’on ne réduit pas d’abord la quantité de déchets ». Autre motif d’éventuelle annulation, soufflé par J.R. Vinciguerra, la quantité de déchets sur laquelle se base le plan est en partie estimée, et non pas constatée. Et pour cause, l’année de référence est 2000, qui a vu fleurir les décharges sauvages, consécutives à la fermeture administrative de la décharge du Jas de Madame. De plus, en 2000, les communautés d’agglomérations ou de communes n’existaient pas encore : on s’est donc passé de leur avis. Autre grief, la définition du déchet ultime, donc de ce que l’on peut mettre, in fine, au rebut, est imprécise, explique le conseiller général, et pourrait permettre de continuer à mettre en décharge des éléments imputrescibles. Enfin, les deux écolos vitupèrent, chacun de leur côté, contre les conditions de la collecte sélective, confiée à deux sociétés agréées, Adelphe et Eco emballage.

Think different

Pour résumer, le nouveau PDED affiche de belles intentions, mais ne s’en donne pas les moyens. Ce grand écart a une raison, croit savoir Patrice Miran : la sortie de l’incinération, affirme-t-il, est une commande politique imposée aux services techniques par Christian Estrosi, président du Conseil général depuis un an, et plaquée sur un plan qui, sans cela, aurait ressemblé au précédent comme deux canettes usagées. Du coup, les conditions techniques et économiques qui permettraient d’honorer cette commande ne sont pas réunies. « Pour ce faire, il aurait fallu s’appuyer sur d’autres analyses que celles produites par les services de l’Etat ou des collectivités territoriales, dont les techniciens sont issus des mêmes grands corps techniques de l’Etat », explique Miran.

Est-ce la raison pour laquelle ce nouveau plan fait encore la part belle à Véolia environnement, anciennement Vivendi environnement ? Véolia, via ses nombreuses filiales, contrôle toute la filière des déchets, de la station d’épuration au stockage des résidus ultimes, en passant par le ramassage des déchets, leur transport et leur incinération. Véolia se retrouve donc en position dominante et joue de cet argument pour obtenir de nouveaux marchés. Là encore, précise Vinciguerra, ce sont les mêmes ingénieurs, sortis des mêmes écoles, que l’on retrouve dans le public et dans le privé. Et du coup, répond comme en écho Miran, « les solutions techniques mises en avant par Véolia se trouvent confortées ». Et Vinciguerra de ne citer qu’un seul exemple : lorsqu’il a fallu remplacer le centre d’enfouissement technique du Jas de Madame, exploité par Sud-est assainissement, filiale de Vivendi, et frappé de fermeture administrative, la Direction départementale de l’agriculture a recensé les sites disponibles sur le département. Elle n’en a finalement retenu qu’un, celui de la Glacière, comme par hasard propriété de Sud-est assainissement, et situé tout à proximité du Jas de Madame, permettant ainsi à l’exploitant d’utiliser les mêmes équipements. Mais la concurrence existe néanmoins, comme le prouve l’âpre et ubuesque bataille que se livrent actuellement, pour le marché du traitement des boues des stations d’épuration, Onyx, filiale de Véolia, et Oredui, filiale… d’Onyx.

Que faire ?

Si nos deux écolos avancent peu ou prou les mêmes arguments à l’encontre de ce PDED, ils n’en tirent pas les mêmes conclusions. Le 1er janvier prochain, la gestion des déchets incombera aux conseils généraux, explique Jean-Raymond Vinciguerra qui se fait fort d’obtenir d’Estrosi la révision du plan. C’est pourquoi il n’engagera pas de recours devant le tribunal administratif, car si celui-ci décide l’annulation du plan, ce qui selon lui ne fait aucun doute, il n’y aura plus de gendarme et les techniciens du Conseil général pourront faire ce qu’ils veulent. Mais les recours doivent être déposés dans un délai de deux mois après la signature de l’arrêté, avant donc qu’il ne tombe dans l’escarcelle du Conseil général. Or, si le plan est attaqué, il cesse d’être révisable. Patrice Miran, déjà initiateur du recours contre la première version du plan, fait mine de se tâter : « Si j’attaque, je mets des bâtons dans les roues d’un processus qui va dans la bonne direction, mais si je ne fais rien, je sais que ça va se casser la figure, et les services techniques vont reprendre la main. » Et Miran, même si on sent bien que ça le titille, de promettre de ne rien faire avant d’avoir étudié les budgets de la CANCA et du Conseil général, pour voir s’ils sont conformes aux orientations du plan.

Gilles Mortreux

Incendie à l’usine d’incinération

L’usine d’incinération de l’Ariane, à l’est de Nice, existe depuis 1976 et est exploitée par la Sonitherm, filiale de Véolia environnement. L’usine brûle 12 tonnes de déchets par heure, et parfois, elle se brûle elle-même. C’est ce qui s’est produit le 8 juillet dernier, où un incendie a causé de graves dégâts et nécessité de couper le courant électrique pendant quelques heures. Du coup, 50 tonnes de déchets ont brûlé sans que ne fonctionnent les filtres électriques, occasionnant un épais nuage de fumée qui a flotté pendant quelques temps au-dessus de l’Ariane, clairement visible depuis le village de l’Abadie situé un peu en hauteur. La commission locale d’information et de surveillance (CLIS) s’est réunie en réunion extraordinaire le 27 juillet, et le patron de l’usine a tenté d’apaiser les craintes des riverains en leur répétant notamment que les dernières mesures sont bonnes.

Ces belles paroles ne rassurent pourtant pas les jardiniers amateurs qui exploitent les 58 parcelles du jardin ouvrier situé à proximité immédiate de l’usine. Ils réclament depuis longtemps une évaluation des risques sanitaires, jusqu’ici sans succès. Las d’attendre, ils ont fait examiner par le laboratoire de chimie appliquée de l’Université de Toulon et du Var des échantillons de terre. Le résultat n’est pas piqué des hannetons.

Le laboratoire a cherché les concentrations de chlorodibenzodioxine et de chlorodibenzofurane dans la terre, et en a extrapolé leur concentration dans les légumes cultivés. Il en déduit que « les légumes en surface des jardins (présentent) des teneurs en dioxines et furannes supérieures aux doses jugées comme dangereuses par l’OMS ». Bon appétit quand même.

G.M.

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