« Dès le 19ème siècle, le tableau est installé »

octobre 2006
Historien spécialisé en économie maritime, Gilbert Buti explique que les rapports de notre région avec la mer se sont structurés dès le 19eme siècle. Regard vers un passé aux conséquences bien présentes.

Avec sa façade maritime, la région Paca est naturellement ouverte sur la mer. Son économie aussi ?

Jusqu’aux Grandes découvertes, la Méditerranée est le c?ur de l’activité économique du monde connu. A partir de cet événement, contrairement à ce qu’ont estimé des historiens comme Fernand Braudel, loin d’être marginalisée par le commerce transatlantique, elle joue un rôle fondamental entre l’Orient et l’Occident. Et la région Paca en profite. Marseille, qui n’était qu’un port méditerranéen jusqu’à la fin du règne de Louis XIV, prend une envergure internationale et devient la motrice de l’économie régionale. Son port entraîne ou étouffe ses voisins. Martigues, port de pêche et de commerce important jusqu’au 18ème siècle, se recentre sur sa première activité à partir de ce moment-là. A l’opposé, Saint-Tropez, grâce aux capitaux marseillais, se met au service de la cité phocéenne. Le village est à la tête de la troisième flotte marchande de Méditerranée en nombre de bateaux et en tonnage après Marseille et La Ciotat.

Le commerce maritime n’a jamais cependant été la seule activité économique de la région…

Il a une place prépondérante. Car qu’il soit de course de corsaires, lointain ou de redistribution, il participe à une économie qui est déjà nationale. Comme aujourd’hui, l’économie maritime induisait une complémentarité entre la terre et la mer. Arles, avec le Rhône, était ainsi un passage de la remontée du blé vers le Nord de la France et de la descente vers le Sud des bois de marine d’Alsace ou de Franche-Comté. En fait, au 18ème siècle, on ne peut pas comprendre Marseille sans Lyon, et inversement. La célèbre partie de carte de Pagnol était déjà une réalité ! Toutefois, le commerce n’est effectivement pas la seule activité maritime de la région. On trouve également de la réparation et de la construction navale dans tous les ports – petits et grands, car il faudra encore du temps pour qu’elles se centralisent -, de l’accastillage et des activités industrielles. Il y avait déjà à l’Estaque une industrie de transformation des matières premières (notamment l’huile et le sucre), les prémices de ce qui fait la force de Marseille aujourd’hui : l’industrie chimique. Mais, seule Toulon est, aux 17ème et 18ème siècles, un véritable complexe industrialo-portuaire. Port de guerre, on y trouve de la construction navale à La Seyne-sur-Mer, qui développe également un commerce avec le monde arabo-musulman, de la métallurgie, du textile…

En fait, par rapport à aujourd’hui, il ne manque que le tourisme !

A peine. Car s’il n’apparaît qu’au 19ème siècle, la plaisance est une réalité dès le 18ème. Il s’agit alors d’une activité de délassement (pêche, sortie en mer à la journée…) qui est le fait de retraités, de douaniers, de charpentiers, de calfats (les ouvriers qui assuraient l’étanchéité des bateaux, dont les descendants sont aujourd’hui victimes de l’amiante)… Une population modeste que l’on retrouve aujourd’hui avec ses pointus dans les manifestations de voile latine de la région. Au siècle suivant, vient se superposer un monde plus fortuné à Cannes, Saint-Tropez ou Hyères. Ces premiers touristes, Anglais et Russes venus hiverner à Nice, y pratiquent le yachting. Modeste jusqu’à la fin du siècle, la plaisance s’amplifie au début du 20ème siècle, avant de prendre sont essor après la Guerre 14-18. Dès lors, apparaissent les activités induites et une transformation de certains ports à son profit. Elle devient en effet une activité relaie dans des places moribondes et s’installe durablement sur la Côte d’Azur. Cannes, par exemple, abandonne le commerce pour elle.

La structuration de l’économie maritime de la région remonte donc au 19ème siècle ?

Oui. D’autant qu’au 19ème siècle, le monde connaît de profondes mutations politiques et géopolitiques (construction d’Etats Nations, colonisation), technologiques (vapeur) et économiques (révolution industrielle, commerce avec les colonies). L’économie maritime profite largement de l’intensification des échanges avec les colonies et ses activités se concentrent sur quelques grands ports. Marseille en absorbe ainsi une grande part : la réparation navale s’y centralise et les grandes compagnies de commerce s’y installent. Martigues, elle, se spécialise dans la pêche. Dans le reste de la région, s’installe déjà le tableau que nous connaissons aujourd’hui.

La crise des années 70-80 n’a donc rien bouleversé ?

Elle a davantage entraîné une transformation de l’image que l’on a des ports. Les chantiers navals ont fermé, les dockers ont quasiment disparu et, à Marseille, la ville s’installe dans le port pendant que les industries sont désormais à Fos-sur-Mer. Cependant, la région est toujours économiquement très fortement tournée vers la mer. On peut le mesurer à travers les liens qui subsistent avec l’arrière-pays, les liaisons commerciales avec l’Europe du Nord, ainsi qu’avec le maintient d’une activité industrielle. Un bémol quand même : peut-être par facilité, le tourisme et le nautisme semblent être les solutions de développement privilégiées. La reconversion des chantiers de La Ciotat en direction de la plaisance de luxe en est le parfait exemple. C’est un infléchissement qui mérite d’être surveillé. Car si ces activités sont plus propres, plus attrayantes, elles ne sont pas celles qui me semblent les plus porteuses d’avenir.

Propos recueillis par J-F. P.

Les Français, la terre et la mer du 13e siècle à nos jours, sous la direction de Alain Cabantous, André Lespagnol et Françoise Péron, avec une contribution de Gilbert Buti, Fayard, 2005.

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