Contrat Etat-Région : les dessous du plan

février 2007
« Contrat de projets » 2007-2013 : c'est le nouveau nom des anciens « contrats de plan » engageant l'Etat et la Région pour le financement de réalisations locales sur une période de 7 ans. Car le « plan » ne fait plus recette : trop soviétique, ou trop « plan-plan » peut-être. Le « projet », c'est plus dynamique, et surtout moins exhaustif : pas besoin de tout mettre dedans... C'est surtout l'occasion d'affirmer sa volonté politique, ce qui peut s'avérer très utile en période électorale...

Il est fier, Michel Vauzelle. Notre altermondialiste de président régional se vante d’avoir fait céder l’Etat en rase campagne en obtenant que celui-ci mette au pot du contrat de projet régional de PACA un montant supplémentaire de 145 millions d’euros, soit 21 % de plus que prévu, record national : « Il est revenu de Paris avec un sentiment victorieux », confirme un de ses collaborateurs. Quel argument a bien pu faire céder le gouvernement pour que le préfet de région, Christian Frémont, accorde une telle rallonge ? La menace de ne pas financer le projet ITER de recherche nucléaire à Cadarache ? Ou celle de déclarer l’indépendance de la Camargue ? 10rv38yacine_contrat.jpg En réalité, le miracle de la négociation réussie est pour beaucoup à chercher au sein même du gouvernement, au ministère délégué à l’aménagement du territoire, où loge actuellement Christian Estrosi, également président UMP du Conseil général des Alpes-Maritimes. Impossible pour le Ministre de « louper » le contrat de projet dans sa propre région. Car en PACA, une tradition bien établie exige que les élus locaux montent à Paris pour rapporter un maximum de subsides à leur territoire d’origine. Vieux réflexe de dépendance d’une province éloignée, qui attend tout de la capitale, tout en la méprisant… Dans cette perspective, Michel Vauzelle n’aurait pas manqué d’accuser le ministre d’être au moins complice du manque de volonté de l’Etat, et de la faiblesse des budgets alloués à PACA (1) : un risque élevé en période électorale pour l’un des principaux lieutenants de Sarkozy.

Mais depuis le « mandat complémentaire » de 145 millions d’euros obtenu dans le contrat de projets Etat-Région (CPER), cette menace n’a plus cours : le socialiste Michel Vauzelle ne cesse de vanter les mérites de Christian Estrosi. Point d’orgue de cette nouvelle amitié : la signature officielle du contrat, prévue fin février, début mars. Au cabinet du ministre, on confirme qu’Estrosi a suivi le dossier « de très près », et qu’il a rencontré Michel Vauzelle à plusieurs reprises sur le sujet : « lorsque les dossiers relevaient d’une vraie légitimité et d’une réelle importance pour la région, il s’est engagé personnellement pour débloquer des situations difficiles. Il l’a fait notamment en faveur des transports avec la prise en compte du projet du Montgenèvre, et auprès du Ministère de l’agriculture pour des projets d’hydraulique agricole [NDLR le canal Verdon-Saint Cassien par exemple] ». Et de rappeler que lorsqu’il était conseiller régional d’opposition à Michel Vauzelle, Christian Estrosi avait déjà voté en faveur du précédent contrat de plan.

Restent quelques détails à régler : sur le tunnel du Montgenèvre, qui doit relier Marseille à Turin pour développer le trafic de marchandises, cheval de bataille des élus socialistes régionaux, l’Etat se veut prudent. Au ministère de l’aménagement du territoire, on précise que ce projet n’est pas du tout aussi avancé que celui, potentiellement concurrent, de liaison Lyon-Turin. La Région insiste : « le tunnel de Montgenèvre ne peut pas apparaître seulement de manière symbolique dans le contrat de projets ». Car ce qui compte, ce n’est pas seulement la réalité de la volonté de l’un ou l’autre des partenaires, c’est surtout l’affichage de cette volonté. En effet, la négociation du contrat de projets ressemble finalement à une bataille de chiffres que l’on se jette à la figure. C’est d’abord la Région qui reproche à l’Etat de n’avoir pas réalisé ses engagements dans le contrat précédent. Ensuite, c’est à qui paiera le plus sur les domaines qui dépendent de sa compétence. La Région accuse ainsi l’Etat d’abandonner les parcs naturels régionaux, alors que c’est elle de toutes façons qui assume déjà la plus grande partie des financements. « L’Etat n’affiche qu’un tiers de son budget sur les espaces naturels, alors que nous, on mentionne tout : politiquement c’est très important, on écrase l’Etat », confie un responsable au Conseil régional. A l’inverse, le service de gestion des risques de la Région affiche une petite partie de ses futures dépenses : il y a moins d’enjeu politique, car la gestion des risques est un domaine où c’est traditionnellement l’Etat qui est le plus sollicité… C’est donc le gouvernement qui a le plus d’intérêt à rendre son effort visible… Dans ce petit jeu, chaque service défend son pré carré, sa parcelle de pouvoir, et s’engage sur un projet seulement si ça se voit…

A ce compte-là, le financement des projet n’obéit pas vraiment à une logique d’ensemble : entre la Région et l’Etat, chacun essaie d’amener l’autre sur son terrain de compétences. Les gagnants sont les porteurs de projet qui parviennent à faire monter les enchères entre les deux financeurs. Cette fois, ce sont les directeurs d’université qui ont tiré le jackpot, en obtenant le financement des pôles de compétence, une manière de regrouper les pôles de recherche pour atteindre une taille critique, pour un montant total de 310 millions d’euros, soit 20 % du montant total des engagements. Au passage, des pans entiers du « plan stratégique régional » voté par la Région en juin 2006, et qui devaient constituer la plate-forme de négociation avec l’Etat, se retrouvent éjectés du contrat de projets. Apparemment rien de grave pour la Région : « c’est le projet des élus régionaux, leur feuille de route. Pour nous le contrat de projets, c’est en fait une sous-partie de notre plan stratégique régional. Ce qui n’est pas financé cette fois-ci, on le fera quand même… ». Il suffira de le demander au Ministre Estrosi… S’il est toujours à Paris !

Etienne Ballan

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