JC Decaux : le roi du macadam

avril 2008

Longtemps en position de monopole sur le marché du mobilier urbain en Paca, comme partout en France, JC Decaux est depuis une dizaine d’années, bousculé par les américains Clear Channel et CBS Outdoor. Qu’on se rassure, l’espace public est encore largement son domaine.

« Après les contrats d’Aix-en-Provence (13), Cannes (06) et Marseille, celui de la Communauté d’agglomération Nice Côte d’Azur vient renforcer la puissance des réseaux JC Decaux en Provence Alpes Côte d’Azur », claironnait, en 2006, le n°1 mondial du mobilier urbain. Une situation simple à résumer : de Nice à Arles (13), l’empereur de la sanisette tient presque tout le marché du mobilier urbain en Paca. Il contrôle exactement 71 % selon son principal concurrent, Clear Channel. A ce chiffre il faut en rajouter d’autres : JC Decaux pèse 23 % du marché « grand format » avec sa filiale Avenir (les affiches de 4 mètres sur 3) ; la société possède 47 % de la publicité sur les bus (à travers Métrobus : 40 % JC Decaux, 60 % RATP) ; elle a l’exclusivité de l’affichage dans les trois aéroports de Paca, le métro marseillais, et les gares (quais compris). Le très bien surnommé « le roi de la rue » règne sans partage sur l’espace public et privé de la région. « Le génie de Decaux a été de faire croire aux collectivités que le mobilier urbain ne leur coûtait rien », rappelle un brin admiratif François-Noël Bernardi, président sortant du groupe des socialistes, verts, radicaux et apparentés à la communauté urbaine Marseille Provence Métropole (MPM). S’engraisser avec l’argent public : une pratique vieille comme l’avionneur Dassault. De la sanisette au panneau déroulant, en passant par les colonnes Morris, depuis la pose en 1964 de son premier abribus à Lyon, sa ville natale, les collectivités doivent à Jean-Claude Decaux tous leurs supports d’affichage. Cannes va même avoir droit aux dernières nouveautés : les bornes Internet et les écrans géants, façon New-York ou Tokyo. Un bonheur qui fait aussi celui des publicitaires. Car si JC Decaux fabrique, installe et entretient le mobilier urbain, son principal métier est de vendre de la pub. Et de préférence de grandes marques. « Les zones d’activités sont plutôt réservées aux produits marchands et aux entreprises locales », convient Franck Dizdarevic, directeur régional de JC Decaux. C’est pourquoi, en Paca, le n°1 mondial du mobilier urbain se trouve principalement dans les zones les plus urbanisées, la côte, et dans les villes les plus importantes. Hors des départements alpins, qui ne semblent pas avoir grâce à ses yeux, seules La Ciotat (13), Draguignan (83) et Salon-de-Provence (13) lui échappent. C’est également pourquoi JC Decaux va, quand il le faut, chasser sur les terres de Clear Channel, qui annonce pourtant une « exclusivité sur les villes de moins de 20 000 habitants. » On retrouve ainsi le roi du macadam à Saint-Jean-Cap-Ferrat (06) ou encore à Beaulieu-sur-Mer (06). « Ce sont des petits marchés complémentaires, mais ce qui prime c’est la stratégie, poursuit Franck Dizdarevic. Pour les annonceurs, la Côte d’Azur est très importante. Cannes n’est pas, par exemple, vue comme une ville de 67 000 habitants. » Plutôt comme une ville de riches et de stars ? Cependant, le marché est un peu moins tranquille pour JC Decaux depuis une dizaine d’années. L’arrivée de la concurrence en 1997 a en effet remis en cause son quasi monopole sur le mobilier urbain et a mis fin à certaines de ses pratiques peu compatibles avec les joies de la concurrence libre et non faussée. Lorsqu’il lui chipe le marché de Rennes, le Britannique More (racheté depuis par Clear Channel) apprécie peu le manque d’enthousiasme de l’empereur de la sanisette à démonter son matériel. La ville bretonne non plus : en plein hiver ses habitants passent une semaine sous la pluie faute d’abribus. Les deux saisissent le conseil de la concurrence. En 2006, la Cour d’appel de Paris a condamné JC Decaux à une amende de 2 millions d’euros pour n’avoir toujours pas obtempéré aux injonctions prononcées à son encontre en 1998 : retirer de ses contrats les clauses de priorité pour l’installation de mobilier urbain supplémentaire, l’absence de date d’échéance unique et obligation d’informer ses clients de ces modifications. Conclusion sans appel des juges : JC Decaux « poursuit délibérément le verrouillage du marché », avec des pratiques d’une « gravité exceptionnelle. » Selon un connaisseur du secteur, une autre grande pratique du roi de l’abribus est le lobbying : « Jean-Claude Decaux a toujours fait un gros travail là-dessus, à force il connaît toutes les collectivités. » Au point qu’à Nice, un des surnom de Jacques Médecin était « Monsieur 10 % sur les chiottes » (1) Coïncidence ? Marseille en est, de son côté, à la rédaction de son cinquième appel d’offre depuis sa décision en 2005 de renouveler son mobilier urbain… Pour l’instant, JC Decaux ne lui verse aucune redevance. En 10 ans, le roi de l’abribus n’a finalement perdu que 9 % de sa position sur le marché du mobilier urbain (80 % en 1998 selon le conseil de la concurrence). Sur Paca, cela s’est traduit par la perte des trois villes déjà citées et de quelques lots : abribus à Hyères (83) et à Villeneuve-Loubet (06) par exemple. Mais ses concurrents s’impatientent. Le groupe CBS Outdoor a ainsi attaqué Toulon pour un problème de forme dans l’appel d’offres des panneaux d’affichages de 2 m2 et 8 m2. La manoeuvre avait permis à JC Decaux de surenchérir et l’emporter sur Clear Channel pour les Vélib’ parisiens… Concurrence oblige, les collectivités sont également devenues un peu plus gourmandes. « Il y a quelques appels auxquels nous n’avons pas répondu sur la Côte d’Azur, celui de Grasse (06) par exemple, car les conditions économiques n’étaient pas favorables, explique Franck Dizdarevic. Depuis 1964, la philosophie de Decaux est de privilégier la qualité du service sur la quantité. » Les consultations à venir (Martigues (13), Istres (13), Draguignan (83), Toulon…) montreront si les maires sont toujours aussi sensibles à cette « philosophie de la qualité » et si l’empereur de la sanisette a « déverrouillé » le marché du mobilier urbain. Le gain de celui des gares le mois dernier laisse circonspect… Jean-François Poupelin

(1) Jacques Médecin était soupçonné de prélever 10 % sur chaque sanisette Decaux vendue aux Etats-Unis.

Au sommaire

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Vélos Le coup de pédale le plus cher du monde

Marseille Une collectivité très urbaine avec l’empereur de la sanisette

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Entretien avec Jean-Philippe Strebler « La porte ouverte à des pratiques limites »

Initiatives Le coin des publiphobes

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