Jacques Pfister, président de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Marseille-Provence.

janvier 2008
L'ex-PDG d'Orangina rêve d'aérophagie : que la grenouille phocéenne se fasse aussi grosse que le b?uf barcelonais.

Mais pourquoi est-il aussi gentil ? 20rv46trax_pfister.jpg « O-ran-gi-na ! Secouez-môa, secouez-môa ! » Le mouvement, l’agitation, il n’y a que ça de vrai ! Pour la crôassance, il faut que ça bouge, que la machine tourne. Il faut aussi que tout bouge pour que rien ne bouge, comme disait l’autre. Mais je ne me suis pas présenté : Jacques Pfister, né il y a 59 ans à Bayonne, la patrie du jambon, avec un nom de saucisse de Strasbourg. Mais c’est dans la malbouffe amerloque que je vais gagner mes galons, après avoir obtenu mon diplôme d’ingénieur des mines. Je rentre en effet chez Coca-Cola en 1976. Montant inexorablement dans la hiérarchie comme une bulle dans une canette ou tel un rototo dans un ?sophage, j’en suis le directeur général adjoint en 1987. En 1991, je quitte les bulles maronnasses pour les bulles orangeasses, devenant PDG d’Orangina France. Dix ans plus tard, je deviens PDG d’Orangina-Schweppes, après fusion de ces deux filiales de Pernod-Ricard. Un marchand d’alcool qui vend aussi des boissons sans alcool, ça vous étonne ? Mais vous ne comprenez donc rien au bizness ! Quitte à être en concurrence, autant que ce soit avec soi-même. Et puis, il faut se di-ver-si-fier ! Il faut vendre aux gosses, aux femmes enceintes, aux musulmans, aux alcooliques repentis… Ça en fait, des parts de marché ! Bref, mon heure de gloire, ce fut le lancement d’Orangina rouge, grâce à une pub crétine devenue « culte », où l’on voyait un hystérique déguisé en bouteille rouge avec une tronçonneuse à la main. Autre triomphe : j’ai fait rentrer Orangina chez Mac Do ! Après trente ans à baigner dans le soda, j’en ai eu un peu ras la bulle. Aussi, j’ai fait des pieds et des mains pour devenir président de la chambre de commerce de Marseille. Pas gagné d’avance, je n’étais pas 100 % marseillais. Mais grâce à mon réseau, j’ai pu décrocher la queue du Mickey en 2004. Un autre atout, c’est de faire dans le consensuel, le gentil, de ne pas faire de vagues, de ne se fâcher avec personne. Si je suis partisan des 35 heures, je suis élu sous l’étiquette MEDEF. A Gaudin je donne du « Jean-Claude », à Guérini du « Jean-Noël ». Bon, le risque, c’est de paraître parfois aussi pétillant qu’un coca ouvert depuis une semaine… Pourtant à l’occasion, je sais aussi sortir la tronçonneuse. Quand par exemple j’ai vu tous ceux qui coinçaient la bulle dans les bureaux de la chambre, j’ai vu tout rouge. Mais de dégraissage, point. Toujours 1200 salariés dans la boutique, promenez-vous un peu au palais de la Bourse, vous verrez comme ça ronronne. Secouer, secouer… Parfois, ça fait « pschitt »… J’ai tout de même mis un peu la pédale douce sur le recrutement des petits copains, cousins, tontons, tatas et autres qui étaient monnaie courante auparavant. A part ça, j’ai ressorti des cartons le projet d’aéroport « low-cost » à Marignane. Un succès ! Bouger, toujours bouger, comme je le répète. Bon, on ne fait pas d’omelette sans casser des ?ufs, et tant pis pour le réchauffement climatique, c’était avant le Grenelle de l’environnement, on ne pouvait pas savoir, désolé. Convaincu de mon génie marketing depuis Orangina rouge, je suis à fond sur la com’. Ainsi, j’ai accepté la présidence de la candidature de Marseille capitale de la culture en 2013. La culture, ce n’est pas fait pour sortir les gens de l’ignorance, de la barbarie, non c’est juste fait pour générer du chiffre d’affaires, faire de la pub pour un territoire. De plus, avec le désengagement de l’Etat, on peut de plus en plus orienter la culture en fonction de nos intérêts économiques. Et, cerise sur le gâteau, on se donne une belle image de mécènes : la culture « valorise une image pour des entreprises qui aiment montrer que le profit n’est pas une fin unique » (1). « Montrer », c’est beau comme de l’antique, n’est-ce pas ? Dernier exemple la « cow parade », les vaches en plastique de toutes les couleurs. Divertir, voilà tout ce qu’on demande à la culture : que les saltimbanques nous amusent, n’oubliez pas, je suis du MEDEF tout de même. Moi, la culture de toutes les façons, c’est la lecture de l’Equipe tous les matins. C’est d’ailleurs après avoir lu un compte-rendu sur les huitièmes de finale du tournoi de curling de Vancouver que j’ai eu l’illumination : et si on faisait venir les Jeux Olympiques à Marseille, comme à Barcelone ! Et v’là t’y pas que Jean-Nono reprend mon idée de volée pour sa campagne aux municipales ! Mon rêve, que Marseille rentre au top 20 des grandes villes européennes. Qu’est-ce que j’entends par là ? Mais le top 20 des buveurs de soda, des preneurs d’avions, des abonnés à l’Equipe ! Et pour fêter ça, je ferais bien construire un nouveau siège, pour enfin quitter ce palais de la Bourse vieillot sur la Canebière pour un truc sur le front de mer dans le périmètre Euromed, à côté du futur siège de la CMA-CGM, la tour mégalo de Saadé. Bon, plus petite, ma tour, parce qu’on n’a pas le droit d’en avoir une aussi grosse que Saadé (2). Au fait, vous n’avez toujours pas compris à quoi sert une Chambre de Commerce ? Pour tout vous avouer, moi non plus.

Paul Tergaiste

(1) Interview parue dans La Provence, 25/10/2007

(2) Lire son portrait dans le Ravi n°36, ou bien sur www.leravi.org, rubrique « poids lourds ».

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