L’envers du décor

mai 2008
Cannes affiche ostensiblement l'image d'une ville de riches. Pourtant, y vivent aussi des pauvres et des précaires.

Son festival international du cinéma, ses yachts, sa Croisette, ses hôtels quatre étoiles aux plages privées, ses boutiques de luxe… Cannes a l’image d’une ville de riches. Et elle l’est ! Mais seulement jusqu’à sa gare. Passé la centaine de mètres au nord du bord de mer, la capitale mondiale des congrès redevient une ville banale. Avec ses problèmes sociaux, de logement, d’emploi… Tout en gardant ses spécificités. Si selon ses habitants, Cannes est une ville plutôt tranquille, trop pour certains, y compris dans les proprettes cités de La Frayère et Ranguin (la Bocca) et dans le quartier populaire de République, tout y est pourtant démultiplié. Ville de 70 000 habitants, elle dispose d’un budget (environ 250 millions d’euros en 2007) équivalent à celui d’une agglomération de 300 000 ; l’amplitude entre les plus riches et les plus pauvres est démesurée ; sa population de personnes âgées (37 %) correspond à celle de la France en 2020 ; le foncier et les loyers y atteignent des sommes stratosphériques alors que la majorité des emplois sont précaires et peu rémunérateurs…

« Selon une étude du Centre communal d’action social de l’année dernière, 60 % des actifs ont des revenus inférieurs à 1 000 euros par mois », rappelle Apolline Crapiz, tête de file des socialistes locaux. « Le bâtiment, l’hôtellerie-restauration et les services à la personne, le marché du vieillissement, sont les principaux pourvoyeurs d’emplois », explique un travailleur social qui préfère garder l’anonymat.

Conséquence : les jeunes actifs s’exilent pour se loger. « Les prix sont plus élevés qu’à Neuilly », poursuit notre anonyme. « Même les classes moyennes s’installent désormais en périphérie, remarque Anne-Marie Bourrouilh, directrice de la MJC Picaud. Et pour acheter, mieux vaut viser l’arrière-pays. » L’hôpital de la ville a carrément fait l’acquisition d’un parc d’appartements pour pouvoir recruter… La Bocca, quartier historiquement populaire, n’échappe même plus à la tendance. « Les prix y ont grimpé de 92 % ces trois-quatre dernières années », assure Apolline Crapiz.

Pourtant, dans ce domaine, Bernard Brochand, député-maire UMP de Cannes, n’est pas le plus mauvais élève des Alpes-Maritimes et même de Paca : sa ville affiche 16 % de logements sociaux. Un taux qu’il a promis de porter à 20 % en 2012 pendant la campagne des municipales. « On fait du social et on est pas mal dans le coin », s’auto-congratule Marie-Christine Repetto-Lemaître, adjointe aux affaires sociales, avant de se lancer dans un inventaire de ses actions : places de crèche réservées pour les Rmistes, prise en charge de la cantine pour les plus pauvres, opérations en faveur des personnes âgées, accueil de jour et de nuit pour les SDF…. Ralliée à Bernard Brochand pour barrer la route « à la droite extrême représentée par Philippe Tabarot », Pascale Vaillant, ex-Verte désormais orange Modem et nouvelle adjointe à l’environnement, justifie également son choix par la politique sociale du maire : « La médiathèque de Ranguin a été un des premiers projets de sa première mandature. Il a lancé la requalification de la cité de Ranguin… » 10rv52red_decor.gif Si l’existence d’un tissu associatif socioculturel et celle de trois MJC sont largement salués, beaucoup pensent que les ressources de la municipalité pourraient lui permettre d’être plus généreuse. « Bernard Brochand nous a financé un projet de rénovation de logements pour 40 familles en grande précarité. C’est bien, mais il en reste des centaines ! », regrette Dominique Mazella, directrice de Parcours de femmes, une association qui propose un accompagnement socioprofessionnel à des femmes en recherche d’emploi, au RMI, seules avec des enfants ou victimes de violences conjugales. Et de poursuivre : « La situation est certainement moins pire qu’ailleurs, pourtant pour la petite enfance, pour l’accès aux loisirs, à la culture, à un meilleur cadre de vie ou encore dans le développement d’un réseau de transports en commun adapté aux emplois locaux, il reste encore beaucoup à faire. » L’ancienne éducatrice de rue redoute également une baisse des subventions sur certaines de ses actions, déjà mises à mal par celle des financements étatiques. La situation des MJC n’est pas là pour la rassurer : l’année dernière, la ville a tenté de récupérer les locaux de celle de Picaud pour y installer une Cité de l’image. La mairie aussi souhaite regrouper leur activité jeunesse en une même structure et imposer une politique d’objectifs et de résultats basée sur la fréquentation. « On craint de perdre l’implication des gens des quartiers et une remise en cause de notre politique d’éducation populaire », s’inquiète Anne-Marie Bourrouilh.

En attendant, Bernard Brochand multiplie les subventions au sport professionnel et les opérations de prestige sur la Croisette. C’est d’un banal.

J-F P.

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