« La porte ouverte à des pratiques limites »

avril 2008
Un entretien avec Jean-Philippe Strebler, juriste en droit public, spécialiste de l'affichage publicitaire

decaux.gifLe quasi-monopole de JC Decaux sur le mobilier urbain prend-il fin ?

Les collectivités locales commencent à se dire qu’il n’y a pas que JC Decaux ! Longtemps ce dernier a fait de la résistance en mettant en ?uvre tous les artifices juridiques. Il prétendait, par exemple, qu’il échappait aux règles de la concurrence puisqu’il proposait un mobilier exclusif. Jusqu’au moment où le Conseil d’Etat a clairement dit que les contrats par lesquels les collectivités publiques concèdent leur mobilier urbain sont un marché public soumis à appel d’offre.

Le manque de transparence des contrats pose-t-il toujours problème ?

Globalement, on progresse. JC Decaux avait autrefois des pratiques plus agressives. La société démarchait tous les mois certains maires, tentant de placer 40 abribus à qui n’en voulait qu’une dizaine. Les contrats signés imposaient parfois des engagements sur 20 ans. De plus, chaque fois qu’une collectivité demandait à déplacer un mobilier, des clauses spécifiaient que la durée du contrat repartait à zéro. Le conseil de la concurrence a dénoncé tout çà. Ce n’est plus censé exister, en théorie. Mais il y a encore l’héritage du passé.

Le système de troc instauré par JC Decaux est-il pertinent ?

La réussite de JC Decaux repose sur une solution de facilité un peu inquiétante. C’est la porte ouverte à des pratiques limites. Le système mis en place s’appuie sur un étrange marché. JC Decaux dit : « ne vous embêtez pas à débourser ou à encaisser de l’argent ! Plutôt que de nous acheter du matériel ou un service, payez-nous en nature en nous concédant une partie de la publicité sur votre commune. » La transparence des comptes publics n’y gagne pas. Si une ville achetait son mobilier urbain, elle pourrait par exemple louer les faces au mieux offrant. Cela devrait se passer ainsi selon les règles les plus élémentaires de la comptabilité publique. Avec le concept inventé par JC Decaux, on met le doigt dans un engrenage bizarre, dans un système où l’on fait du troc. C’est bien pratique car JC Decaux s’occupe de tout ! Mais les communes se privent de ressources.

Qu’apporte de nouveau les vélos en libre-service ?

Avec les abribus, on peut à la limite comprendre qu’il y a un lien entre les « faces » publicitaires et le mobilier fourni. Mais avec les vélos, les « sucettes » publicitaires installées à côté des stations n’ont strictement rien à voir. Il n’y a physiquement aucune cause à effet entre ces mobiliers et les bicyclettes ! Paris, Lyon, Marseille et les autres auraient pu procéder à l’inverse : installer des « sucettes » publicitaires, louer leurs faces et offrir aux usagers, avec les revenus ainsi dégagés, des vélos en libre-service.

Les maires peuvent-ils lutter contre la prolifération de la publicité ?

Le code de l’environnement précise l’usage des enseignes ou de la pub. Les dispositifs publicitaires scellés aux sols sont, par exemple, interdits dans les agglomérations de moins 10 000 habitants. Ce sont des règles nationales. Il appartient à l’Etat de les faire respecter, c’est-à-dire aux préfets ou aux maires. Ces derniers peuvent contraindre ou assouplir le « code ». Cannes, par exemple, est un site inscrit comme toute la Côte d’Azur : la publicité y est en théorie très réglementée. Mais les élus ont estimé que c’était dommage de ne pas profiter de cette manne pendant le festival de cinéma. Ils ont donc assoupli les règles nationales. La tendance majoritaire est inverse : en moyenne, les communes sont plus restrictives que ne l’impose la loi.

Pourquoi, malgré la loi, l’affichage publicitaire est-il toujours aussi envahissant ?

Dans les entrées des villes, ce sont souvent les enseignes qui dégradent le plus le paysage, celles des Mac Do et autres grandes chaînes. La loi est pourtant très limitative. La plupart des installations sont illégales. Pour poser une enseigne, il n’y a pas besoin d’autorisation préalable. Les maires ignorent souvent qu’ils sont censés intervenir au nom de l’Etat. Heureusement, de plus en plus d’associations attaquent, au tribunal, maires et préfets pour « refus d’agir ». Et elles gagnent !

Propos recueillis par Michel Gairaud

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