Christian Lacroix, couturier.

juillet 2008
Cet été, Christian Lacroix signe son retour dans sa ville natale en tant que commissaire principal des « rencontres d'Arles photographie ». Il s'attaque également au musée Réattu qu'il a complètement investi. La vengeance est un plat qui se mange froid.

La croisade de Lacroix 24rv54trax_lacroix.jpg Ça fait des années qu’il me tanne tous pour revenir à Arles. Le maire, le conservateur du musée Réattu, celui du Muséon Arlaten, le directeur des Rencontres de la photo d’Arles, les frères Rapetout qui gèrent les arènes, même l’employée de ma boutique rue de la République me demande de venir pour les soldes d’été. Mais je n’avais pas envie de ce retour avant de finir ma psychanalyse. Oui, je sais, on n’en parle pas souvent, mais des gens comme nous, des grands artistes, je veux dire, on a tous une blessure profonde. Un genre de traumatisme originel qui nous transcende quand il s’agit de créer. Yves Saint Laurent, qui vient de partir, « était un dépressif chronique qui ne savait pas vivre » comme l’a affirmé son compagnon Pierre Bergé (1). Moi, ma blessure, c’est Arles. « Arles, ville mortifère que j’ai dû fuir parce qu’il y flottait une odeur de mort avec tout son patrimoine et ses traditions ancestrales » (2).

Je suis né en 1951 dans le quartier Trinquetaille. En soi, c’était déjà une sorte de prison. Et une prison délabrée puisque le quartier était encore marqué par les bombardements de la deuxième guerre mondiale. De ce côté-là, c’était la famille de mon père, traditionnelle, rigide, sévère, castratrice. De l’autre côté du Rhône, dans le quartier de la Roquette, c’était la famille de ma mère, qu’on allait visiter les jeudis et les week-ends. C’était la mode, les couleurs, l’art, l’aventure, les secrets, la joie de vivre. Et moi, j’ai grandi au milieu du pont, tiraillé entre ces deux pôles complètement opposés. Alors, je me réfugiais le plus souvent au musée. Celui de Réattu pour les peintures, celui d’Arlaten pour les tissus. Pas très fun tout ça, quand même. Carrément étouffant même en été, avec la chaleur et les moustiques. Des conditions optimales pour avoir son bac, je vous l’assure. Moi, je l’ai eu du premier coup et hop, en 69, année érotique, je pars à Montpellier. Je ne reviendrai jamais à Arles. Ou alors en coup de vent, comme le Mistral.

Ma vie, je l’ai construite ailleurs, avec des gens souriants, pas des morts vivants comme tous ces félibres qui empestent l’encaustique. Depuis, je me venge. La mode ? Oui, la mode, les robes, la beauté des corps, des tissus, les couleurs flamboyantes, les défilés, les top models. Superficiel, tout cela ? Peut-être, mais ça me change des plans de restauration des arènes et des modes de pensées patrimoniaux des conservateurs de musée. Avec ma maison de haute couture, je voyage beaucoup aussi. Paris, Londres, New York, Berlin, Tokyo, j’ai parcouru le monde dans tous les sens, répondant à toutes invitations plutôt que de revenir à Arles, où tout le monde pense que rien n’existe en dehors des vestiges de la cité romaine. J’en ai encore des malles pleines de petites vengeances que je distille au quotidien contre cette foutue ville qui m’en a tant fait baver.

Mais ça ne me suffisait pas. C’est mon psy qui me l’a dit en venant à mes défilés. Mes robes sont trop colorées, trop drapées, trop surprenantes, trop imaginatives, trop merveilleuses. Manifestement, j’étais encore un artiste torturé. Il me fallait donc passer à la vitesse supérieure. Revenir dans cette ville maudite pour lui montrer, pour leur montrer que j’étais toujours en vie et fier de l’être. C’est Hébel, le directeur des Rencontres internationales de la photographie qui m’a tendu la perche. Au départ, il voulait m’inviter pour signer quelques expos de photos. Je n’ai pas donné suite. Je n’avais pas envie de faire mon « come back » à Arles par la petite porte. C’était tout ou rien. J’ai attendu. Après les stars, Martin Parr en 2005 et Depardon en 2006, Hébel s’est planté en beauté avec son mélange d’Indiens et de Chinois l’année dernière. Un cocktail pas très digeste qui n’avait pas convaincu tout le monde à Paris (3). Il est revenu me voir, j’étais en position de force. J’ai dit OK, mais je veux tout. Il n’a pas pu refuser. En tant que commissaire principal des Rencontres, je signe une vingtaine d’expos. J’ai invité tous mes amis, ceux que j’ai connu depuis que je suis parti d’Arles, histoire de leur montrer, à ces funèbres Arlésiens, qui je suis devenu. Et ce n’est pas fini ! J’ai totalement relooké le ringard musée Réattu avec une exposition qui va faire date dans la cité romaine où je présente mes créations haute couture en regard des ?uvres qui m’ont marqué jeune. J’en ai profité pour montrer ma collection personnelle de photos, d’installations d’art contemporain et de peinture.

« Les Arlésiens exigent la perfection. Je suis revenu quand j’étais prêt à affronter leur regard. » (2) Aujourd’hui, je suis prêt à leur en mettre plein les mirettes.

Jean Tonnerre

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