Michel Sappin, préfet de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur

septembre 2008
Nommé il y a tout juste un an, Michel Sappin a remplacé le très charismatique Christian Frémont à la tête de la préfecture régionale. Sous sa rondeur bonhomme, il cache la stature d'un bon soldat de la politique Sarkozy qui n'hésite pas à expulser à tour de bras.

Ça sent le Sappin ! 20rv55trax_sappin.jpg Sappin, c’est avec deux p, siouplait, et pas de jeu de mots sur mon nom, ça me met les boules. Non, parce que j’ai beau avoir la bouille ronde et le sourire facile, je suis un tueur, que ça soit dit. Dans le grand public, on a une image plan-plan de la préfectorale, mais c’est faux. Personnellement, je me sens plus proche de Clint Eastwood que de Jacques Villeret. (Le Préfet sort un six-coups de la poche intérieure de sa veste et le pose sur la table.) La préfectorale, c’est une affaire d’hommes. C’est pour ça que j’ai pas laissé le petit Michelito, 10 ans et demi, toréer à Arles cet été (1). Un gamin… Mais les parents y pensent à quoi ? Les taureaux, je m’en occupe personnellement. Comment ça, non ? Et c’est qui l’homme au grand chapeau qui a sillonné les maïs pour retrouver les taureaux échappés de leur enclos dans les Alpilles (2) ? Mézigue ! (Il se tape sur la poitrine et on voit briller une étoile sous sa veste) Ça ? C’est ma breloque de chevalier de la légion d’honneur. J’aime bien la porter sous la veste, faut rester discret. Ça fait shérif. Et avec moi, ça va fissa. « Etranger, tu n’es pas le bienvenu, fais demi-tour ou tu repartiras les pieds devant. »

Regardez les sans-papiers : avocat (3) ou pas, avec enfants ou sans, aller simple pour la rive d’en face. Par exemple, en août, des sans-papiers sont encore venus s’incruster dans un bidonville en plein champ, du côté de Berre (4). Le gourbi, ça s’appelle. Hop, rafle et quatorze ara…, pardon !, étrangers en situation irrégulière, direct à la rétention. Y’a pas de raison, on a assez d’étrangers régularisés pour ramasser nos abricots… Je n’ai peut-être pas atteint les objectifs de Brice Hortefeux en 2007, 96 % seulement, mais je prenais la suite d’un mou. Et 2008, c’est mon année. (Il s’interrompt). Je vous préviens, pas de question sur Christian Frémont, il vient d’être nommé au cabinet de Sarkozy, ce lèche-bottes, mais je l’aurai au tournant.

Donc, je disais ? Oui… Les chiffres, je les tiendrai, cette année. Pas de souci, ça va rafler. Faut dire que j’ai été à bonne école. Je vous passe les détails sur mes études, l’Ena, les échelons de la préfectorale gravis un à un et tout le bastringue. Mon école de la vie, je l’ai faite dans les Hauts-de-Seine. Voilà, tu commences à soupeser le pedigree du bonhomme. J’ai commencé à y fréquenter Charlie quand j’étais chef de cabinet de son prédécesseur, Paul Graziani. Pasqua n’était pas encore au sommet mais il avait déjà toutes les ficelles. Alors, tout naturellement quand il est retourné à l’Intérieur, je l’ai suivi jusqu’à son cabinet. C’est vraiment à ses côtés que j’ai appris à dégainer. Et puis après, j’ai continué sous Chevènement, un faux dur, celui-là.

Mais attention, j’ai un coeur sous l’étoile. Qui était au pied de l’avion pour accueillir les pauvres Français chassés de Côte d’Ivoire en 2004 ? (Il se tape la poitrine et ça fait un bruit métallique.) Encore Mézigue ! Michel Barnier m’a donné une médaille pour me remercier. Il connaît mon humanité.

Alors un préfet couillu, ça ne se fait pas que des amis. Gaudin, je l’énerve, par exemple. Tout ça parce que j’ai dit que je préférais que la Ligne à grande vitesse (LGV) passe au milieu des vignes plutôt que par Marseille et Toulon. Parfois, ils sont naïfs, les politiques… Ils croient vraiment que la LGV va se faire ? Y’a plus un sou dans les caisses, frangin ! Laisse tomber l’espoir. C’est comme ça, les élus, il suffit d’une petite signature pour qu’ils dansent. Ca ne me dérange pas, j’ai le paraphe rapide. On m’appelle Lucky Luke. Vous voulez un musée à la sortie du Vieux Port de Marseille ? Une villa de la Méditerranée juste à côté ? Une galerie marchande en forme de terrasses du port ? Je signe les permis de construire. Ça coûte rien et en attendant qu’ils s’aperçoivent qu’il n’y a même pas un sou pour payer la première pierre, je serai reparti pour un tourniquet de préfectorale. Et puis, il ne peut rien me reprocher Gaudin, son incinérateur, je suis pour à 200 %.

Ce n’est quand même pas ma faute s’il s’est fait voler la Communauté urbaine. D’ailleurs, je suis tout de suite intervenu à la télé (5) pour réclamer une loi pour dissoudre les assemblées communautaires en situation d’impasse politique. Si c’est pas un coup de main, ça, je sais pas ce qu’il vous faut. J’ai quand même hâte de repartir. Parce que Ploucland, ça va bien, mais je suis un Parigot et, pour finir une carrière en beauté, y’a rien de mieux que la capitale. Je fais des pieds et des mains pour contenter Sarko. Je n’hésite même pas à convoquer les fonctionnaires devant LCI pour qu’ils entendent le discours du chef de l’Etat (6).

En plus, j’ai déjà raté la flambée des banlieues, faut que je rattrape. J’étais bien en place à la préfecture de Seine-Saint-Denis et patatras, en 2004, ils m’ont nommé dans la Picardie, ces cons-là. Je n’ai même pas pu aller friter la racaille…, oups, pardon, orienter la jeunesse en perte de repères. Faudrait pas non plus que j’oublie que je fais partie du Haut conseil à l’intégration. Je vous l’avais dit que j’avais du coeur. D’ailleurs, à trop parler, j’ai le palpitant qui s’agite. Je m’en vais signer deux-trois arrêtés d’expulsion, ça va me calmer les sangs. Il se lève et s’éloigne avec un cliquetis métallique. La chargée de com’ de la préfecture à voix basse : « Depuis qu’il a chassé les taureaux en Camargue cet été, on n’arrive pas à lui faire enlever les éperons… »

Gilles Bribot

Imprimer