Ceux qui bétonnent Paca

octobre 2008
Les Bouygues, Nexity-Georges V, Kaufman & Broad, Constructa, Eiffage, Vinci et compagnie sont omniprésents dans la région. Des groupes qui communiquent beaucoup mais informent peu sur leur réel poids économique et politique. Des promoteurs perturbés par la crise de l'immobilier mais qui ont les épaules solides... comme du béton armé.

Les promoteurs ont du vague à l’âme, pourtant trempée dans le béton armé. La crise importée des Etats-Unis se propage en France et, bien entendu, dans notre région. Le ministère de l’écologie et de l’aménagement du territoire chiffre à 34 % sur un an, la chute des ventes de logements neufs. Ce qui n’est pas sans conséquence. Le groupe Piera, l’inventeur du concept « l’immobilier pertinent » (sic) dont le siège social est basé à Gap, traverse ainsi des turbulences. C’est ce constructeur qui commercialise en ce moment 23 appartements dans le quartier Bompard à Marseille, ou les 50 logements et les 10 villas du Clos Arusio à Orange. En 2007, dans la moitié Sud de la France, il n’a vendu que 568 appartements, près de 300 de moins qu’en 2006. Résultat : il « dégraisse » son effectif de plus de 60 % et ne va conserver que 4 de ses 10 agences. Finira-t-il comme le promoteur breton Céleos placé en liquidation ?

Même un géant du secteur comme Kaufman & Broad a des ailes en béton. Bravache, le groupe s’est payé en septembre une gigantesque campagne de communication sur le thème « Devenir propriétaire a un prix. Avec Kaufman & Broad, c’est le prix le plus juste ». Mais le promoteur a décidé de renoncer à finaliser un programme sur trois. Pour être rentable; la construction repose sur la commercialisation rapide des biens : en moyenne, 40 % des logements sont vendus avant même d’être construits. Or les clients, déjà dissuadés par des prix extrêmement élevés après des années de progression permanente, désormais soumis à un coût de l’emprunt à la hausse, attendent d’y voir plus clair avant de se décider, espérant réaliser plus tard des affaires. Kaufman & Board va donc appliquer le « prix le plus juste » à environ 150 de ses salariés en France qui seront licenciés. Avec une baisse de son chiffre d’affaires de plus de 71 % au cours de la première moitié de l’exercice 2008, le promoteur annonce également qu’il va abandonner certains programmes immobiliers.

Que tous ceux qui n’imaginent pas leur ville autrement qu’hérissée de grues sur des chantiers estampillés Nexity-Georges V, Constructa, Bouygues, Eiffage, Vinci et compagnie, se rassurent ! Ce n’est pas encore demain que ces empereurs de la bétonneuse vont renoncer à raser vieilles bicoques et entrepôts rouillés pour y ériger la résidence flambante neuve de vos rêves, avec parking au sous-sol, interphone, et accès sécurisés. S’ils perdent des plumes, leur gigantesque stock de goudron leur permet de voir l’avenir… en gris, leur couleur préférée. En 2007, les bénéfices de Vinci ont augmenté de 14,4 %, ceux de Bouygues ont progressé de 12 % et ceux d’Eiffage de 17 %. Tous ont investi dans des secteurs très variés : médias, autoroutes, parkings, aéroports, énergie. L’importance de leur présence dans de multiples domaines en Paca est proportionnelle à leur réticence à répondre à nos questions sur leur implantation, la conjoncture ou leur stratégie. Leur communication est aussi transparente qu’un bloc de béton par une nuit sans lune.

Il y a matière, pourtant, à interroger les grands groupes qui bétonnent la région et à s’interroger sur leur poids économique et politique. Un poids qui ne fait guère de doute. Le secteur du bâtiment et des travaux public pèse, selon la fédération française du BTP, plus de 6 milliards d’euros en Paca soit 7,4 % du PIB régional. L’industrie du bâtiment, avec ses ramifications, représente 36 % de l’emploi industriel, regroupe plus de 32 400 entreprises et de 82 000 salariés. Sur une année, avant que le secteur n’entre en turbulence, le logement neuf générait à lui seul un chiffre d’affaires de 1,7 milliards d’euros. Beaucoup d’intérêts réunis, donc, pour que l’on ne range pas la pelle et la truelle dans la remise. Nouveau sénateur des Alpes-Maritimes, René Vestri, le maire UMP, de Saint-Jean-Cap-Ferrat, entré en dissidence, s’est fixé un bel objectif : « Il faut amender la loi littoral. Nous sommes tous d’accord sur la préservation de l’environnement, mais en tenant compte de l’emploi et sans délocaliser à tout prix » (Nice matin, 25 septembre) Tous nos élus n’ont pas sa faconde et sa franchise mais beaucoup pensent comme lui. Quand le bâtiment va, tout va ! Un dernier chiffre : selon une étude de la Direction régionale de l’agriculture et des forêts, les dernières terres agricoles pourraient avoir totalement disparu dans 15 ans dans les Alpes-Maritimes, les Bouches-du-Rhône et le Var. Quoi qu’il arrive, les promoteurs seront toujours là.

Michel Gairaud

AU SOMMAIRE

– Poids lourds : Un top five en béton armé – Résidences d’exceptions : Le luxe n’est plus ce qu’il était -Agriculture : Terres fertiles ou spéculatives ?

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