La Seyne en quête d’avenir

avril 2009
Tribune Par Andrée Bensoussan et Yolande Le Gallo

Que faire des anciens chantiers navals ? Selon ses détracteurs, Arthur Paecht, l’ancien maire UMP, avait choisi de faire « table rase du passé ». Yolande Le Gallo et Andrée Bensoussan, présidente et vice-présidente de l’association « histoire et patrimoine seynois », plaident pour un lieu de mémoire dans le dernier édifice encore debout.

En 1989, les chantiers navals industriels de La Seyne fermaient définitivement leurs portes après plus de 150 ans d’activité. Dans les périodes les plus prospères des deux dernières décennies, ils faisaient vivre 6 à 7 mille personnes auxquelles s’ajoutaient les employés et les ouvriers des entreprises sous-traitantes. D’une façon secondaire, La Seyne vivait aussi de l’usine des câbles sous-marins et d’une activité balnéaire familiale et populaire qu’elle doit à l’étendue de son littoral et à la plage de sable fin des Sablettes.

Les chantiers navals procuraient la sécurité professionnelle à leurs salariés avant les premiers licenciements massifs de 1984, apportaient un encadrement social, une vie culturelle, leur donnaient le sentiment d’avoir prise sur leur vie et leur avenir grâce au puissant syndicalisme de l’entreprise. La ville vivait au rythme de la sirène qui scandait la journée de travail, au rythme des bruits métalliques, au rythme des lancements et de leurs fêtes, des grèves et des manifestations. Les femmes se rencontraient sur le marché, le « cours », bruyant et fourmillant de monde, les enfants profitaient des jouets de l’arbre de Noël, des colonies de vacances. La population pouvait compter sur les élus municipaux, des représentants issus de leur milieu social, qui ont développé services médicaux, services sociaux, grandes fêtes populaires, activités culturelles, etc.

Après la dure lutte syndicale et politique pour s’opposer à la fermeture – pouvait-on imaginer que les chantiers ferment ? – c’est le silence, l’échec, la perte des repères, l’inutilité, la déprime, le départ, le divorce, le suicide, la maladie, une nouvelle vie, un nouveau départ, une ville sinistrée. Trois ans plus tard, la plupart des bâtiments du site industriel sont détruits pour les remplacer par un projet presque futuriste, « Marépolis ». La population y croit, ça ne marche pas. Pendant quinze ans, les habitants attendent une renaissance de ce site industriel qui revivra sous la forme d’un parc de pelouses et de palmiers, mal adapté à la région, sans lien avec la navale dont il n’a que le nom et qui a besoin d’être investi par la population.

« Une ville ne peut se reconstruire sans être réconciliée avec sa mémoire »

C’est dans ce contexte qu’en 2000, naît l’association pour l’histoire et le patrimoine seynois. Elle propose alors de continuer à fabriquer l’histoire de La Seyne, à valoriser son histoire industrielle, à collecter la mémoire de ceux qui ont vécu les jours fastes de la ville, à valoriser le patrimoine de la commune. Personne alors n’imaginait que nous aurions bientôt à nous opposer au maire Arthur Paecht, homme cultivé, pourtant féru d’histoire et d’archives. Ne pouvait-on pas le croire sensible à l’histoire de La Seyne et à sa souffrance ? Non, il fallait « tourner la page », il fallait « faire table rase du passé », il fallait éradiquer cette histoire ouvrière, cette histoire « misérable ». Ainsi mis à part le pont basculant et la porte des chantiers, les derniers vestiges ont été détruits : la « rotonde », la cantine (de l’architecte Alfred Henry) et la « clinique », bastide du XIXe siècle.

A la municipalité actuelle de la ville de La Seyne, se pose toujours la question : comment tourner la page encore douloureuse des chantiers navals, comment intégrer cette histoire à son avenir ?

L’atelier mécanique est resté en place, mais il est vrai qu’il est en grande patrie sur le domaine maritime non constructible. Arnaud Liévin, jeune journaliste (petit fils de Raymond Dimo représentant cégétiste charismatique aujourd’hui disparu), écrit à propos de l’aménagement d’un lieu de mémoire dans l’atelier mécanique, en discussion : « Une ville ne peut se reconstruire sans être réconciliée avec sa mémoire. Et l’atelier mécanique peut – et doit – réincarner le renouveau, la réinvention de la cité. Il est ce lieu unique qui peut être le passeur entre une mémoire à valoriser et un présent à construire ».

Espérons que l’atelier mécanique sera ce lieu de mémoire et de culture vivant – avec centre d’interprétation et centre d’archives – de l’histoire des chantiers où toutes les générations, toutes les populations pourront se retrouver.

Imprimer