Les métamorphoses d’un village

juin 2009
Calme, tranquillité, des hameaux dispersés en pleine nature, Saint-Antonin du Var attire pour son cadre campagnard dans le Haut Var. Mais depuis l'arrivée des « nouveaux », le mode de vie paysan n'est plus qu'un souvenir dans la bouche des anciens. Reportage.

« Saint Antonin, ce n’est plus Saint Antonin ». Raoul, 86 ans est un des derniers survivants du « vrai » village, celui où « tout le monde était pauvre et s’entraidait ». « Ici, les portails, y’en avait pas », proteste-t-il. Aujourd’hui, quand on se ballade, le contraste du paysage architectural est saisissant. On passe d’une maison en vieille pierre à la villa « clôture – parpaing – crépi – piscine » le tout entrecoupé de vignobles. Depuis 20 ans, la population a grimpé de 400 à 600 habitants dans le village situé à moins de trente minutes de Draguignan. Beaucoup de Belges, d’Hollandais et de retraités ont été attiré par la nature et le calme. Mais pas seulement. De plus en plus de maisons principales viennent peupler le village et remplir l’école de 60 élèves. Une mini explosion démographique que les sources d’eau qui alimentent le village ont du mal à assumer. « Il y a des permis de construire bloqués à cause de l’eau », affirme Bernard Héraud, délégué à la voirie et à l’eau.

A l’époque de Raoul, « Saint Antonin, c’était le moyen âge ». Pas d’électricité, ni de route. Tout le monde allait chercher l’eau à la source en haut du village. Les habitants se partageaient la ressource pour arroser leurs jardins. « On ne trouvait aucun légume à l’épicerie, pas la peine ». De nombreuses fontaines coulaient, l’or bleu faisait la richesse de ce village de paysans. Mais après la guerre « tout a changé, il n’y a plus eu d’entraide ». « Un jour, j’ai vu quelqu’un laisser coulé son tuyau au pied d’un pin, alors je l’ai engueulé. Il m’a répondu : moi je paye l’eau, j’en fais ce que j’en veux. Je crois bien que c’était un parisien. » Un changement de mentalité dur à avaler pour Raoul. Surtout avec la multiplication des piscines depuis 2000 où il s’en construit une dizaine par an. De partagée, l’eau est privatisée entre les clôtures des villas. Une logique qui a des limites, celle des réserves en eau. S’il veut s’agrandir, le village va devoir faire venir le précieux liquide d’ailleurs.

« Un jour, j’ai vu quelqu’un laisser couler son tuyau au pied d’un pin, alors je l’ai engueulé. Un parisien ! »

Ces nouvelles habitudes ont été importés par « les nouveaux » avec leur vision de la campagne. « C’est venu progressivement depuis 20 ans, souligne Frank Héraud, premier adjoint à l’urbanisme. Les terrains été moins cher qu’ailleurs. Les gens cherchaient à bâtir dans un coin tranquille. » Durant les dernières années, les permis de construire ont été accordés de manière presque anarchique. Résultat, les habitations ont continué à s’éparpiller. Encore récemment, les bulldozers se sont tracés un chemin en pleine forêt pour laisser la place aux parpaings. Mais c’est promis ! Dans le prochain Plan local d’urbanisme, le maire, Serge Baldecchi (UMP) veut créer un « centre village » et n’accorder des permis que proches d’habitations existantes.

Des centaines de vignerons d’antan, il ne reste plus que les grands domaines. Qu’importe ! Kevin, Antonais de 22 ans, voit autrement que Raoul les changements du village : « Je m’en bats les couilles ! C’est grâce aux nouveaux qu’on travaille : artisans, peintres, maçons, commerçants. Ils remplissent le seul restaurant de mai à novembre. » Mieux encore ! Saint-Antonin du Var attire les jeunes des petites villes environnantes. La nuit tombée, un petit groupe d’une vingtaine d’entre eux se retrouve pour parler et jouer du tam-tam sans gêner personne. Dans une ambiance paisible. Sans policier !

De paysan, le village est devenu terrain à bâtir pour maisons individuelles dans un décor naturel préservé. Les « nouveaux » ont importé avec eux leur idéal campagnard. Mais rien n’y fait. Raoul reste abasourdi par les transformations qui ont changé son village : « Quand j’y pense je me dis « c’est pas vrai ». Et pourtant c’est vrai ! »

Eric Besatti

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