Chercheur précaire

octobre 2009
En sciences humaines, les chercheurs non titulaires peuvent galérer pendant des années : flexibles, jetables, sous payés, soumis à la violence de rapports hiérarchiques inégalitaires…

C’est une histoire presque banale. Celle d’une « post-doc », ayant en poche une thèse mais non titulaire d’un poste de recherche. Isabelle (1) a 37 ans, un enfant. Cinq ans se sont écoulés depuis la soutenance réussie de sa thèse en sciences humaines qu’elle a mis cinq autres années à préparer. « Les places sont rares, les candidats nombreux, formés et motivés. La gestion de cette pénurie entraîne pendant des années une dépendance des doctorants (Ndlr étudiants qui préparent une thèse) et post-doctorants à un système de mandarinat. »

Dès le départ, la compétition est rude pour financer ses études : sur les 15 étudiants de sa fac en région parisienne, tous titulaires d’une mention très bien en maîtrise (Bac + 3), seules deux bourses d’allocataires sont disponibles. C’est la voie royale qui permet d’intégrer un laboratoire et de percevoir un salaire de moniteur en assurant des cours. Isabelle est classée 2ème ex-aequo sur liste d’attente. Promis ! Une 3ème bourse va être attribuée en septembre. Mais le moment venu, un étudiant « pré-historien » l’empoche. « Un conflit classique entre disciplines. En plus, mon directeur de recherche n’était pas là le jour où se tenait le jury. Pour réussir, il faut être le poulain de quelqu’un. »

« Un système de négriers qui repose sur des  » post-docs  » non rémunérés »

Isabelle rebondit en obtenant une bourse prestigieuse, celle de la Chancellerie des universités. Elle peut partir ainsi en Asie, durant deux ans, pour faire les observations de terrain indispensables à sa thèse. « En sciences sociales, c’est très long d’écrire. On entre dans une période de solitude et de grande fragilité. Les rapports avec le directeur de recherche peuvent être redoutables. » Le sien est d’abord « en pleine ascension ». Mais il suit trop d’étudiants à la fois et finit aussi par se « griller » avec beaucoup de condisciples. Sa thèse en poche, en 2004, Isabelle démarre un long parcours à l’issue encore incertaine. Elle séjourne aux USA pour un séminaire, enchaîne les vacations « payées au lance-pierre six mois plus tard », multiplie les publications. « Une étape indispensable pour prétendre à un poste. C’est aussi un système de négriers : la recherche française repose en partie sur les travaux de doctorants et post-docs non rémunérés. »

Notre « post-doc » a l’outrecuidance de faire un enfant. « Cela m’a ralenti. La fac reproduit les mêmes divisions des tâches que dans la société. Les femmes y rendent tout un tas de services de secrétariat… » En 2007, une éclaircie : Isabelle accepte un poste d’Ater (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) dans les Bouches-du-Rhône. Le jackpot : 1650 euros nets mensuels. Et tant pis si elle doit faire de nombreux aller-retours, à ses frais, entre Paris et Marseille. Il s’agit d’un CDD d’un an, renouvelable une fois. La chance tourne-t-elle ? Un poste de maître de conférence va bientôt se créer dans le labo de recherche auquel elle est affiliée. « Son directeur m’encourage vivement à rempiler pour un deuxième CDD, à m’installer à Marseille et à postuler. «  Je te soutiens  » De fait, le poste est « profilé » pour mes compétences. »

En 2008, Isabelle emménage donc à Marseille, redouble ses efforts dans le labo qu’elle espère intégrer. Comme annoncé, le poste est créé. Mais cette fois encore, il lui échappe. « Un candidat presque quinquagénaire, proche d’un labo parisien en vue, a été choisi. Mon directeur a retourné sa veste. Il a mis en avant le dossier scientifique. Ce qui prime, in fine, ce sont les enjeux de pouvoir. » L’avenir ? Isabelle veut trouver des revenus fixes hors de la fac pour continuer ses recherches. « Tous m’encouragent à continuer. Mais si je ne retombe pas sur mes pattes, si je lâche, je sais qu’on dira  » elle n’était pas faite pour ça « … »

Michel Gairaud

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