Bonneteau sur les parkings à Menton

novembre 2004
L'affaire de l'îlot Saint-Roch, à Menton, (lire Le Ravi N° 5 et 10) pourrait prochainement connaître une nouvelle direction.

En charge de l’instruction de l’affaire de l’îlot Saint-Roch, le juge Philippe Dorcet a en été alerté sur des faits ayant trait à ce dossier mais jusqu’ici restés dans l’ombre. Des faits pourtant, selon un courrier reçu par le juge, qui pourraient « recevoir une qualification criminelle ». Il s’agit d’un engagement pris par le promoteur au moment de la délivrance du permis de construire, et qui n’aurait pas été rempli. Lors de la signature de ce permis de construire, en janvier 1992, Philippe Rosset, gérant de la Cogim, s’était engagé « à remettre à la ville de Menton un parking public de 293 places à construire en sous-sol dont le coût est évalué à 28 millions de francs ». Malgré l’importance du projet immobilier, la municipalité s’était alors contentée de ces deux feuilles volantes ne comportant aucune description plus détaillée. Bien plus, sur la foi de cet engagement succinct et ambigu, elle signera quelques mois plus tard un plan d’aménagement d’ensemble (PAE) permettant au promoteur d’échapper à la taxe locale d’équipement. Ambigu, car à Menton, le sens du verbe « remettre » évolue rapidement. La délibération du 2 avril 1992 qui instaure le PAE mentionne bien que le promoteur devra prendre à sa charge un certain nombre d’équipements publics, dont un « parking public municipal de 293 places ». Et l’article de Nice Matin intitulé, ça ne s’invente pas, « La transparence sur l’îlot Saint-Roch », et par lequel la municipalité rend compte de cette délibération, parle, quant à lui, de « la rétrocession de 293 places de parking public à la collectivité ».

Glissement progressif du sens

Mais on avait mal compris. Les deux parkings achevés, de 90 places dans l’îlot est et de 200 places dans l’îlot ouest, le conseil municipal adopte en effet, le 18 décembre 1996, une délibération dans laquelle on découvre que, lors de la signature du permis de construire, M. Rosset s’était juste engagé « à faire bénéficier la Ville d’un parc de stationnement public ». Par cette même délibération, votée à l’unanimité moins deux abstentions, le conseil municipal est informé que le promoteur « accepte d’exploiter pour son propre compte ces deux parkings ». Quelques naïfs pourraient se demander pourquoi il n’y a pas eu d’appel d’offre pour l’exploitation de ce « parking public municipal », aucune délégation de service public signée en bonne et due forme avec le concessionnaire ni aucune redevance versée par ce dernier à la commune. Parce que la messe est déjà dite. La délibération en effet prévoit que la convention liant la Ville et le promoteur pour l’exploitation de ces parkings pourra être résiliée au bout de douze ans. « Dans ce cas, est-il précisé, la ville aura la possibilité de se porter acquéreur » des dits parkings. Et la convention proprement dite, signée quelques jours plus tard, est plus explicite encore, puisqu’elle prévoit qu’« au terme de la durée de la présente convention [vingt ans] ou à compter de la date de sa résiliation, la SNC retrouvera ses facultés d’exploiter librement le parking ».

Où l’on découvre quelques perles

Ne reste plus pour le promoteur qu’à se débarrasser de ces deux parkings dont il n’a que faire, tout en se donnant l’apparence de la générosité. Ce sera l’objet de la délibération du 8 juillet 1998 qui autorise le promoteur à vendre les 90 places de l’îlot est, en contrepartie de quoi il accepte de payer à la Ville l’indemnité prévue dans le cas où ce parking devait ne plus être public, soit 5,4 millions de francs (1). Mais plutôt que de verser cette somme à la ville, la Cogim propose de lui remettre les 200 places de l’îlot ouest.

Il ne reste plus alors qu’à passer devant le notaire qui officialisera l’échange le 14 juin 1999. L’acte notarié est épais et aussi passionnant qu’un code civil ; on y découvre néanmoins quelques perles. Par exemple, ce rappel de l’engagement pris par le promoteur « de construire et livrer à Commune de Menton (sic) un parking public de 293 places, un tunnel routier sous la rue St Roch » et divers aménagements de surfaces. Le parking sera bien construit, mais peut-on vraiment dire qu’il a été « livré à la commune » ? Quant au tunnel, qui justifie pourtant de n’accorder qu’un seul permis de construire pour deux parcelles distinctes, il ne verra jamais le jour. Last but not least, la Ville remboursera au vendeur le montant de la TVA, soit 1 112 400 francs.

L’auteur du courrier adressé à M. Dorcet, agissant au nom de l’association Menton-héritage, incrimine sans ambiguïté M. Guibal, maire de la commune. Il demande au juge de communiquer ces éléments au procureur pour qu’il délivre un réquisitoire supplétif ou ordonne l’ouverture d’une information judiciaire distincte de celle déjà en cours d’instruction, pour « faux commis par un dépositaire de l’autorité publique ».

Gilles Mortreux

(1) La convention du 3 janvier 1997 prévoit qu’ « en cas de non-respect du caractère public de l’utilisation de ce parking », la ville pourrait exiger du promoteur une indemnité forfaitaire de 60 000 francs par place non exploitée en stationnement public.

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