Violence je te quitte...

novembre 2020 | PAR Samantha Rouchard
Pendant une semaine, les jeunes de la Maison pour tous Saint-Lambert - Bompard, dans le 7ème arrondissement de Marseille, ont suivi un atelier sur les violences sexistes. Malgré leur jeune âge, la plupart des adolescentes y sont souvent confrontées.

Sur le mur, le dessin d’un iceberg. Il représente les violences sexistes. Dans la partie émergée, celles qui se voient : le meurtre, le viol, les insultes, les agressions physiques… Dans la partie immergée les violences invisibles : l’humiliation, le chantage émotionnel, l’humour sexiste, la dévalorisation, le machisme ordinaire… « Dans l’image que l’on a de la violence conjugale par exemple, on peut avoir celle d’un vieux couple, mais dans les chiffres, on retrouve beaucoup de violences dans les jeunes couples », introduit Doriane Souilhol, l’une des intervenantes du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) des Bouches-du-Rhône.

Face à elles, une quinzaine de jeunes de 14 à 18 ans, principalement des filles, de la Maison pour tous du quartier Endoume – Bompard que gère la Ligue de l’enseignement, dans le 7ème arrondissement de Marseille. « Les violences souvent c’est un tabou, on doit en parler pour que ça arrête d’en être un », souligne Fiona, 17 ans. « Ben si le gars te frappe, tu l’frappes à ton tour ! », propose son petit ami, Ryan, assis à sa droite, un des rares garçons de l’assemblée. « Tu dis ça parce que t’es un gars, pour une fille ce n’est pas si facile. On ne sait jamais comment on est capable de réagir à la violence. Certaines femmes se font battre toute leur vie… », rétorque Fiona. « Et parfois, on peut ne pas s’apercevoir que l’on subit des violences », recadre Marielle Vallon, intervenante et directrice du CIDFF.

Un thème choisi par les jeunes

Ces ados auraient pu préférer passer cette semaine de mi-juillet à la plage avec les copains. Au lieu de ça, ils ont décidé de participer à des ateliers sur les violences sexistes. Et comme cinq autres groupes de jeunes en région Paca, ils ont été choisis pour créer, à partir de leurs expériences, des scénarios pour la campagne nationale de prévention du CIDFF, #ViolenceJeTeQuitte. Des récits qui seront ensuite transformés en BD par la dessinatrice, désormais marseillaise, Lili Sohn (la Guerre des tétons, Vagin tonic), dont le travail interroge entre autres le droit des femmes à disposer de leurs corps.

« C’est réellement une volonté de la part des jeunes de s’informer sur le sujet, précise Andy Lamat, animateur et responsable du secteur jeunes de la MPT. Ça me réjouit car ces ateliers vont aussi me permettre de mieux comprendre leur désarroi. Jusqu’ici j’avoue que je me sentais un peu démuni dans l’aide que je pouvais leur apporter. » Situé entre le Vieux-Port et la Corniche, le 7ème arrondissement de Marseille n’est pas un quartier prioritaire de la politique de la ville mais il concentre quelques poches de pauvreté. « Les jeunes dont on s’occupe sont principalement issus de familles monoparentales, les mamans cumulent souvent deux emplois et sont rarement à la maison, il y a des jours aussi où certains ne mangent pas à leur faim », indique l’animateur.

« Les gars forceurs »

Parmi ces jeunes, l’une a déjà été victime de cyberharcèlement, d’autres ont grandi au milieu des violences conjugales. Et malgré leur jeune âge, comme plus de 80 % des femmes, toutes les filles présentes ont déjà des tas de mésaventures de harcèlement de rue à raconter, et ce, dès le début de la puberté. « Qu’on soit en jogging ou en jupe courte, c’est la même chose, on nous fait quand même des remarques », explique Carla, 17 ans. « Je pense qu’il y a des limites à ce qu’on peut porter dans la rue, pour pas provoquer », dit timidement une autre. «Tu provoques pas. C’est juste le mec qui n’a pas le bon regard sur toi », intervient Lina du haut de ses 15 ans, déjà bien au fait des questions féministes.

Certaines ont développé leur propres techniques pour se débarrasser de ce qu’elles appellent « les gars forceurs ». Tchandeni, petite brune de 17 ans, a choisi l’humour : « Je me moque d’eux, de leur physique, pour qu’ils aient honte. » Mais dans ce type de situation, la sidération prend souvent le dessus. « Je ne suis pas du genre à embêter les filles dans la rue, mais je vois les regards insistants des hommes sur ma sœur », précise  Anthony, l’un des rares garçons à avoir assisté aux ateliers. « Nous les garçons, on ne nous éduque pas sur ces questions-là et c’est bien dommage », poursuit-il.

« Cette génération, comparée à celles d’avant, accepte moins les remarques sexistes et n’a pas le même rapport à l’image. Je les trouve assez fortes et pleines de stratégies, ça donne espoir », se félicite Marielle Vallon qui indique que dans certains quartiers, il est plus compliqué pour les filles de s’affirmer aussi librement. Elle souligne aussi que des zones plus floues comme le chantage sexuel au sein du couple restent encore à travailler. Et de conclure : « Avec ce projet, ce qu’on veut montrer aux jeunes, c’est que les violences sexuelles ne viennent pas de nulle part, c’est une construction. »

Fiche technique

Thématique : Violences sexistes.

Intervenant : Doriane Souilhol et Marielle Vallon du Centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) des Bouches-du-Rhône et Lili Sohn, dessinatrice de BD.

Nombre de jeunes :  15.

Durée : 4 jours.

Lieu : Maison pour Tous Saint-Lambert – Bompard (7ème).

 

 

"Une graine que l'on plante"

Trois questions à Andy Lamat, animateur et responsable du secteur jeunes de la maison pour tous Saint-Lambert-Bompard

Comment s’est fait le choix de ces ateliers sur les violences sexistes ?

Au sein de la Maison pour tous, on mène des activités au long cours sur le harcèlement scolaire en collaboration avec les collèges et lycées environnants. Et pendant le confinement on a continué  à suivre en visio les jeunes que l’on encadre pour savoir comment ils vivaient cette période Covid. De notre travail en amont et de cette quarantaine est née l’idée de travailler plus largement sur les violences, et spécialement les violences sexistes que nos jeunes peuvent subir au quotidien. Le projet du Centre d’information sur le droit des femmes et des familles (CIDFF) de réaliser une BD avec des histoires écrites par les ados collait bien à nos envies. Les jeunes étaient aussi en demande. Ce qui est bien avec la Ligue de l’enseignement c’est qu’on nous laisse carte blanche pour choisir nos projets, à condition de rester dans les valeurs qu’elle défend. Je fais en sorte de mener des projets qui me touchent aussi, ça permet de s’y mettre à fond.

De quelle manière vous servez-vous de ces ateliers dans votre pratique quotidienne auprès des jeunes ? 

Dans le club jeunesse Bompard, il y a beaucoup de jeunes majeurs qui sont en couple pour certains. Avec les années, j’ai réussi à créer une relation de confiance avec eux, ils me racontent leurs vies, on parle beaucoup, le lien est là. Je me suis dit que ces ateliers pouvaient leur servir pour se protéger dans leur relation à l’autre. Et ça me permet d’avoir des billes pour répondre à leurs questions. Ce groupe est en plus majoritairement composée de filles, c’est une première pour moi et parfois en tant que responsable homme c’est difficile d’avoir les bonnes solutions. Ça me fait grandir aussi quelque part. Et c’est très intéressant car ça permet de se diriger vers des projets autres et d’aborder de nouvelles thématiques auxquelles on n’aurait pas pensé.

Qu’est-ce que tous les projets menés avec la Ligue apportent aux jeunes ? 

Tous les projets que l’on mène c’est une graine que l’on plante. Parfois elle peut mettre dix ans à éclore mais en attendant elle fait son chemin. On a envie que ces jeunes puissent nous dire plus tard quand ils fonderont une famille ou trouveront un emploi ou un premier logement : « Grâce à vos projets, j’ai pu m’orienter autrement, faire des choix, prendre des décisions. » On est là pour leur donner des clefs.