Des pailles pour ouvrir l’œil

novembre 2020 | PAR Yasmine Sellami
Les pailles en plastique posent problème pour l'environnement. C'est justement l'outil choisi par Matthieu Herreman, artiste plasticien marseillais, afin de sensibiliser au développement durable les jeunes du centre social de l'Huveaune et celui de Saint-Joseph.

Il est neuf heures quand Matthieu Herreman arrive au centre social de l’Huveaune (Marseille 11ème). En cette matinée bien calme et ensoleillée du mois de juillet, l’artiste plasticien, en T-shirt, bermuda et lunettes de soleil sur la tête, vient animer un atelier de sensibilisation au développement durable. À peine arrivé, le quadragénaire sort son appareil photo qu’il fixe sur un pied. Il le règle de façon à ce qu’une photo soit prise toutes les six minutes. Face à lui, dans la cour, seuls huit adolescents sont présents. « Ils sont censés être plus nombreux mais ils ont du mal à sortir du rythme du confinement et à se lever tôt », explique Fayçal, 35 ans, animateur à l’Huveaune.

Art éphémère

Une fois les présentations faites, Matthieu Herreman sort une dizaine de petits seaux en plastique noirs et bleus. À l’intérieur, certains contiennent des pailles en plastique, d’autres des cure-dents. « Le développement durable, ça vous fait penser à quoi ? », demande Matthieu Herreman aux enfants qui forment un cercle autour de lui. « Ben c’est quelque chose qui dure ! », répond Hadjer, 13 ans, assise en tailleur sur le sol. L’artiste enchaîne avec la définition de l’art. Lorenzo, 12 ans : « L’art c’est des trucs stylés, monsieur. »

Matthieu Herreman explique que pour cet atelier, ils vont mixer art et développement durable. Pendant deux jours, ils réaliseront des sculptures à base de pailles en plastique qu’ils fixeront entre-elles à l’aide de cure-dents. « Les pailles sont normalement un objet à usage unique, mais là, on les détourne. J’aimerais qu’à la fin on déconstruise la sculpture pour réutiliser les matériaux », détaille l’artiste. Il voudrait également « montrer, à travers cette performance, qu’il y a de la beauté partout. Même dans une paille qui, à l’origine, est utilisée puis jetée. »

Les enfants du centre social Saint-Joseph participeront ensuite à la même activité. Leur œuvre finale sera associée à celle réalisée par les jeunes de l’Huveaune puis exposée, avant de défaire le tout. Une démarche qui n’enthousiasme pas tout le monde. Le regard perplexe, les deux filles et six garçons âgés entre 12 ans et 14 ans, ne semblent pas très inspirés. Mais en tant que futurs ambassadeurs de citoyenneté, ils se doivent de montrer l’exemple et se prêtent tout de même au jeu. Chacun prend un seau de pailles et un seau de cure-dents. Et dans le calme, où l’on n’entend que le chant des cigales, ils créent, chacun à son rythme.

Au rythme du confinement

« Moi j’ai fabriqué un avion ! », se réjouit Ibrahim montrant fièrement sa création. Son implication contraste avec l’indifférence de ses trois voisins. Au bout d’une vingtaine de minutes, à moitié allongés sur le sol, ils sortent leurs smartphones pour s’occuper autrement. C’est sans compter sur l’œil avisé de Fayçal, qui les somme de ranger les téléphones et de se remettre au boulot. « Ils sont mous. Ils sont restés dans le rythme du confinement et ont veillé toute la nuit », regrette l’animateur. Nora Aba, directrice du centre social, dresse le même constat : « Ce sont des jeunes qui ont joué à la playstation au lieu de dormir. C’est des addicts. On le voit, ils ont les yeux éclatés. Et puis ils nous le disent. Ils sont honnêtes. »

Les trois copains se remettent dans le bain, avant de se faufiler pour aller jouer au foot ce coup-ci, de l’autre côté de la cour. Serpents, ballon, ceinture… les autres adolescents laissent parler leur imagination à travers ces pailles et ces cure-dents. L’atelier est rythmé par les blagues de certains, ou par les petites disputes d’autres. 11 h 30, l’activité prend fin. Des pailles jonchent le sol. Les jeunes sont déjà partis jouer à la console.

Toutes les œuvres accrochées les unes contre les autres forment un demi-cercle. Lors du vernissage elles seront rattachées à l’œuvre de Saint Joseph par des cure-dents et seront exposées ensemble : une sphère mi rose-mi bleu verra le jour quelques heures seulement, le temps d’être admirée. Suite à quoi elle sera déconstruite par les adolescents et les intervenants. Et l’artiste de conclure : « Le but est de leur faire prendre conscience qu’à partir d’objets jetables, on peut créer de nouvelles choses et les recycler afin de protéger l’environnement. »

Fiche technique

Thématique : Développement durable.

Intervenant : Matthieu Herreman, artiste plasticien installé à Marseille depuis 20 ans, pour l’association Arts et développement.

Nombre de jeunes :  21.

Durée : 4 jours.

Lieu : Centre social Saint-Joseph Fontainieu (14e) et centre social de l’Huveaune (11e).

l’œil

Une œuvre, des critiques

Paroles recueillies à chaud auprès des participants et des animateurs…

Amethys : « Ça ressemble à notre planète. La forme, on dirait la Terre. Puis comme c’est par rapport à l’écologie, j’ai fait le lien. C’est notre planète qui souffre de la pollution. Il y a beaucoup de déchets dans les océans et tout… »

Nohé : « Je me suis attaché aux pailles, ça fait un peu de peine de les retirer une par une. »

Iliane : « C’est pas trop artistique ce qu’on a fait là. C’est un peu mal fait. Ce n’est pas magnifique. »

Naïla : « Ça représente une planète ? Les pailles ça pollue, donc peut-être que Matthieu Herreman veut faire passer un message ? »

Hadjer : « Ça ressemble à une boule de cheveux colorés. »

Matthieu Herreman (artiste plasticien) :

« Je suis un peu déçu par moi-même car je ne suis pas parvenu à tous les intéresser. Le sujet du développement durable est trop vaste. Pour certains gamins qui vivent en foyer notamment, ça semble assez éloigné de leur quotidien. Même lorsque je leur demande s’ils sortent les poubelles, ça me paraît déplacé comme question. J’espère tout de même que ça leur laissera au moins de petites notions, des pistes de réflexion. Certains ont très vite accroché. D’autres ont rapidement eu le réflexe écran et smartphone et c’est ce qui prend le dessus… »

Ahmed, animateur Saint-Joseph Fontainieu :

« Les jeunes ont du mal à avoir des gestes liés au développement durable. Même pendant l’atelier, quand une paille tombe, ils ne la ramassent pas si on ne leur demande pas de le faire. Ici, à Saint-Joseph, on veut faire plus attention à ça et les responsabiliser au maximum. On essaie de tous jouer le jeu, y compris l’équipe d’animation. »

Y. S.