« Ce sont les petites pierres qui font les montagnes »

octobre 2019 | PAR Samantha Rouchard
Grâce au projet J2R, et aux ateliers thématiques tout au long de l'année, ceux qui encadrent les jeunes, qu'ils soient animateurs ou directeurs de structures les voient évoluer, devenir plus matures et responsables. Le pari semble alors gagné. Paroles d'encadrants.

« On voit les jeunes s’affirmer »

« Je me sers énormément de ces ateliers tout au long de l’année. Les jeunes de Kléber sont sensibles aux thématiques abordées car on travaille sur ces questions-là même pendant les vacances scolaires. Ça nous permet de les voir s’affirmer. Parce que beaucoup d’entre eux prennent aujourd’hui la parole alors qu’au début ils n’étaient pas à l’aise. Ils arrivent à confronter leurs points de vue et à aller plus loin dans leurs réflexions. Ça me permet à moi aussi d’être à l’aise sur les sujets abordés et d’ouvrir vers d’autres problématiques. » Titus, animateur, Kléber

« Plus ils vont oser prendre la parole, moins ils auront peur »

« Au début c’est compliqué, mais en fin d’année on s’aperçoit que l’élocution, la prise de parole et la prise d’initiative sont énormes. C’est ce qu’on vient chercher. On survole parfois les sujets qu’on aborde mais quand on a vraiment besoin d’appui on fait venir des techniciens, comme sur l’égalité homme-femme. La prise de parole, ça peut paraître anodin, mais c’est ce qui manque. Rien que le fait de dire qu’on va participer à un ciné-débat, pour eux ce mot est violent. Car on sort de la cité, où on se sent bien et où on n’est qu’avec des gens qui nous ressemblent, on se retrouve là avec d’autres jeunes, qu’on ne connaît pas mais qui sont quand même comme nous. On ne va pas les amener directement dans un séminaire avec des costards-cravates, on y va doucement. Acter ses paroles et les partager en groupe, ce n’est pas évident. Un des jeunes vient de me dire qu’il était complètement bloqué pendant le débat et qu’il n’arrivait pas à parler. Tout ça passe par du lien, plus on est à l’aise plus il est facile de parler. Je ne veux pas qu’ils servent de vitrine. On s’en fout des mots et du vocabulaire. Plus ils vont oser prendre la parole, moins ils auront peur. Ça peut prendre du temps, mais je suis ravi des graines que l’on sème. » Djelloul Ouaret, La Gavotte-Peyret. Président d’Animateurs sociaux urbains sans frontières

« Ce sont les petites pierres qui font les montagnes »

« On se rend compte après tous ces ateliers qu’il y a une réelle sensibilisation à faire. A commencer par nous. On n’est pas éduqué à certains processus, notamment le développement durable. Il faut qu’on apprenne ensemble à sortir du système de consommation. Ça nous fait réfléchir sur le comportement à avoir dans telles ou telles circonstances. Et de ne pas banaliser certaines choses. Ça permet surtout de mettre en place des projets avec les jeunes, qui doivent se poursuivre dans le temps. C’est un travail de longue haleine, on ne voit pas les résultats de suite. Ça peut prendre deux, trois ans. Ce qui est intéressant c’est de travailler une notion et d’aller voir ailleurs, dans d’autres pays, comment ça fonctionne pour essayer de réaliser à notre niveau ce que l’on fait. Les chantiers internationaux, ça sert d’électrochoc aux jeunes, ils prennent conscience de leurs qualités, ils se sentent utiles. Au retour ils essaient de mettre en pratique ce qu’ils ont appris, parfois c’est compliqué car la réalité reprend vite le dessus. Mais il faut bien partir de quelque chose car ce sont les petites pierres qui font les montagnes. » Bilel Aouni, animateur, responsable du secteur jeunesse, La Solidarité

« Tant qu’on peut, on ne lâche pas »

« Ma principale préoccupation c’est de ne pas les voir traîner dans le quartier. Parce qu’au bout d’un moment ils ont un souci de vocabulaire pour s’exprimer et du coup ils ont peur de sortir de la cité, peur d’être jugés. Ce qui est positif c’est que ces jeunes sont souvent en demande. Et la nouvelle génération a envie de participer aux sorties et aux projets. Une fois, on m’a dit : « Ça fait des années que tu veux en faire des chevaux de course, mais tu vas trop loin dans leurs capacités. » Non je ne vais pas trop loin ! Je le sais, tant qu’ils répondent c’est l’essentiel. Moi j’ai grandi dans les quartiers et j’avais des animateurs qui essayaient de nous tirer vers le haut. Peut-être que je vis dans un monde de bisounours mais j’y crois. Tant qu’on peut, on ne lâche pas. » Samia, médiatrice scolaire et adulte relais, La Gavotte-Peyret

« Ils sont devenus plus matures »

« On observe beaucoup les jeunes lors de ces ateliers, ça nous permet ensuite de retravailler des points importants avec eux. Les journées de préparation sont des expériences fortes pour eux comme pour nous. Je constate qu’ils sont devenus plus matures dans leurs comportements. Lors du voyage en Tunisie, ils se sont montrés solidaires des autres jeunes, ils ont su mettre leurs avantages en commun, c’est une preuve d’intelligence. Leur façon d’être aux autres évolue avec le temps, en mieux. » Sonia, animatrice, coordinatrice jeunesse, Les Musardises

Et là-bas c'était comment ?

Au moment où nous bouclons ce supplément, un groupe de jeunes s’apprête à partir au Maroc. Berfin des Musardises et Mounir de Kléber, eux, nous racontent leur expérience de la Tunisie et de l’Allemagne.

« J’ai envie de voyager, je sais que maintenant je peux aller partout »

« Cet été on est parti à Bizerte pour un échange autour de la danse. C’était nickel ! C’était la première fois que je partais en Tunisie. Au début du séjour, on a fait des jeux pour apprendre à se connaître. Les Tunisiens parlaient bien français, et nous on connaissait quelques mots d’arabe. On a dansé, on a appris quatre chorégraphies différentes. On a aussi fait des sketches autour de la citoyenneté et du droit de vote. Pour les Tunisiens, c’est une question importante. Je m’imaginais qu’il y aurait plus de différences culturelles entre eux et nous, mais en fait non. Les Tunisiens étaient très accueillants, on était tous soudés. C’était trop bien ! J’aurais adoré rester là-bas plus longtemps. Cette expérience m’a donné envie de voyager, je sais que maintenant je peux aller partout. Et pourquoi pas créer mon propre projet. Je suis en première année de médecine, je pourrai peut-être me servir de mon métier pour voyager, dans les pays anglophones ou en Turquie, d’où je suis originaire. » Berfin, 18 ans, Les Musardises

« C’était la première fois que je sortais de la France »

« On est parti en avril, c’était la première fois que je sortais de la France. Ce qui m’a plu c’est d’échanger avec des gens qui ne parlaient pas la même langue que moi. On a fait des ateliers autour du développement durable, et les Allemands sont beaucoup plus avancés à ce niveau-là. Par exemple, dans la ville où on était il n’y avait pas de voitures en centre ville, ils utilisent beaucoup le train et le vélo, pour limiter l’impact carbone. Au niveau du recyclage des déchets, ils ont des poubelles de tri comme chez nous, mais mieux développées. Et quand ils achètent une bouteille d’eau, même en plastique, elle est consignée et ils récupèrent un peu d’argent dessus s’ils la ramènent. C’est différent là-bas, par exemple ils mangent salé au petit déjeuner et ils n’ont pas école l’après-midi, ils font du sport. Ce voyage m’a donné envie d’en faire d’autres. J’adorerais partir en Grèce, c’est beau là-bas ! Ou faire des chantiers solidaires en Afrique et au Maghreb. Je suis en seconde, je ne sais pas encore quel métier j’aimerais faire mais quelque chose dans le social ça me plairait bien. » Mounir, 15 ans, Kléber

Propos recueillis par S. R.