La Roya rêve son avenir en « vert »
« Les passages à gué qui avaient été aménagés vers le haut de la vallée et vers plusieurs hameaux ont été emportés. » On sent une pointe de lassitude dans la voix de Charles Claudo, ce 24 janvier : des pluies torrentielles se sont à nouveau abattues sur la Roya, provoquant une nouvelle crue de la rivière. Rien à voir avec la catastrophe du 2 octobre, qui avait provoqué la mort d’au moins neuf personnes (11 autres sont portées disparues) et emporté des dizaines de maisons, voitures, ponts, routes ou hectares de terrain… Mais cette nouvelle crue provoque forcément du découragement. « On a un peu le sentiment de devoir tout recommencer à zéro », souffle Charles, originaire de La Brigue, dans le haut de la Roya, et qui vit aujourd’hui à Sospel.
Mais cela ne dure qu’un temps : avec Remontons la Roya, Charles et des dizaines d’autres imaginent leur vallée dans plusieurs années, voire des décennies. D’abord née d’un groupe Facebook intitulé « La Roya d’après », l’association a été officiellement créée mi-novembre. Les échanges sont depuis très actifs sur le forum de son site internet comme sur sa page Facebook. « L’idée est de réfléchir à comment reconstruire la vallée de manière plus raisonnée, en se basant sur le principe de l’expertise citoyenne : les gens qui vivent sur ce territoire très spécifique le connaissent bien et doivent participer à la réflexion sur la suite », explique celui qui est professeur d’histoire-géo à Menton.
L’enjeu était aussi de rassembler largement. « Notre direction collégiale est formée de 25 membres qui viennent de tous les villages de la vallée et de différents bords politiques », souligne Charles. Il sait à quel point les clivages sont tenaces dans la Roya, où ceux qui ont participé aux actions d’aide aux migrants sont parfois « blacklistés », et où le mot « écologique » peut déclencher une « réaction allergique » chez certains. « Mais quand on emploie d’autres mots, on tombe souvent d’accord. Les gens d’ici sont globalement très attachés à la nature. »
S’il est un domaine où un consensus existe, c’est le train : tout le monde dans la Roya plaide pour une réelle remise en état de la ligne de chemin de fer qui va de Nice à Tende, puis redescend en Italie vers Vintimille. « Au sein du Comité de soutien des voies de communication de la Roya, ce sont plutôt des artisans et des commerçants qui militent pour le train, pas des militants écolos », souligne Charlotte Debackere, coordinatrice des chantiers de reconstruction au sein d’Emmaüs Roya. Vanté comme une « ligne de vie » après la tempête, le « train des Merveilles » est pourtant négligé par les pouvoirs publics depuis des années : il ne roule qu’à 40km/h en moyenne au lieu de 80 il y a quinze ans, et passe beaucoup moins souvent dans les gares de la Roya.
« L’idée est de se baser sur le principe de l’expertise citoyenne »
« S’il était à nouveau efficace, des entreprises l’utiliseraient pour rapporter des matériaux d’Italie, ou pour livrer des marchandises sur la côte », assure Charlotte. Mais pour retrouver une liaison ferroviaire qui ne soit pas qu’une attraction touristique, il faut évidemment y mettre le prix. « Les autorités se sont engagées pour l’instant sur 15 à 20 millions d’euros. Mais cela ne permettra que de réparer les dégâts de la tempête. Pour véritablement relancer la ligne, il en faut entre 50 et 60 », souligne Charles Claudo. Avec un collectif d’associations de la Roya, il a d’ailleurs bientôt rendez-vous à la Région, à Marseille, pour plaider la cause du train de la vallée.
Au-delà de la question des moyens de communication, c’est toute une économie qui doit être repensée. Le tourisme estival, rafting, canyoning ou randonnée, va être très limité pendant plusieurs saisons. « Le canyon de la Maglia, qui était l’un des plus beaux d’Europe, n’a plus du tout le même aspect. Il n’y a plus les piscines où l’on sautait, les rochers ont été déplacés… On ne peut plus y emmener les gens », déplore Laurent Collard, moniteur de sports d’eaux vives. Avec Emmaüs Roya, il participe à l’organisation de chantiers du week-end pour « redessiner » les ruisseaux, qui sont sortis de leur lit en octobre. « Pour la suite, tout est encore très flou, on sort à peine de l’urgence. »
Du côté de Remontons la Roya, les idées de modèles économiques alternatifs ne manquent pas. « Un ingénieur à la retraite a imaginé tout un projet autour de la production d’hydrogène, pour faire de la Roya un territoire pilote sur ce sujet », raconte Charles Claudo. « Plusieurs personnes réfléchissent aussi à la mise en place d’une piste cyclable dans toute la vallée, avec un parc de vélos électriques. Cela pourrait permettre d’attirer de nouveaux touristes », poursuit-il. Son association mise aussi sur les savoir-faire locaux, comme la fabrication de chapeaux en feutre de laine, relancée il y a quelques années par une chapelière qui a aujourd’hui plusieurs salariées… Et si les circuits courts sont déjà bien vivants dans la Roya, leur renforcement viendrait aussi soutenir les maraîchers ou éleveurs de la vallée.
Plus que les idées, ce sont aujourd’hui des espaces pour échanger sur ces « solutions vertes » qui semblent faire défaut dans la Roya. La situation sanitaire, comme des voies de communication encore très précaires, restreignent évidemment la possibilité de se rassembler. Mais les uns et les autres soulignent aussi la frilosité de certains élus locaux. « Le maire de Breil, Sébastien Olharan, est venu à l’une de nos réunions et se tient informé de nos travaux. Mais d’autres se méfient toujours des associations, souvent perçues comme étant forcément dans l’opposition », explique Charles Claudo. Au-delà de la transition écologique, une révolution démocratique sera peut-être aussi nécessaire pour reconstruire la Roya.
Nina Hubinet (Collectif Presse-Papiers)