« Les habitants sont les meilleurs connaisseurs de leur santé »

avril 2020 | PAR Mike Wright
La pollution de l’étang de Berre et la dégradation de la santé de ses habitants n’est pas une nouveauté. Mais il a fallu que les citoyens s’emparent de ces questions pour que les pouvoirs publics bougent. Le début de la solution ? Entretien avec Yolaine Ferrier, anthropologue (Centre Norbert Elias/CNRS à Marseille) et membre de l’équipe scientifique qui a mené l’étude participative santé-environnement (Fos-Epseal) à Fos-sur-Mer et Port-Saint-Louis-du-Rhône entre 2015 et 2017.

Vous avez contribué à une étude rendue publique début 2019 sur la pollution de l’environnement et la dégradation de la santé publique dans la région de Fos. Comment s’est-elle déroulée ?

Les hypothèses de départ sont celles des habitants. A Fos-sur-Mer par exemple, ils ont décidé de s’intéresser particulièrement au quartier des Carabins, historiquement peuplé par des travailleurs de la sidérurgie. Cela nous a permis d’avoir une vision en dessous de l’échelle de la ville, chose que l’on n’aurait peut-être pas faite si nous n’avions pas discuté avec de nombreux habitants en amont. Et l’aspect participatif va jusqu’à la rédaction du rapport qui doit correspondre à ce que les habitants attendent de l’impact de l’étude.

A quelles conclusions vous avez abouti ?

C’est une étude qui décrit les états de santé chez les habitants en répondant à un questionnaire. On documente l’état de santé des habitants au moment de l’étude et de manière représentative au niveau de la ville. Cela nous a permis d’obtenir un pourcentage de pathologies à comparer à des moyennes nationales. Nous avons trouvé qu’ils sont plus malades qu’au niveau national. Nous avons travaillé sur les liens qui pourraient exister avec l’environnement mais on n’a pas établi de relation de cause à effet. Ce n’était pas notre travail, c’est bien trop difficile à prouver.

En ce qui concerne le lien entre la pollution et la santé publique, est-ce que les habitants le font même s’il n’est pas étayé scientifiquement ?

On part du fait que les habitants sont les meilleurs connaisseurs de leur santé et de leur environnement, c’est pour ça qu’on les a beaucoup mis à contribution dans cette étude. Du coup, ce qu’on ne peut pas forcément faire scientifiquement, on le peut de manière citoyenne. Il est communément admis aujourd’hui que la pollution de l’air nuit à la santé, les habitants n’ont fait que parler de leur expérience.

Tous les habitants n’étaient pas conscients des risques avant de participer à notre étude. Le fait de réfléchir au cours de l’étude a par exemple permis d’instaurer un dialogue dans des couples pour essayer de retrouver l’historique de leur famille à travers l’environnement. Cela a permis ensuite à des personnes de s’engager dans des actions citoyennes.

Sommes-nous tous égaux face au risque ?

Non, évidemment que non. Les chefs d’entreprise de Fos-sur-Mer ou Lavera par exemple, y habitent rarement. Les parents qui travaillent dans ces usines et leurs enfants, eux, n’ont souvent pas d’autre choix que d’habiter sur place. Donc non, on n’est pas tous égaux face aux risques.

Peut-on extrapoler les conclusions de votre étude à d’autres territoires de l’étang de Berre ?

On peut les extrapoler au sens commun du terme, c’est-à-dire non scientifique. On peut se dire que si on menait la même étude dans d’autres villes autour de l’étang de Berre, on aurait des résultats qui seraient vraiment proches de Fos-sur-Mer et de Port-St-Louis. On a eu beaucoup de questions dans ce sens dans les réunions publiques que nous avons menées après cette étude. Le choix de ces deux villes pour notre étude a aussi été dicté par le manque de financements. Nous aurions pu réaliser notre enquête sur l’ensemble du pourtour de l’étang de Berre.

Comment ont réagi les pouvoirs publics et les collectivités territoriales ?

En ce qui concerne les villes, Fos et Port-St-Louis, nous avons bien été soutenus et elles ont utilisé notre étude pour l’opposer par exemple au projet d’augmentation du volume de l’incinération des déchets ménagers. Néanmoins, il existe des peurs liées à la stigmatisation des territoires avec des conséquences, comme la baisse de la valeur foncière.

Pour ce qui est de l’ARS (Agence régionale de santé), on ne peut pas parler d’un très bon accueil. En fait, on les a pris de court, puisque leurs propres études commençaient à dater. Il y a eu un gros stress dans les services de l’État au moment de sa sortie. Ils ont toutefois noté des points positifs, notamment la participation à ce point des habitants.

Avez-vous formulé des préconisations ?

En tant qu’équipe de chercheurs, non, mais nous avons consigné dans notre rapport toutes les idées qui avaient été données par les habitants. Les préconisations, elles sont simples. Ce ne sont pas des choses extravagantes que les gens demandent et ce ne sont pas des choses coûteuses non plus pour les entreprises : ils demandent juste le respect des normes existantes. Cela pose la question de l’adaptation de ces normes à un environnement industriel comme celui de l’étang de Berre, ce que souligne l’Institut écocitoyen de Fos (1) qui réclame une surveillance notamment des particules fines dans l’environnement.

Si les industriels disent qu’ils respectent les normes, c’est le plus souvent le fruit d’une auto-évaluation dont on peut penser qu’elle est rarement à charge contre eux-mêmes. C’est une question d’honnêteté intellectuelle. Il y a notamment le problème des fuites diffuses, comme dans l’usine Arcelor Mittal, qui est une vieille usine très peu rénovée. Il y a des évaluations qui sont menées par des consultants, mais est-ce qu’on peut parler d’organismes indépendants lorsqu’ils sont tributaires des financements des entreprises ?

Au niveau de l’État, il y a vraiment un manque de moyens flagrant pour réaliser des contrôles inopinés qui le soient vraiment. Depuis notre étude et celle de l’Institut écocitoyen, les industriels ont peu évolué dans leurs pratiques mais l’État semble être plus sévère avec eux.

Donc, quand les citoyens s’emparent directement de ces questions, ça fait avancer les choses ?

Oui, c’est vraiment notre conviction profonde. Quand on a commencé cette étude, on s’est dit que si les citoyens pouvaient l’opposer aux industriels ou aux services de l’État, ils seraient forcément mieux entendus. Les habitants n’opposent pas forcément la santé avec l’implantation des usines, au contraire, ils savent que leur travail en dépend. Mais ils ont vraiment remarqué qu’il y avait un impact très fort et que cela ne pouvait plus durer. Tant qu’il n’y aura pas de pression extérieure sur ces usines pour faire des efforts, elles ne les feront jamais elles-mêmes.

Comment sortir selon vous de la confrontation des enjeux de santé publique avec les intérêts sociaux et économiques de ces territoires ?

En fait, il n’y a pas forcément d’opposition entre les deux. Il faut considérer la préservation de l’environnement comme un facteur d’intégration économique. Aujourd’hui, il y a un intérêt commun entre la santé des travailleurs et la santé des riverains qui est impactée de la même manière. Une évolution des mentalités et des pratiques est donc possible.

Propos recueillis par Mike Wright

1. www.institut-ecocitoyen.fr. L’Institut écocitoyen est un centre d’étude de l’environnement et de l’effet des pollutions sur la santé, visant à mieux connaître les risques liés aux activités humaines, notamment industrielles et logistiques. Il est financé par la ville de Fos-sur-Mer, Aix Marseille Université et l’Etat.