« Le gouvernement mène une politique de sidération »

avril 2018 | PAR Michel Gairaud, Rafi Hamal
Écoutez l'émission:
Entretien en partenariat avec Radio Grenouille
Les syndicalistes cheminots Stéphane Crespin (Unsa), François Tejedor (CGT), Frédéric Michel (Sud), invités de la Grande Tchatche

le Ravi : Quelles sont vos propositions alternatives pour améliorer le système ferroviaire ?
Frédéric Michel (Sud) : Il y en a huit. Mais la plus importante concerne la dette. Cette dernière appartient à l’Etat et non au système ferroviaire. En 1937, lors de sa création, la SNCF avait déjà une dette de 30 milliards de francs. Plus récemment, il y a eu aussi la période « tout TGV » qui a contribué à la dégradation du réseau classique. Depuis les années 2000, l’Etat demande en effet des constructions de nouvelles lignes sans en apporter le financement, ce qui accroît l’endettement. Le gouvernement doit prendre en charge la dette ainsi que ses 1,5 milliards d’euros d’intérêts. Sans chantage.

Mais le gouvernement promet de reprendre la dette à partir de 2020 à condition que sa réforme soit acceptée avec l’abandon du statut des cheminots. Etes-vous des privilégiés ?
Stéphane Crespin (Unsa) : Les analyses économiques indiquent que le statut des cheminots représente 8 % de l’endettement global. La question centrale n’est pas là mais celle du « sac à dos social » et ce que nous devons inclure dedans. J’insiste sur le fait que le cheminot n’est pas un nanti : il ne possède ni voiture de luxe, ni Rolex au bras…
François Tejedor (CGT) : Souvent les médias nous sortent la question sur les facilités de circulation dont bénéficient les cheminots et leur famille. Mais qui reproche à un agriculteur de manger ses propres tomates ou à un électricien d’installer l’électricité chez lui ? Nous, nous produisons des voyages et nous pouvons un peu voyager…

La grève perlée est-elle la bonne modalité d’action ? Faut-il faire converger les luttes ?
F. M. (Sud) : Le gouvernement mène une politique de sidération en visant plusieurs cibles. Notre lutte ne concerne donc pas uniquement les cheminots. Il s’agit de s’unir pour s’opposer au modèle de société promis par Macron, qui est très proche de celui des Etats-Unis. A Sud rail, face à l’intransigeance et la rigidité du gouvernement, nous sommes prêts à durcir ce mouvement et à accompagner des grèves qui iront au-delà des 48 heures si les assemblées générales le souhaitent.

Ne craignez-vous pas de vous mettre à dos l’opinion publique ?
F. T. (CGT) : Aujourd’hui, plus de 800 000 euros ont été collectés grâce aux dons des usagers qui, avant même que la grève débute, ont manifesté leur soutien moral et matériel. Nous n’avons donc pas le sentiment d’avoir perdu l’opinion publique. Au contraire, il y a un élan de solidarité hors norme au sein de la population que nous n’avions jamais vu auparavant.

L’ouverture à la concurrence, à partir de décembre 2019, annonce-t-elle la fin du service public ?
F. M. (Sud) : Le caractère obligatoire de l’ouverture à la concurrence pour le trafic régional et national ne concerne que les appels d’offre. Les autorités des transports vont être tenues d’y recourir mais pourront toujours faire le choix, après examen des dossiers, de continuer avec la SNCF. Il n’y a donc, à ce jour, pas d’obligation de concurrence. De plus, faire en sorte que celui qui gère le réseau ne soit pas le même que celui qui circule représente un véritable risque au niveau de la sécurité ferroviaire.

Pourtant Renaud Muselier, le président LR de la Région Paca, a lancé un appel à projets auquel des opérateurs étrangers ont déjà répondu. Votre réaction ?
F. T. (CGT) : En Paca, le réseau est saturé. A la gare Saint-Charles, à Marseille, nous ne pouvons pas intégrer ne serait-ce qu’un train supplémentaire. Il y avait, avec l’ancienne majorité du Conseil régional (PS, EELV, PCF) une volonté d’aller jusqu’à 700 trains par jour qu’on a été obligé de réduire à 600 à cause de l’infrastructure. Aujourd’hui il n’y en a plus que 542. Comment serait-il possible d’intégrer les trains de la concurrence là-dedans ? La privatisation ne pourra pas résoudre le problème de l’infrastructure. D’ailleurs, c’est étonnant que le Conseil régional, qui estime pourtant déjà trop onéreuse la facture, se félicite du rapport Spinetta. Ce dernier veut en effet alourdir la facture des Régions en leur transférant le financement et la rénovation des petites lignes de train qui demandent un investissement important…

Renaud Muselier a promis aux heures creuses, « des transports par car » plutôt que de faire rouler des trains à moitié vide. C’est une bonne idée ?
S. C. (Unsa) : Faire cette proposition c’est méconnaître l’organisation de la région. Les autoroutes sont largement saturées. Y ajouter des véhicules ne représente en aucun cas un service rendu à l’utilisateur.

Recourir au privé est-il une bonne solution pour répondre à la dégradation du service, aux nombreux retards et annulations de TER par exemple ?
S. C. (Unsa) : L’ouverture à la concurrence n’est pas une solution pour améliorer le service au client. Il faut d’abord moderniser l’infrastructure qui est la source du problème avant de penser à diversifier les transporteurs qui s’y trouvent. On reproche souvent aux organisations syndicales d’être dogmatiques mais il me semble qu’à travers leurs prises de position, ce sont les autorités organisatrices qui le sont. Elles visent à faire disparaître la SNCF, non pas à améliorer le service offert.

Pourquoi affirmez-vous que l’État préfère la route au rail ?
F. M. (Sud) : Aujourd’hui, ce qui coûte cher à la SNCF, c’est le réseau de transport ferroviaire pris en charge par l’entreprise contrairement aux routes qui, elles, sont entièrement financées par l’État. Il est évident qu’il y a là une forme de concurrence déloyale. Le message que nous voulons faire passer au gouvernement et aux usagers c’est qu’il n’y aura pas de véritable système ferroviaire au service du public sans une vraie volonté politique de favoriser le train. Et sans financement, il n’y aura que de mauvaises solutions.
F. T. (CGT) : On est bien d’accord que le bus pollue plus que le train ? Et bien pourtant Macron a mis en place ses bus qui contribuent à augmenter les gaz à effet de serre. On devrait toujours prendre en compte les questions environnementales…

Mais les collectivités locales peuvent-elles subventionner sans cesse des lignes déficitaires ?
F. T. (CGT) : Lorsqu’il s’agit de développer des routes, des investissements sont faits sur du long terme sans se poser de question tandis que lorsque ça concerne le système ferroviaire il faut amortir en deux ou trois ans. C’est scandaleux.
Des rapports le mentionnent, nous sommes en déficit d’infrastructures en Paca. Et au lieu de nous offrir une visibilité sur la durée qui nous permettrait de développer les services, on nous propose de tout mettre en concurrence.

Emmanuel Macron martèle qu’il ne cédera rien. Pensez-vous qu’il puisse en être autrement ?
F. M. (Sud) : Les cheminots sont pour ce gouvernement clairement identifiés comme une classe dangereuse qu’il va falloir vaincre afin de faciliter les réformes à venir. Mais nous restons confiants et optimistes pour gagner le plus rapidement possible ce bras de fer avec l’Etat.

Propos recueillis par Michel Gairaud, Rafi Hamal et mis en forme par Yasmine Sellami

Imprimer