L'or blanc a disparu
En haut des pics ou au cœur des vallées, le ruissellement, c’est pas maintenant. Dans les départements, les inégalités de revenus restent importantes, que l’économie soit très dépendante de l’activité touristique ou plus diversifiée. Dans les Hautes-Alpes, où, selon l’Insee, près de la moitié des logements sont des résidences secondaires et où le tourisme représente 15 % des emplois (avec des pointes jusqu’à 30 % dans certaines zones), « les salariés sont moins rémunérés, dans presque toutes les catégories socioprofessionnelles » comparé au reste de Paca ou à la moyenne nationale. Et la part des ménages ayant un revenu modeste ou médian y est supérieure de 7 points à la moyenne régionale, atteignant la moitié de la population.
Dans les Alpes-de-Haute-Provence, la situation est plus contrastée. Autour de Manosque, la proximité de la métropole d’Aix-Marseille et la présence d’industries comme l’entreprise de cosmétiques L’Occitane, le groupe pharmaceutique Sanofi ou le chimiste Arkema, permettent d’avoir une plus forte part d’emplois à l’année et de « navetteurs » résidant dans le département mais travaillant ailleurs. Contrepartie : de par la faiblesse de l’offre en transports en commun, beaucoup d’habitants effectuent chaque jour de longs trajets « quasi exclusivement en voiture, occasionnant des dépenses de carburant importantes, susceptibles de fragiliser le budget des ménages les moins favorisés », met en garde l’Insee. A ce budget de carburant s’ajoute celui de chauffage qui, en haute montagne, est deux fois plus élevé que dans l’ensemble de la région. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, 25 % des ménages seraient ainsi en situation de « vulnérabilité énergétique », un chiffre trois fois plus élevé que dans le reste de la région.
« Le tourisme de masse est une facilité »
La situation économique est d’autant plus délicate que depuis 2007, le développement de la montagne, carburant à « l’or blanc », a du sucre dans son moteur. Il y a d’abord eu la crise financière, qui a fait chuter la fréquentation de la clientèle étrangère, majoritaire dans certaines stations. Puis le réchauffement climatique, qui retarde l’enneigement. Et, depuis 2019, le Covid et ses deux saisons de ski annulées. Plus haut dans les Alpes, l’économiste de l’université de Savoie Myriam Donsimoni a été sollicitée par la communauté de communes de Chamonix, pour voir « si d’autres activités que le tourisme sont possibles » en haute montagne.
« C’est vrai que le tourisme de masse c’est quand même une facilité, note la chercheuse. Dans nos vallées, le moindre agriculteur est aussi moniteur de ski en saison ! Mais à un moment, un seuil de tolérance est dépassé. Quand les jeunes ou les vieux ne trouvent plus le moyen de se loger avec la hausse de l’immobilier. Ou quand les nuisances, notamment sur la circulation automobile, deviennent insupportables. » Après avoir enquêté avec ses étudiants dans plusieurs massifs, dont les Pyrénées, Myriam Donsimoni et son équipe prévoient de présenter dès que possible leurs pistes à la population de Chamonix. « Ce sont plutôt des initiatives en circuits courts, autour de l’économie sociale et solidaire, avec de l’artisanat, des services à la personne… Des activités avec un gain économique modeste mais qui amènent un gain très fort en qualité de vie. »
La montagne pourrait-elle se désintoxiquer du tourisme, voire entrer dans une économie de décroissance ? En juillet, au sortir du confinement, Daniel Margot, président de la CCI des Alpes-de-Haute-Provence, estimait « qu’une nouvelle ère est en train d’émerger, portée par la volonté de préserver notre santé et la préoccupation d’entretenir une relation plus solidaire. Ce mouvement de fond se conjugue avec le désir de ceux qui vivent dans des grands centres urbains de s’installer dans des espaces à faible densité de population ». Un exode urbain déjà à l’œuvre vers les départements alpins : sur les trente dernières années, Hautes-Alpes et Alpes-de-Haute-Provence ont affiché des taux de croissance de leur population nettement supérieurs aux moyennes régionale et nationale.
Le phénomène semble s’être légèrement tassé depuis 2016, notamment via la tranche des 18-29 ans, partis vers les villes pour étudier ou décrocher leur premier emploi. Mais il pourrait connaître un rebond avec l’arrivée en montagne d’urbains quittant les villes entre ras-le-bol du confinement et conséquences de la récession économique. Notamment avec l’essor du télétravail, favorisé par l’équipement progressif des Alpes du Sud en fibre internet haut débit, dans le cadre d’un plan financé par la région jusqu’en 2022. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, on assure vouloir saisir la balle au bond : « Nous allons travailler à l’architecture d’un modèle économique qui favorise nos filières d’excellence, prenne pleinement en compte les moteurs que sont le tourisme et le thermalisme, et enfin privilégie la production et la consommation locales », affirme la CCI. « Je ne crois pas qu’on puisse appliquer partout dans la montagne la même solution, abonde Myriam Donsimoni. Il faut dégager des solutions adaptées à chaque zone géographique, si on veut que les habitants les acceptent et s’en emparent. » Un débat qui pourrait être – ou pas – des prochaines élections départementales et régionales.